Me PROSPER FARAMA

« Ma confiance n’est ni dans la junte, ni dans  la classe politique encore moins au niveau des intellectuels. Ma confiance est dans la masse populaire »

 

Depuis le 24 janvier dernier, le Burkina Faso est dirigé par une junte militaire qui a renversé le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. Alors que l’on attend toujours de savoir sous quelle forme et dans quelles conditions, ce pouvoir militaire va être exercé, nous sommes allés à la rencontre d’un homme de droit qui n’a pas sa langue dans sa poche. Il s’agit de Me Prosper Farama qui  nous a reçus dans son bureau le 27 janvier dernier à Ouagadougou.

 

« Le Pays » : Comment avez-vous accueilli le coup d’Etat contre Roch Marc Christian Kaboré ?

Me Prosper Farama : Très clairement, j’ai l’accueilli avec beaucoup de déception, mais sans surprise. Je crois que tout le monde savait que, vu la situation et la pourriture dans laquelle se trouvait le régime, quelque chose adviendrait d’une façon ou d’une autre. Mais tout le monde se posait la question de savoir quand et comment. Nous avons eu la réponse ces derniers jours.

 

Condamnez-vous ou approuvez-vous le coup d’Etat ?

Je n’approuverai jamais un coup d’Etat. D’ailleurs, tout le monde connait ma position par rapport aux coups d’Etat. J’ai toujours dit que les coups d’Etat ne sont pas les voies légitimes d’accession au pouvoir. Il est clair que quand on parle de coup d’Etat, moi, je m’y oppose toujours comme je l’ai toujours fait.

 

 

 

 Qu’attendez-vous de la junte militaire ?

J’ai dit que je condamne le coup d’Etat parce que je ne suis pas pro-putschiste. Je crois qu’il faut revenir un peu en arrière. J’ai la conviction politique et idéologique qu’un coup d’Etat ne résout jamais un problème de façon durable et que,  peut-être, ne fait que déplacer le problème. En même temps, je comprends et respecte l’opinion des uns et des autres parce que nous sommes dans un Etat de droit, donc dans un débat contradictoire. Je respecte l’opinion de ceux qui approuvent le coup d’Etat. C’est leur droit d’opiner. Je comprends d’ailleurs, venant des masses populaires, qu’elles puissent approuver un coup d’Etat. Elles ont vécu une situation de galère avec le régime déchu. Par contre, ce qui est le plus incompréhensible, c’est l’attitude de la classe politique et des intellectuels. Depuis quelques jours, je suis avec amusement, les interventions, à la télévision, de groupes politiques, d’intellectuels, par -ci par- là, qui sortent pour donner leurs positions et  j’en rigole. Le premier constat que je fais, c’est que nous avons une classe politique qui est incohérente et inconstante. J’ai vu toutes les catégories d’intellectuels aller dans tous les sens. La conclusion que j’en ai tiré en les regardant, c’est qu’ils n’en ont cure de l’intérêt de ce peuple. Tout ce qui les intéresse, ce sont leurs intérêts personnels. J’ai vu des gens, en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent, approuver ou désapprouver un coup d’Etat. Il y a des gens qui, il y a de cela quelques années, ont condamné une  situation de coup d’Etat en estimant que c’était contre les intérêts du peuple. Aujourd’hui, ils  approuvent et inversement. Au finish, notre classe politique, quand elle est au pouvoir, elle a horreur des coups d’Etat et elle ne veut pas en entendre parler. Quand elle est en dehors du pouvoir et  qu’elle  ne trouve aucun autre moyen d’y accéder, elle prie, clame, souhaite de tout son cœur qu’il y ait un coup d’Etat. Evidemment, quand on fonctionne ainsi, les choses deviennent assez compliquées. J’ai fini par  me demander si  le  problème de ce pays, ce n’est pas cette classe d’intellectuels petits bourgeois  que nous sommes tous. Au finish, on a l’impression que les intérêts  du peuple ne nous intéressent pas, nous les petits bourgeois. C’est vraiment dommage.

