40 ANS DE REGNE DE PAUL BIYA : Faut-il en rire ou en pleurer ?
6 novembre 1982-6 novembre 2022 ; cela fait 40 bonnes années que Paul Biya règne sans partage sur le Cameroun. En effet, arrivé au pouvoir suite à la démission du président Ahmadou Ahidjo, Paul Biya que d’aucuns surnomment « l’homme du 6 novembre », lui-même, ne s’imaginait sans doute pas pareille longévité à la tête de l’Etat camerounais. Surtout quand on sait que sitôt après son installation au Palais d’Etoudi, il a été confronté à une série de crises politiques qui avaient pris une tournure particulière avec le putsch manqué du 6 avril 1984, lorsqu’une faction de l’armée avait tenté de lui ravir le pouvoir qu’il avait du mal à consolider. Et ce n’est pas tout. Car, la contestation des résultats de la présidentielle de 1992 par l’opposant John Fru Ndi, avait embrasé le Cameroun au point que certains n’hésitaient pas à parier sur la chute de Paul Biya qui, à travers l’organisation de réformes institutionnelles, a su, à la surprise générale, reprendre la main. Depuis lors, régnant en maître incontesté sur le Cameroun, « l’homme-lion », ainsi que l’appellent certains, régule, en fonction des intérêts du moment et des appétits du pouvoir de ses successeurs putatifs, la météo politique nationale.
Le pays est présenté comme l’un des plus corrompus sur le continent
Ce qui lui vaut, en partie, cette longévité au pouvoir. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Paul Biya, selon toute vraisemblance, n’est pas prêt à faire valoir ses droits à la retraite. « Le Cameroun est dirigé conformément à sa Constitution. Selon cette Constitution, le mandat que je mène a une durée de sept ans. Alors, essayez de faire la soustraction et vous saurez combien de temps, il me reste à diriger le pays. Mais autrement, quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informés sur le point de savoir si je reste ou si je m’en vais au village », avait-il répondu à des journalistes qui l’interrogeaient sur une possible retraite politique. C’était en août 2022. Pour les Raspoutine et autres soutiens zélés qui ne défendent que leur bifteck, avec Biya, c’est la stabilité et le progrès social. Ils n’ont peut-être pas tort. Car, le Cameroun, contrairement à son voisin nigérian, a réussi à contenir la menace du groupe islamiste Boko Haram dont les incursions meurtrières troublaient le sommeil des populations. A cela, il faut ajouter que le Cameroun est l’un des poids-lourds, économiquement parlant, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Même en terme de développement humain durable, le pays occupe un rang non ridicule, 19e sur 54 pays africains. Tout cela est à mettre à l’actif du président Paul Biya qui, à moins d’avoir fait le choix de rentrer dans l’histoire par la petite porte, se doit, à 89 ans, de s’éclipser en passant la main à une nouvelle génération. En effet, s’il est vrai que le Cameroun, sous le magistère de Biya, a connu le progrès social et économique, force est de reconnaître que le pays est présenté comme l’un des plus corrompus sur le continent où les détournements, le clientélisme, le favoritisme et le népotisme ont pignon sur rue. Sur le plan des libertés individuelles et collectives, les signaux sont au rouge.
Paul Biya ne peut plus rien donner au Cameroun qu’il ne l’a fait en 40 ans
Car, au Cameroun, aucune voix n’ose s’élever contre « le père » dont les désirs font loi. Et ce n’est pas l’opposant Maurice Kamto qui dira le contraire ; lui qui, pour avoir contesté les résultats de la dernière présidentielle, a séjourné pendant neuf mois en prison sous les ordres du prince régnant. On oublie volontiers le cas de nombreux intellectuels qui ont dû fuir le pays à cause de leurs prises de position très critiques vis-à-vis de « papy ». Et tout cela se passe sous le regard indifférent voire complice des « hérauts » de la démocratie- suivez notre regard-qui ne bronchent pas pour des raisons évidentes de préservation de leurs intérêts. En fait, l’une des stratégies mises en place par Paul Biya pour pérenniser son pouvoir, c’est de diviser pour mieux régner. Tant et si bien qu’il ne manque pas de tensions parmi les membres de son entourage immédiat. Il laisse croire à chacun que son heure est arrivée ; aiguisant ainsi les ambitions des uns et des autres. En tout cas, célébrer 40 ans au pouvoir à une époque où les peuples aspirent à l’alternance, cela paraît pour le moins anachronique ubuesque. Il faut plus en pleurer qu’en rire surtout quand on sait que les longs règnes débouchent généralement sur le chaos. Les exemples sont si légion sur le continent que l’on ne prendrait pas le risque de vouloir les citer exhaustivement au risque d’en perdre l’haleine. L’on n’ose même pas imaginer l’après-Biya, tant l’avenir est plein d’incertitudes. Va-t-on vers une succession dynastique comme le redoutent certains, quand on est sait que le « fils de l’autre » est en embuscade, près à sortir du bois le moment venu ? Comment le peuple camerounais réagirait-il si un tel scénario fort probable se réalisait ? Cela dit, pour autant qu’il aime son pays comme il le prétend, Paul Biya, au terme de son mandat en cours, gagnerait à renoncer au pouvoir comme l’avait fait son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. Car, il ne peut plus rien donner au Cameroun qu’il ne l’a fait en 40 ans.
« Le Pays »