LETTRE OUVERTE A THOMAS BONI YAYI : « Demandez pardon au peuple béninois que vous avez offensé »

Dans la présente lettre adressée au Président béninois, Boni Yayi, le sieur Adolphe Djimon Hodonou lui demande « de présenter ses excuses au peuple béninois qu’il a offensé », surtout qu’il est en fin de mandat. « Le pays, dit-il, n’en sortira que grandi ». Lisez !
Monsieur le Président,
En janvier 2006 à Cotonou, alors que j’entrais dans l’une des salles de la Haute Cour Constitutionnelle où étaient convoqués tous les candidats à la présidence de la République pour la traditionnelle visite médicale, j’aperçus un monsieur qui se retira soudain du groupe où il était en pleine conversation et se dirigea tout droit vers moi. Il me salua avec beaucoup de déférence :
« Bonjour grand-frère» et me donna l’accolade. Je fis de même. Et, sans un mot, ce monsieur retourna aussitôt dans le groupe où il était en train de causer.
De tous mes compatriotes présents dans cette salle, vous étiez le seul à avoir eu ce réflexe, ce qui m’a beaucoup intrigué. A côté de moi, j’ai aussitôt demandé : «Mais qui est ce monsieur qui vient de me donner l’accolade?» L’on me répond : «C’est le candidat Boni Yayi».
Mon cher compatriote président, je dois vous apprendre aujourd’hui qu’au moment où vous aviez eu la courtoisie de venir me saluer en me donnant l’accolade, j’avais dans mon porte-document cette coupure du quotidien «Le MATINAL» et m’apprêtais à la déposer à la presse pour publication dès ma sortie de la Cour Constitutionnelle. Me voilà du coup face à un profond dilemme mais dont la résolution a été prompte. Telle une voix intérieure, cette phrase-ci a résonné mot par mot dans mon esprit : «Quels que soient les égarements des uns et des autres, accueille-les avec générosité et rassemble-les car tu n’es pas venu au pays pour diviser, mais pour unir. Pardonne à cet homme que l’ambition égare».
Aussi, ai-je conservé pendant dix ans ce document pour vous, sans rien y modifier ni en parler à personne. C’est votre propriété intellectuelle, monsieur le Président. Je vous la rends, même si cette propriété n’honore pas son auteur : «A César ce qui est à César!» … Au Peuple, le droit au respect de sa Dignité! Un droit inaliénable.
A présent que vous êtes en fin de mandat et que ce rêve présidentiel est désormais derrière vous, il me revient encore de vous donner ce conseil, seul préalable à toute réconciliation avec ce peuple béninois qui vous a sorti du néant et vous a fait connaître du monde, au-delà de nos frontières. Un peuple, ce n’est pas une colonie de pingouins ni de batraciens que l’on peut fouler aux pieds. Tout peuple, quel qu’il soit, est une réalité humaine et spirituelle, appuyée sur de solides traditions et un riche patrimoine culturel. Les gouvernements passent, mais le peuple demeure. Et il peut toujours réclamer… à celui qui l’a offensé dans son histoire et dans sa dignité.
C’est ce que votre mentor, feu Mathieu Kérékou (Paix à son âme !) avait vite compris en 1990, lors des assises de la Conférence nationale, et il avait eu la sagesse de demander pardon à ce peuple qu’il avait opprimé et réduit à l’indignité pendant vingt ans.
Mon cher compatriote président, comme vous êtes son « soldat » et son « fils », il vous revient de suivre son exemple en demandant pardon au peuple béninois que vous avez offensé par vos déclarations qui rappellent de bien tristes souvenirs. Le pays n’en sortira que grandi, que dis-je, réconcilié avec son histoire afin de mieux se tourner vers l’avenir: un avenir de paix, de vraie démocratie et d’unité nationale.
Voilà ce que j’avais à vous dire avant la fin de votre mandat présidentiel, en vous souhaitant une nouvelle vie de paix, de santé et de joie familiale.
En espérant que vous comprendrez le sens de ma démarche, je vous prie d’agréer, cher compatriote, l’expression de mes salutations très distinguées.

Adolphe Djimon HODONOU

P.-S. La mort marque la fin de nos passions humaines. En effet, le 15/10/2015, alors que je revenais de la poste où je suis allé affranchir mon hommage à notre compatriote, feu l’archevêque Isidore de Souza (hommage accompagné d’un poème : «Le dernier bagage »), j’apprends à la radio le décès de l’ex-président Mathieu Kérékou.
Aussi, je saisis l’occasion de cette lettre ouverte pour présenter mes sincères condoléances à la famille du défunt.
Quant au peuple béninois, à l’aube de la nouvelle année, je souhaite que la lumière renaisse, dans la paix, la liberté et la dignité.

Bien à tous.

A.D. HODONOU

-Promoteur, en mars 1976, de la Conférence nationale des Forces vives en vue de la réconciliation et du rétablissement de la démocratie au Bénin ;
-Candidat, en mars 2006, à la présidence de la République du Bénin… pour sauver la paix et la démocratie à nouveau menacées.