 

« Pour le moment, je ne sais pas ce qu’il y a dans la sauvegarde et dans la restauration. Qu’est-ce qu’ils entendent sauvegarder ? Qu’est- ce qu’ils entendent restaurer ? »

 

 Pensez-vous que l’armée s’est donné les moyens de justifier le coup d’Etat ?

 

 Comme on le dit, un coup d’Etat se justifie toujours par tous les moyens. Pour le moment, je n’ai pas d’analyse par rapport aux désirs de ceux qui ont pris le pouvoir par la force. Les analyses à chaud sont souvent porteuses d’erreurs. On attendra de voir parce que j’ai entendu dire qu’il s’agit d’un mouvement de sauvegarde et de  restauration. Pour le moment, je ne sais pas ce qu’il y a dans la sauvegarde et dans la restauration. Qu’est-ce qu’ils entendent sauvegarder ? Qu’est- ce qu’ils entendent restaurer ? Je n’en sais absolument rien. Quand ils nous donneront plus de précisions, nous apprécierons. Mais la question que vous posez est d’autant plus importante que je dis aux Burkinabè, surtout les intellectuels,  de dépasser cette analyse superficielle  des faits  d’une situation aussi grave. Quand j’écoute la classe politique aujourd’hui, je fais trois constats majeurs. Le premier est que la classe politique pense qu’il n’y a que trois entités au Burkina : les militaires, les politiciens et très loin le peuple. Voilà comment ils analysent les situations. Les politiciens, quand ils échouent, ils disent qu’on peut faire appel aux militaires pour pallier cette insuffisance. C’est une grosse erreur d’appréciation ! Il n’y a pas trois entités dans un pays. Il n’y a qu’une seule entité qui est le peuple. Dans le peuple, il y a vous, moi, les militaires et les politiciens. L’exercice du pouvoir se  fait par le peuple. La dévolution du pouvoir se fait par le peuple. Maintenant, il ne faudrait pas qu’on fasse croire aux militaires qu’ils sont une entité différente et qu’ils sont soit en dehors ou au-dessus. Le militaire fait partie du peuple comme tout le monde. Il ne peut pas être une alternative à la dévolution du pouvoir par le peuple. Il faut qu’on l’explique très clairement aux politiciens. Deuxièmement, quand vous entendez les politiciens parler, et la classe intellectuelle, petite bourgeoise comme je l’appelle, dans   laquelle moi-même je suis, c’est que nous avons l’impression que le pouvoir se trouve à Ouagadougou. C’est quand même ahurissant !  Le pouvoir ne se trouve pas à Ouagadougou. Ouagadougou est le siège du pouvoir mais il se trouve dans le pays réel. Il appartient à tout le peuple. Ce n’est pas seulement à Ouagadougou que nous allons décider de tout ce qui va s’appliquer à tout un peuple de plus de 20 millions d’habitants. On a l’impression que le pouvoir n’intéresse pas  mon oncle qui se trouve quelque part à Logosso ou encore un de mes clients qui est quelque part à  Falagountou. Qu’il attend que nous décidions comment les choses vont se passer et lui, il va suivre alors qu’il souffre. Ce n’est pas nous qui souffrons. Vous voyez que moi je suis dans un bureau climatisé. Je peux m’offrir trois repas par jour ; comme vous (NDRL journaliste) et moi. Quand nous parlons  de la pourriture, de l’échec de la  politique, ce sont eux qui en  subissent les conséquences majeures.  Parmi les déplacés internes, il n’y a pas d’avocats, de journalistes encore moins de professeurs. Les déplacés sont des paysans, le petit peuple si je peux m’exprimer ainsi. C’est à eux qu’il faut donner la parole.  