PR AUGUSTIN LOADA, A PROPOS DU PASSAGE A LA VE REPUBLIQUE : « En tant que juriste, cela me pose un problème lorsqu’on veut changer de Constitution »
Professeur titulaire à l’université Ouaga 2, responsable de l’école doctorale de ladite université, ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale sous la Transition et avocat depuis peu, Augustin Loada n’est plus à présenter. Dans les lignes qui suivent, ce constitutionaliste renommé nous donne les raisons qui l’ont poussé à porter la toge. Il est revenu également sur son passage au département de la Fonction publique. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, le 10 août 2016, Augustin Loada nous a donné son avis sur l’opportunité d’un passage à une Ve République. Lisez plutôt !
Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir avocat ?
C’est un rêve d’enfant. Quand je suis allé en France pour poursuivre mes études de troisième cycle, c’était dans la perspective de devenir avocat. J’ai poursuivi ma thèse de doctorat et je suis rentré. C’est alors que j’ai commencé à travailler au ministère de la Fonction publique et de la modernisation de l’Administration, du temps de Juliette Bonkoungou. A l’époque, j’avais aussi déposé un dossier à l’Université de Ouagadougou. J’ai commencé la carrière universitaire en 1995. Je voulais toujours devenir avocat, mais c’était incompatible. Il fallait choisir entre la profession d’avocat et l’enseignement. J’ai beaucoup hésité et il y a un de mes amis, Salifou Dembélé, qui était le vice-doyen et moi le doyen, qui a démissionné. Moi j’avais toujours du mal à trancher jusqu’à ce que l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA) adopte en 2014, un règlement qui, désormais, autorise les agrégés en droit, à devenir avocat et continuer à enseigner sans démissionner de la fonction d’enseignant. Dans beaucoup de pays, ce sont deux fonctions compatibles. Quand on est enseignant, on est théoricien et sur le terrain, les choses se passent différemment. Quand on a la possibilité d’allier théorie et pratique, je pense que cela peut permettre d’enrichir les cours que nous donnons aux étudiants qui deviennent par la suite des avocats, magistrats et autres.
Est-ce à dire que l’on vous verra plus souvent au palais de justice ?
Cela dépend des dossiers que je vais choisir. En principe, si on est avocat, on est amené à plaider au palais de justice. Mais j’aime tellement l’enseignement que j’aurai du mal à l’arrêter. Peut-être que vous me verrez au palais de justice. Vous me verrez aussi à l’université.
« Je ne suis pas opposé à ce qu’il y ait une révision de la Constitution. Mais un changement de Constitution, c’est un autre débat. Il y a le débat »
Il y a des voix qui s’élèvent pour dire que le passage à la Ve République n’est pas opportun, au regard de la situation actuelle du pays. Qu’en dites-vous ?
Personnellement, après des mois de réflexion, je me suis posé la question : une révision de la Constitution, pourquoi pas ? Parce qu’on peut toujours améliorer nos textes fondamentaux. Quand on prend la Constitution originelle, celle qui a été adoptée par référendum le 2 juin 1991, et quand on prend la même Constitution révisée, la dernière révision étant celle opérée par le Conseil national de la Transition en novembre 2015, ce n’est pas la même chose. C’est un texte qui s’est bonifié. Dans cette perspective, je me dis qu’une révision de la Constitution pour bonifier davantage la Loi fondamentale ne sera pas de trop. D’ailleurs, la Constitution prévoit la possibilité d’une révision et donc, dans ce sens, je ne suis pas opposé à ce qu’il y ait une révision de la Constitution. Mais un changement de Constitution, c’est un autre débat. Il y a le débat que l’on peut mener sur le plan juridique et celui que l’on peut mener sur le plan politique. Je m’en tiendrai seulement au débat sur le plan juridique, mais ce n’est pas parce que je n’ai pas d’arguments sur le plan politique. Quand on prend notre Constitution, il n’y a aucune disposition qui prévoit la possibilité d’une révision intégrale. Ce que la Constitution en vigueur prévoit, c’est qu’on puise les modalités de sa propre révision. En tant que juriste, cela me pose un problème lorsqu’on veut changer de Constitution alors que la Loi