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2E TOUR DE LA PRESIDENTIELLE TUNISIENNE SUR FOND D’EMPRISONNEMENT D’UN CANDIDAT


Hier, 3 octobre 2019, marquait le lancement de la campagne du second tour de la présidentielle tunisienne qui oppose les deux rescapés du premier tour, le candidat indépendant et professeur de droit constitutionnel, Kaïs Saeid, arrivé en tête du premier round avec 19% des suffrages, et l’homme d’affaires et magnat des médias, Nabil Karoui, qui en a récolté 15%. Exit donc le candidat du parti islamiste Ennahdha majoritaire au parlement, mais aussi le candidat du pouvoir, le Premier ministre qui était pourtant donné favori, mais qui n’a du reste eu aucune peine à reconnaître sa défaite. Ouvrant la voie à ce duel inédit entre deux outsiders qui ont déjoué bien des pronostics pour s’octroyer le droit de disputer le dernier round. Mais l’histoire aurait été certainement beaucoup plus belle si l’un des concurrents, en l’occurrence Nabil Karoui, n’avait pas eu maille à partir avec la Justice de son pays, qui s’est invitée au débat au moment où l’on s’y attendait le moins.

La privation de liberté de Nabil Karoui est en passe d’être le point noir de ce scrutin

En effet, poursuivi depuis deux ans pour blanchiment d’argent et évasion fiscale, Nabil Karoui a vu, ces derniers temps, une accélération des procédures qui a conduit à son arrestation et son incarcération, à la veille du premier tour de ce scrutin présidentiel. Si cela n’a pas été prohibitif à sa qualification au second tour, son maintien, en dehors de tout jugement, dans les liens de la détention à cette étape de la compétition électorale, pose problème. D’abord, un problème d’équité au point qu’au-delà de son parti qui ne cesse de crier à l’arrestation politique, des voix se sont élevées jusqu’au sein de ses adversaires politiques et des observateurs internationaux, pour plaider en faveur de la libération du candidat, pour lui permettre de se battre à armes égales avec son challenger au cours de la campagne du deuxième tour qui a été lancée hier. Ensuite, un autre problème qu’on pourrait résumer en cette interrogation : qu’adviendrait-il si malgré tout, Nabil Karoui bénéficiait au bout du compte de l’onction du peuple et arrivait à décrocher le saint Graal en remportant l’élection présidentielle ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. En attendant, les appels à la clémence ont, selon toute apparence, très peu de chances d’être entendus par la Justice, particulièrement jalouse de son indépendance acquise au prix d’une mue opérée grâce en partie à l’aide internationale qui lui a permis, ces dernières années, de gagner beaucoup d’autonomie pour se soustraire aux influences négatives du politique. En tout cas, c’est ce que laisse penser le rejet, par la Cour d’appel, de la demande de remise en liberté déposée par les avocats du prisonnier. C’était le 2 octobre dernier, à la veille du lancement de la campagne de ce second tour. C’est dire si en faisant preuve d’autant d’intransigeance, la Justice tunisienne se retrouve, à son corps défendant, à être un obstacle à l’équité dans un scrutin qui aurait pu marquer davantage le retour de la Tunisie à la démocratie. Mais hélas ! La privation de liberté de Nabil Karoui est en passe d’être le point noir de ce scrutin. Car, quoi que l’on puisse en dire,   cela fausse quelque peu le jeu démocratique. Mais autant ce statut de prisonnier peut paraître un handicap pour le candidat, autant il pourrait lui valoir la sympathie de bien des électeurs tunisiens qui pourraient la lui traduire dans les urnes.

On ne peut pas vouloir de l’indépendance de la Justice et vouloir en même temps qu’elle fasse des exceptions

Tout n’est donc pas perdu pour l’homme d’affaires. Mais le hic, c’est la contestation postélectorale qui pointe déjà à l’horizon et qui fait nourrir de réelles inquiétudes. En tout cas, à quelques jours du vote du 13 octobre prochain pour la désignation du successeur du défunt Béji Caïd Essebsi, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’incertitude plane toujours sur le scrutin qui ne s’annonce pas dans les meilleures conditions de sérénité. D’autant plus que les partisans de Nabil Karoui qui crient à la cabale politique et à l’iniquité, n’écartent pas, avec leur champion, un recours en cas de défaite. Même dans l’attitude de l’instance électorale qui ne cache pas qu’« il est possible que l’intégrité du processus électoral soit contesté », se lit une certaine appréhension. Cela n’est pas de bon augure et la Tunisie n’a pas besoin de ça. Pour autant, faut-il clouer au pilori la Justice tunisienne qui est aussi dans son rôle ? C’est aussi cela l’une des limites de la démocratie. Car, on ne peut pas vouloir de l’indépendance de la Justice et vouloir en même temps qu’elle fasse des exceptions qui pourraient créer des précédents dangereux. Et si la Justice doit être indépendante, il faut qu’elle puisse aussi jouer son rôle à fond. C’est pourquoi, pour autant que son agenda, dans le cas précis de l’affaire Nabil Karoui, ne soit pas calculé, l’on peut comprendre qu’elle reste droite dans ses bottes. Toute la difficulté est donc de savoir trouver le juste milieu, pour ne paraître faire le jeu d’une partie, en balisant le terrain pour l’un des candidats.

« Le Pays »


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