Pour une fois, il faut qu’on comprenne que c’est à eux qu’appartient le pouvoir. Et cela m’amène à la dernière constatation que je fais. Nous avons une classe intellectuelle, excusez-moi du terme, qui a mal à son honnêteté. Quand j’écoute les uns et les autres, je me rends  compte que nous trompons les masses populaires. Au Burkina Faso, comme partout en Afrique, et c’est d’ailleurs ce que les Occidentaux nous enseignent depuis des années,   voilà comment on conquiert le pouvoir. Un, il y a la voie des élections pour accéder au pouvoir pour  gérer les affaires de l’Etat. Deux, si cela ne marche pas, il ne reste qu’une autre voie : celle des coups d’Etat. Cela fait combien d’années que l’Afrique est dans ce processus infini ?  Nous faisons des élections, mais ça ne va pas. Et ça aussi, nous savons pourquoi. Les gens trichent, achètent les consciences et après, au lieu de bien  gérer les affaires du bas peuple, ils ne s’en préoccupent pas.  Ils s’en mettent plein les poches,  volent, boivent du champagne tous les soirs pendant que les gens meurent. Mais ça, ce n’est pas leur problème. Jusqu’à ce que les gens se révoltent,  la chienlit s’installe, on ne sait plus où on va et on appelle les militaires. Ils viennent  et prennent  le pouvoir et on leur dit,  vous avez pris le pouvoir mais ce n’est pas pour y rester. Il faut le rendre rapidement aux civils.  On propose une transition qui est faite par la même classe politique qui s’auto- choisit.  Quand on finit, on dit qu’on repart aux élections. Après les élections, une classe politique crie encore à la fraude parce qu’elle estime que celui qui a gagné, a  acheté les consciences. Et  on recommence la même pourriture. Jusqu’à ce que le peuple en ait ras -le -bol et on dit aux miliaires, venez faire un coup d’Etat encore. Ainsi, le Burkina est à son 7e coup d’Etat dénombré selon les cas. A un moment donné, nous devons avoir l’honnêteté  intellectuelle  de dire qu’à part les élections et les coups d’Etat, il  y a  d’autres voies.  Notamment, la voie  que notre peuple a expérimentée depuis l’insurrection populaire. C’est le peuple lui-même qui est mieux placé pour lui-même. Il est mieux placé pour agir pour lui-même. On doit œuvrer à pouvoir  donner le pouvoir au peuple pour lui et par lui. Et cela s’appelle la révolution. Mais personne ne veut en parler  parce que  tous ceux qui sont dans cette logique de dévolution du pouvoir soit par des élections soit par des coups d’Etat,  savent que si nous allons dans une  logique de révolution qui veut  que ce soient  les populations elles-mêmes qui parlent pour elles-mêmes et pas nous, les gens se rendent compte qu’on leur enlève du pain de la bouche. La politique est un métier pour certains au Burkina Faso. On leur coupe l’herbe sous les pieds. Les  politiciens et les  intellectuels ne parlent pas de révolution alors que nous avons  vu qu’au Burkina Faso, les gens réclament la fin de la corruption. Ils ne veulent plus mourir de faim ;  ils veulent des changements dans les hôpitaux. En résumé, ils veulent un changement radical, qui fait qu’eux-mêmes puissent prendre leur destin en main. Mais prendre son destin en main,  s’appelle la révolution. Mais ça, personne n’en parle.