fondamentale qui est la loi suprême du pays, ne le prévoit pas. C’est un casse-tête juridique auquel il n’y a pas de solutions juridiques. C’est une problématique que l’on a rencontrée dans beaucoup de pays africains. Par exemple, au Niger, lorsque le président de l’époque voulait réviser intégralement la Constitution, c’est-à-dire laisser la Constitution en vigueur pour en élaborer une autre, la Cour constitutionnelle s’était opposée en disant que cette hypothèse n’est pas prévue par la Constitution en vigueur. Par conséquent, envisager une révision intégrale de la Constitution, c’est-à-dire la remplacer par une autre, serait violer la Constitution dans la mesure où une telle hypothèse n’est pas prévue. Indépendamment des intentions de l’ancien président du Niger, la question juridique que la Cour constitutionnelle avait à trancher, était de savoir si c’est possible de laisser une Constitution en vigueur pour élaborer une nouvelle Constitution. Et à cette question, la Cour Constitutionnelle du Niger a répondu « non ». Et c’est le même problème juridique qui va se poser au Burkina Faso, s’il s’agit d’élaborer une nouvelle Constitution. Ce que nous enseignons en droit constitutionnel, c’est qu’il y a d’une part le pouvoir constituant originaire et d’autre part le pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir d’établir une nouvelle constituante, mais nous enseignons qu’on établit une nouvelle Constitution lorsqu’il y a un changement de régime. Par exemple, lorsque nous sommes dans une situation de régime d’exception et l’on veut passer à un régime constitutionnel. Ou bien, il y a un nouvel Etat qui émerge à la suite d’une décolonisation et l’on veut marquer la rupture avec l’ordre politique antérieure. La théorie du pouvoir constituant originaire est une problématique qui se pose d’un point de vue politique, mais pas d’un point de vue juridique parce que, généralement, ce sont des situations de fait qui amènent à élaborer une nouvelle Constitution. Le pouvoir constituant dérivé ou institué, c’est le pouvoir de réviser la Constitution et c’est un pouvoir qui est régi par la Constitution en vigueur. Je suis très perplexe par rapport à cette idée de remplacer la Constitution en vigueur par une nouvelle.
Le hic, c’est que ce sont des juristes qui seront à l’origine de la rédaction de la nouvelle Constitution.
Lesquels ? Ce sont des techniciens. Et à eux, on peut leur dire allez-y ici et ils y vont. Mais moi, je n’y vais pas parce que j’estime que ce n’est pas une solution viable.
Le chef de l’Etat a exprimé sa volonté de revenir sur l’indépendance de la Justice. Qu’en pensez-vous ?
Je me garderais bien de commenter les propos du président de la République. Pour autant, je me permets de rappeler quelques principes et valeurs lorsqu’on parle de démocratie et d’Etat de droit. La clé de voûte de l’Etat de droit, c’est la justice. Mais une justice crédible, c’est-à-dire une justice qui est à la fois accessible, impartiale et indépendante. Je pense que l’indépendance, c’est un principe fondamental sans lequel, il n’y a pas d’Etat de droit. J’entends dire que notre justice a beaucoup de dysfonctionnements. Je voudrais rappeler que les juges ne sont pas des Zorro. Ce sont des Burkinabè comme vous et moi. Donc, notre justice est le reflet de notre société. Tous les acteurs judiciaires ne sont pas corrompus. Il y a certains qui le sont, mais pas tous. Je veux bien qu’on demande des comptes à ceux qui sont corrompus, à ceux qui ne font pas correctement leur travail, mais il y a des mécanismes pour cela. Si ces mécanismes ne fonctionnent pas, qu’on les fasse fonctionner. Le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est de réguler la magistrature. Donc, c’est au CSM de jouer son rôle, s’il y a des juges qui ne font pas leur travail. Du côté de l’Exécutif, il y a une inspection des services judiciaires et cette inspection n’a qu’à faire son travail. On dit que le Président du Faso n’est plus membre du CSM. Ce n’est pas cela le problème. D’ailleurs, la Constitution prévoit la possibilité pour le président, de rencontrer une fois par an et en cas de besoin, le CSM. Donc, il n’a pas besoin de siéger en permanence au CSM. Si le président estime qu’il y a des problèmes, il peut convoquer le CSM.
