LIMITATION DES MANDATS PRESIDENTIELS PAR BOUTEF : Pourquoi maintenant ?
Le parlement algérien a adopté le 7 février dernier, un projet de révision de la Constitution, initié par le président Abdelaziz Bouteflika. L’on peut retenir parmi les grandes lignes la limitation des mandats présidentiels à deux quinquennats, l’inscription comme langue officielle du Tamazight, la langue berbère parlée par des millions d’Algériens et qui était pratiquement ostracisée, la consécration des libertés, y compris celle de manifester pacifiquement et la création d’une haute instance nationale indépendante pour la surveillance des élections. L’on peut déjà saluer cette réforme constitutionnelle. Car, a priori, elle représente une avancée démocratique avec notamment la possibilité d’alternance voire d’alternative. Et l’Algérie en a véritablement besoin.
Les Algériens ont besoin d’une autre sauce
En effet, depuis que le pays a accédé à la souveraineté nationale et internationale en 1962, il a toujours été gouverné par le Front de libération nationale (FLN). La seule lueur d’alternance apparue dans le ciel monochrome algérien avait été suscitée par le succès réalisé par le Front islamique du salut (FIS) lors du premier tour des élections législatives de décembre 1991. La suite est connue. Le processus électoral avait été suspendu manu militari par le FLN. Et tous ceux qui nourrissaient l’espoir d’un changement avaient vite déchanté. Depuis donc 1962, les Algériens ne consomment qu’une seule et invariable sauce. Celle que leur impose le FLN. Comment pouvait-il en être autrement quand on sait que les ingrédients de cette sauce sont la patrimonialisation de l’Etat et la mainmise absolue de l’oligarchie de l’armée sur l’ensemble des rouages de l’Etat ? De toute évidence, les Algériens ont besoin d’une autre sauce et cela ne peut être envisagé en dehors de l’arrimage du pays à la démocratie, la vraie. Il se pose alors la question de savoir si les réformes constitutionnelles opérées par Bouteflika ont cet objectif comme ligne de mire. L’opposition est on ne peut plus sceptique. En effet, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RDC), tout en saluant la reconnaissance de la langue Tamazight comme langue officielle, a évoqué des offres en “trompe-l’œil” et des annonces “qui peuvent rester comme des vœux pieux si la volonté politique d’aller vers une transition effective ne se manifeste pas concrètement dans la parole et l’action publiques”. C’est le même son de cloche du côté des islamistes. La position donc de l’opposition politique est sans ambiguïté. La générosité de Boutef semble pour eux relever plus de l’entourloupe que d’une volonté réelle de jouer la carte de la démocratie. Et ce sentiment semble partagé par bien des observateurs de la scène politique algérienne. En effet, le principe de la limitation des mandats présidentiels à deux n’est pas nouveau en Algérie.
Une alternance politique sans alternative
L’on se rappelle qu’en novembre 2008, le parlement, sous la dictée du même Bouteflika, avait adopté une réforme constitutionnelle qui supprimait cette limitation afin de permettre à son inusable et inoxydable mentor Boutef de briguer un troisième mandat en 2009, puis un quatrième en 2014. On peut donc se risquer à dire que Bouteflika est enfin rassasié du pouvoir. Et cela est chose suffisamment rare en Afrique pour être souligné. En plus de cela, l’on peut dire que son âge (78 ans) et surtout son état de santé actuel pourraient l’avoir obligé à envisager sa retraite politique, tout en laissant à la postérité l’image d’un homme qui a beaucoup œuvré pour l’ancrage de la démocratie dans son pays en lui permettant de se doter d’un texte qui, s’il est appliqué intégralement, est susceptible de répondre aux aspirations des populations, qu’elles soient arabes ou berbères. Et ce faisant, ce sera aussi sa manière de rendre hommage à la mémoire de Hocine Ait Hamed, du nom de cette icône de la lutte de libération qui vient de tirer sa révérence et qui, pendant toute sa vie, a porté ces valeurs. Pour finir, l’on peut dire que derrière cette offre généreuse du vieil homme rassasié du pouvoir et rongé par la maladie, pourrait se cacher un réel désir d’alternance politique en Algérie. De ce point de vue, Boutef veut se donner toutes les chances d’une fin de règne tranquille, tout en travaillant à positionner son frère cadet pour lui succéder. Dans cette hypothèse, et la probabilité qu’elle se réalise est forte, l’on peut dire que ce n’est pas demain la veille que le peuple algérien se débarrassera du joug de la gouvernance FLN et plus particulièrement de celle du clan Bouteflika. A cet égard, l’on peut dire que l’Algérie connaîtra une alternance politique sans alternative.
« Le Pays »