 

Vous venez de dire qu’en dehors des élections et des coups d’Etat, il y a une 3e voie de dévolution du pouvoir. Comment cela peut-il se faire façon pratique ?

 

Cela  peut se faire juste par une organisation. Je ne dis pas aux gens que je suis un devin qui montre des choses aux gens. Je fais juste une constatation. Aujourd’hui, le vrai désir du peuple, sauf à être malhonnête, c’est d’exercer par lui-même le pouvoir. Mais comment ? En s’organisant. Or, pour s’organiser, ce sont les intellectuels qui devraient aider les peuples à le faire.  Sauf que nous n’en voulons pas. Si nous le faisons comme le disaient les révolutionnaires d’août  1983, à savoir que « n’importe qui ou n’importe quel Burkinabè a la possibilité et a le droit à aspirer et à exercer les fonctions politiques et même de gouvernance », cela veut dire que même la dolotière peut gouverner. Les gens ont crié au scandale en leur disant de ne pas exagérer.  C’est pour dire que si nous conscientisons le peuple dans ce sens, je pense qu’on peut arriver à une situation où le peuple s’organise par lui-même, défend ses propres intérêts. Je prends le cas du Soudan qui est un cas d’école. Les Soudanais ont fait leur insurrection et ont chassé toute la dictature. Les gens sont revenus par d’autres portes. Mais cela fait des mois que les Soudanais sont dans la rue.  On les tue tous les jours, mais ils sont là parce que le peuple a pris conscience. La lutte est organisée depuis les quartiers jusque dans les grandes villes. Ce qui fait que mêmes ceux qui ont les armes, ceux qui pensent être les plus forts parce que ce sont eux qui détiennent les armes du peuple, ne peuvent rien contre eux. Et je pense qu’ils vont y arriver.

 

 

Pensez-vous, comme certains, que ce coup d’Etat est une fenêtre d’opportunité pour le Burkina Faso ?

 Lueur d’espoir dans le sens de dire qu’on peut toujours s’en sortir. Oui, c’est ce que je disais. Il faut qu’on soit très clair dans nos propos.  Je regarde la plupart des  Burkinabè. Ce n’est pas qu’on voulait des militaires au pouvoir mais ils ne voulaient plus de ce régime. Comme le diraient certains, même si c’est un coq que nous allons placer, mais balayez-nous ces gens car nous en avons marre.  C’est pour cela que je disais que le MPP s’est fait hara kiri. C’est un suicide. Personne ne l’a tué.  Maintenant que les militaires ont pris le pouvoir, c’est un constat.  Mais ce qui est signe d’espoir dans ce pays, c’est que les gens disent ce qu’ils demandent à la junte.  On veut la sécurité, circuler librement dans notre pays, la fin de la corruption, que tout le monde puisse manger à sa faim. Cela veut dire que le peuple n’est pas dupe. Il y a des années de cela, quand les gens faisaient un coup d’Etat, personne n’osait parler. Chacun rentrait chez lui, rasait les murs parce qu’on se disait, attention, les patrons sont là. Ce sont eux qui décident. Aujourd’hui, les gens ne sont plus d’accord avec cela. C’est pour cela que je dis que nous avons reculé parce qu’un coup d’Etat, c’est toujours un recul mais en même temps, il faut reconnaître qu’au Burkina, même avec un coup d’Etat, on ne reculera jamais jusqu’au fond, contrairement à ce que les gens disent. La conscience est largement au-dessus  de la moyenne  de la conscience politique  de la plupart des peuples de la sous-région.

 

 

« Est-ce que nous ne sommes pas là dans un perpétuel recommencement ? »

 

Etes-vous, comme certains, pour une transition de 3 ans ?

 De ce que je viens de constater, je n’entre pas dans ces débats de délais.  Leur faut-il un, deux, trois ou dix ans ? Je n’ai pas encore fait de coup d’Etat.  Ceux qui ont fait le coup d’Etat  vont s’organiser avec qui ils veulent pour dire combien de temps ils veulent  prendre. C’est à eux de le dire. Ça ne m’intéresse pas.  Je pense d’ailleurs que ce sont des problèmes superficiels. Que ce soit dans 6 mois, dans un, deux ou même dix ans, c’est quoi la suite  exactement? Quelle que soit la durée d’une transition issue d’un coup d’Etat, quel que soit ce qui va sortir des laboratoires  de nos grands constitutionnalistes, la fin, c’est qu’on va aller aux élections. Les politiciens vont se bagarrer eux-mêmes sur les conditions pour aller aux élections. Il y aura des élections et on sait à peu près ceux qui y seront. On sait qu’on va retrouver le CDP, le MPP, c’est-à-dire les mêmes. La question est de savoir  qui gagnera ? Je pense que c’est  celui qui aura une marge de contrôle de l’appareil électif  en place, celui  qui aura beaucoup d’argent  à aller distribuer dans les provinces, celui qui aura le soutien du plus grand  nombre de grands électeurs comme les chef coutumiers, c’est lui qui va gagner. Et  ce n’est pas exclu qu’on voie le MPP revenir. Ce n’est pas non plus exclu qu’on voie le CDP revenir. Je n’ai rien contre, mais la question que je me pose, est la suivante : est-ce que nous ne sommes pas là dans un perpétuel recommencement ?

 

 

Avez-vous des craintes pour l’avenir du Burkina Faso ?

Des craintes non, mais de la déception oui ;  parce que  vu le niveau qu’on avait atteint après l’insurrection d’octobre 2014, on espérait pouvoir continuer et progresser. Parce que l’une des erreurs que le MPP a commises, c’est de n’avoir pas compris que même la lutte contre le terrorisme se base  sur une armée populaire, sur le  peuple. Or, ils ont mis le peuple de côté, ils ne le considéraient pas. Pour me résumer, je suis déçu, mais je n’ai pas de craintes. Parce que, même les militaires  qui ont pris le pouvoir, ont conscience que dans ce pays, un coup d’Etat est un problème.   Quand des miliaires font un coup d’Etat et qu’ils  font des efforts pour y mettre une certaine  forme en exigeant la démission du chef de l’Etat, cela veut dire que c’est un problème si on ne trouve pas une bonne issue. On  risque d’avoir  des problèmes dans ce pays. Parce que dans les coups d’Etat traditionnels, quand par exemple les gens sont allés pour assassiner Thomas Sankara, croyez-vous qu’ils  ont demandé sa démission ?  Quand Saye Zerbo a pris le pouvoir, a-t- il demandé la démission de quelqu’un ? Non, ils n’avaient rien à cirer. Ils avaient des armes et ont pris leur pouvoir.  Aujourd’hui, ils font un coup d’Etat, demandent une lettre de démission et vous disent qu’il n’y a pas eu mort d’homme. Cela veut dire qu’ils ont peur de ce peuple.  Et ça, c’est un espoir. Quand ceux qui sont à la tête du pays ont peur du peuple, c’est un espoir. Donc, je n’ai pas de crainte parce que je sais que nous reviendrons, mais plus forts.

 

« S’il est avéré que les militaires ont volontairement ouvert le feu sur le véhicule du président en pensant qu’il y était, il faut dire clairement, c’est un fait très grave »

 Avez-vous cru à la version selon laquelle il n’y a pas eu «  effusion de sang » ?

 Je n’ai pas cru parce que j’ai vu comme tout le monde, un véhicule où il y avait du sang. Maintenant, y a t-il eu des morts ? Ça, je n’en ai pas de preuve. Mais je pense que c’est à eux d’être très transparents sur cette question. Dans ce pays, avec le niveau que nous avons atteint, il ne faut pas se tromper, on ne peut plus rien cacher au peuple. Si vous ne payez pas ce que vous avez aujourd’hui, vous le payerez demain. Autant mettre tout sur la table afin qu’on puisse trouver les meilleures solutions. J’ose croire qu’ils ne mentent pas quand ils disent qu’il n’y a pas eu de mort. Au demeurant,  même s’ils mentaient en disant qu’il n’y a pas eu de mort, pas d’effusion de sang, cela voudrait dire qu’ils ont peur de reconnaître qu’il  y a eu mort d’homme, c’est un signe d’espoir. Cela veut dire qu’ils ont reconnu que dans ce pays, on n’accepte plus un coup d’Etat a fortiori des coups d’Etat avec des morts.

 

 

Comment réagissez-vous au fait que des véhicules du  chef de l’Etat, aient été mitraillés au point que le MPP parle de tentative d’assassinat?

S’il est avéré que les militaires ont volontairement ouvert le feu sur le véhicule du président en pensant qu’il y était, il faut dire clairement, c’est un fait très grave et surtout très inquiétant quant aux intentions pacifistes que le chef de la junte a évoquées depuis la prise du pouvoir. Je pense que le MPP aurait raison de parler de tentative d’atteinte à l’intégrité physique du président. Nous osons espérer qu’il y aura une clarification des circonstances de ces tirs, qui démontrera bien le contraire de ce que dit le MPP. Sinon, il y a de quoi être très sincèrement inquiet.

 

Cela veut-il dire que cette junte peut être poursuivie un jour, au moins pour attentat à la sûreté de l’Etat comme ce fut le cas pour le putsch manqué du 16 septembre 2015 ou encore le coup d’Etat du 15 octobre 1987 en cours de procès actuellement ?

Je suis avocat. Si un jour, on m’appelle pour venir juger cette junte, si le dossier m’intéresse, je viendrai. Je suis clair là-dessus. Je fais mon métier. Je n’ai pas dit   qu’on va juger quelqu’un. Mais  je dis que si l’on doit  juger quelqu’un et que mes services sont  requis et  qu’encore j’estime que  je peux les rendre, je serai là. Je reste dans l’objectivité absolue. C’est pour cela que je dis aux gens : quand nous posons des actes, pensons à leurs conséquences. Dans ce pays, nous disons une chose aujourd’hui et faisons ou disons  le contraire le lendemain. C’est pourquoi j’aime dire aux gens que pour agir, il faut penser à d’où  l’on vient, où l’on est  et où l’on va. Sinon, on se perd après dans  la brousse. Je suis à Ouagadougou et je regarde. Si un jour, le problème est posé en termes de droit, vous aurez mon opinion là- dessus.

 

Quelles conséquences ce putsch aurait-il sur le procès Thomas Sankara ?

Je ne vois pas les rapports qui puissent y avoir. A   un moment donné, nous avons  entendu des rumeurs parlant de la libération du général Diendéré.  Nous avons été  très inquiets mais heureusement, l’information a été démentie. Heureusement, l’audience est programmée  pour être reprise lundi mais nous irons, convaincus  que ce procès ira à son terme. Parce que ce ne sont pas des individus qui ont décidé que ce procès se tienne. C’est le  peuple qui s’est battu depuis des années  pour qu’il se tienne. Pour moi,  il se tiendra. Ce serait  une grave erreur, et pour ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui  et pour quiconque viendrait au pouvoir demain, de penser  qu’on peut mettre fin à ce type de procès. Ce n’est pas une question de sankaristes contre d’autres. Moi, je ne suis pas sankariste même si j’ai de l’admiration pour Thomas Sankara. Mais je me bats pour qu’il y ait justice comme je me bats pour que tous ceux qui ont droit à la justice, aient la justice.  Ce n’est pas une question de on s’aime ou on ne s’aime pas, mais d’avancer sur des principes clairs pour protéger tout le monde, vous et moi, la vendeuse de cacahuètes dans la rue, pour que demain, s’il lui arrive quelque chose, celui qui en est à l’origine sache que l’impunité n’a pas droit de cité dans ce pays.

 

« J’espère qu’ils ne se feront pas avoir par les politiciens affairistes »

 

 Avez-vous  eu plus d’informations sur le général Gilbert Diendéré ?

Nous avons eu les informations selon lesquelles le général Gilbert Diendéré n’a pas été libéré, venant du palais de justice.  Il y a eu un communiqué dans ce sens. Nous nous en tenons à ce communiqué. Puisqu’ on nous  appelle à venir à l’audience, cela nous conforte dans notre entendement que le général Diendéré n’est pas libéré.

 

« Au peuple, je lui dirai de ne pas rester là à attendre que l’intellectuel ou la classe  politique vienne lui dicter, lui dire qui doit gouverner pour lui et lui rendre compte. Le peuple lui-même a le droit de participer à la gouvernance »

 

Quels sont vos craintes et vos espoirs pour le Burkina Faso avec l’avènement de la junte militaire ?

 

 Mes craintes, c’est qu’on retombe dans la méconnaissance des droits des masses populaires. C’est-à-dire qu’on finisse par penser que loin d’être un accident de parcours, un coup d’Etat peut devenir un mode naturel d’accession au pouvoir. Que ce soit pour ceux qui sont là ou pour d’autres. Et qu’on oublie que le peuple a des revendications qui sont claires. Aujourd’hui, les revendications urgentes sont la sécurité pour tout le peuple, la fin de certaines pratiques comme la corruption, la question de la vie chère, redonner de la dignité à ce peuple qui avait atteint un seuil à un moment donné. J’espère qu’ils ne se feront pas avoir par les politiciens affairistes qui, chaque fois qu’il y a un changement de régime, sont toujours autour des palais de justice pour essayer de reconquérir quelques strapontins qu’ils ont perdus. Mon espoir est que quand j’écoute ce peuple après le coup d’Etat, j’ai le cœur chaud. C’est un peuple qui est d’une dignité, d’un courage et aujourd’hui d’un niveau de conscience politique élevé d’une clairvoyance comme il n’y en a pas beaucoup dans la sous-région. Aujourd’hui, les gens vous disent, nous sommes contre les coups d’Etat. Mais ce coup d’Etat,  il nous soulage  parce que ceux qui étaient là, nous ont mis dans une situation où on n’en pouvait plus. Mais, même ceux qui sont arrivés, on les met  en garde. Cela résume l’état d’esprit de ce peuple. Par contre, si j’ai une interpellation à faire, c’est à la classe politique et au peuple.   Au peuple, je lui dirai de ne pas rester là à attendre que l’intellectuel ou la classe  politique vienne lui dicter, lui dire qui doit gouverner pour lui et lui rendre compte. Le peuple lui-même a le droit de participer à la gouvernance. Quelques fois, on entend dire dans ce pays, qu’on a un peuple mouton. Et moi, j’aime répondre : si vous avez des moutons qui s’égarent, ce  ne sont pas aux moutons qu’on s’en prend mais  au berger. Malheureusement, si  on doit considérer  que la classe politique est la classe des bergers, on peut  dire que ce sont les mauvais bergers que nous avons. 

 

Avez-vous des appréhensions quant à l’indépendance de la Justice ?

 

Pour le moment, rien ne permet de le dire. Nous avons une situation qui vient juste de se produire. Attendons !  Nous ne sommes pas pressés. Nous donnons  nos positions de principe comme je viens de le faire.  On observe et après, nous analyserons et évidemment,  nous reviendrons.   Il est bon de faire appel à la conscience collective. Quand il y a eu l’insurrection, nous  avons  attiré l’attention  de la classe politique.  L’insurrection est une chose mais il faut bien la mener. Et puis, il y a eu Zida qui est venu avec son équipe. Avant lui, il y a eu le général Honoré Nabéré Traoré au moment de l’insurrection et ce, en  complicité  avec certains acteurs politiques et de la société civile. Nous avions attiré l’attention des gens en leur disant que ce n’était pas une bonne chose  parce que le peuple s’était sacrifié et qu’il fallait lui reconnaitre les mérites de son sacrifice et aller  vers ce que le peuple réclame. Ils ont dit d’aller aux élections et nous leur avons dit de faire attention parce qu’ils déplaçaient les réclamations du peuple. Le peuple ne réclamait pas des élections et surtout pas dans ce contexte. Parce que vous alliez remettre le pouvoir à des gens qui ne constituaient pas un changement. Ce serait un recommencement ou une continuité. Mais les gens ont dit que le MPP n’était  pas le CDP, et vous n’êtes jamais satisfaits. Ils ont organisé   des élections et le MPP a pris le pouvoir. A l’époque, j’avais dit que je ne m’attendais à rien de bon de ce MPP parce que ce n’est que la continuité du CDP qui a été vomi par les masses. Et la conséquence, c’est encore un coup d’Etat. J’interpelle les acteurs politiques, la société civile en leur disant, s’il vous plait, pour une fois, pensez au peuple. Ne pensons pas seulement à nous, individuellement, ou à ce que l’on peut gagner dans ce coup d’Etat. Ne pensez pas à quel est le trou par lequel on peut rentrer et en profiter. Ça fait plus de 60 ans que le peuple souffre.  Que le peuple prenne enfin sa destinée !

 

Ne craignez-vous pas qu’un grand dossier emblématique comme celui de Norbert Zongo,  soit sacrifié sur l’autel de l’inclusion ? 

Ma confiance n’est ni dans la junte, ni dans  la classe politique encore moins au niveau des intellectuels. Ma confiance est dans la masse populaire.  Je veux parler de Boureima qui est mécanicien, Albert qui vend au kiosque, ce sont eux que je regarde. Et je pense que ce ne sont pas des idiots, contrairement à ce que pensent les intellectuels.  Il y en a qui pensent que ceux qui ne sont pas allés à l’école sont des idiots et que ce sont eux les seuls intelligents. Quand je les écoute, je parle du peuple, ils savent ce qu’ils veulent. Ils ne veulent plus qu’on vienne leur proposer des changements « mouta-mouta ». La prochaine insurrection qu’il y aura dans ce pays, ce ne sont pas seulement les dirigeants qui vont  fuir,  mais nous avec, c’est-à-dire la classe intellectuelle. Les gens venus de Rayongo, des bas quartiers, des non-lotis, je n’ai rien contre eux. Au contraire, j’ai beaucoup de respect pour eux. Mais ils vont nous fouetter comme on ne l’a jamais vu ! « Ils nous diront qu’on a fini par comprendre que vous êtes tous des imbéciles ». C’est pour cela que je parle, parce que j’ai envie de dormir tranquille. Je sais que cela arrivera un jour ou l’autre, parce que nous avons cette tendance condescendante à minimiser ce bas peuple en se disant que ce sont des gens qu’on peut rouler.  Hier, nous avons gouverné, aujourd’hui d’autres viennent ; on change de veste et on repart pour faire les mêmes choses.   Ce ne sera pas éternel.

 

Que pensez-vous des premières déclarations du chef de la junte à l’issue de la rencontre avec les forces vives, notamment les syndicats ?

En ce qui concerne le compte- rendu de la rencontre que le chef de la junte a eue  avec les  syndicats, j’ai ouï dire qu’il y a eu des menaces  à peine voilées, faisant allusion à des syndicats qui ne seraient pas des syndicats. Il aurait dit, selon le représentant de la CGT-B, que les syndicats étaient libres de manifester sauf pour les syndicats qui ne seraient pas des syndicats. Mais je pense que ce genre de propos tendancieux est assez  inquiétant. Je  rappelle que dans l’histoire de ce pays, on n’a pas gardé belle mémoire de ce genre de propos. Je rappelle simplement que Dabo Boukary est mort à l’époque, suite à un enlèvement et à des tortures au sortir d’une marche sur le campus, sous le prétexte que les organisations syndicales n’étaient pas des organisations  syndicales d’étudiants. Des travailleurs ont été réprimés violemment dans ce pays sous ce même prétexte, à savoir que les syndicats n’étaient pas en vérité des syndicats. Quand on  entend ces propos, on ne peut qu’être inquiet. J’ose espérer que c’est un lapsus de langage et que cela ne révèle pas les mêmes intentions comme on l’a vu dans le passé, dans ce pays.

                                          Propos recueillis et retranscrits par Issa SIGUIRE

 


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