Que retenez-vous de votre passage au ministère de la Fonction publique ?
C’est une expérience qui valait la peine d’être vécue. Ce que j’ai retenu, c’est que le changement ne se décrète pas. Il y a beaucoup de contraintes pour que les choses changent. Et c’est une expérience qui est universelle. En 2008, Barack Obama a été élu président des Etats-Unis d’Amérique sous le thème « le changement auquel nous croyons !». A-t-il réussi ou échoué ? C’est une question à laquelle on peut répondre par oui ou non. Il y a des avancées, il y a également des choses qui auraient pu être améliorées. C’est ce que je retiens de mon expérience. Il y a des choses qui ont été faites allant dans le bon sens.
Je peux prendre comme exemple, la loi sur l’assurance maladie universelle. C’est vrai que les Burkinabè n’ont pas encore concrètement touché les bénéfices de cette loi, mais ce fut un processus qui a été initié par nos prédécesseurs. Nous avons poursuivi jusqu’à l’adoption de la loi assurance-maladie universelle. Ceux qui ont pris le relais vont certainement poursuivre. C’est ainsi que l’Etat se construit, que le changement se construit. Il y a certains qui posent une pierre, d’autres en rajoutent également.
Il y a aussi la loi 081. Là, nous avons essayé, du mieux qu’on pouvait, de faire bouger les lignes. Cette loi a quand même répondu à un certain nombre de lacunes que l’expérience a relevées en ce qui concerne la loi 013, telle la distinction fonctionnaire-contractuel. C’est une question qui a plus ou moins trouvé sa réponse avec la loi 081. Il y a quand même l’instauration de la journée continue de travail. C’est sous la Transition que cela a été plus ou moins opérationnalisé. C’est vrai que tout n’est pas parfait. Les acteurs sociaux avaient souhaité qu’on réunisse toutes les conditions avant de changer les choses. Mais vous savez très bien que si on doit attendre, nous ne ferons jamais rien.
Nous avons essayé du maximum que nous pouvions, avec les moyens dont nous disposions, de faire avancer les choses. Bien sûr, tout n’est pas parfait.
Il y a une chose pour laquelle j’ai le plus grand regret. C’est d’avoir échoué à faire adopter une loi sur la dépolitisation de l’Administration. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous avons fait une enquête qui a effectivement relevé que c’était un phénomène auquel nous devons nous attaquer. Avec nos techniciens, nous avons élaboré un projet de loi que nous avons introduit en Conseil de ministres.
« Il y a une chose pour laquelle j’ai le plus grand regret. C’est d’avoir échoué à faire adopter une loi sur la dépolitisation de l’Administration »
Mais par 3 fois, j’ai échoué à convaincre une partie de mes collègues que c’était une nécessité. Il y a certains collègues qui m’ont combattu au sein du gouvernement. Je n’ai pas pu faire adopter cette loi qui, pourtant, répondait à un besoin. Dans ce texte, nous avons proposé de distinguer les postes purement techniques de ceux qu’on pourrait qualifier de politiques. Il y a une grande marge de manœuvre du pouvoir discrétionnaire du gouvernement. Mais pour les autres, nous avons essayé de faire valoir les principes de la méritocratie. Malheureusement, je n’ai pas pu convaincre mes collègues. J’espère que nos successeurs vont poursuivre sur la même lancée. Je pense que c’est une nécessité, c’est un travail qu’il faut reprendre et poursuivre jusqu’à ce qu’on puisse aboutir à une solution satisfaisante en termes de dépolitisation de l’Administration et de renforcement de la méritocratie. C’est la preuve que le changement, il ne suffit pas de le vouloir. Il y a des contraintes en termes de ressources. Il y a certainement des coalitions qu’il faut nouer avec ceux qui partagent vos valeurs, etc. Le temps a également manqué pour changer tout cela.
Parlant de la journée continue, ne pensez-vous que cette réforme a affaibli l’Administration publique ?
Lorsque cette réforme a été initiée, nous avions voulu qu’il y ait un suivi pour en tirer le bilan. Je pense qu’il faut effectivement faire le bilan pour voir s’il y a des retombées positives, ou si cela a affaibli l’Administration comme certains le pensent. Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre de mesures d’accompagnement doivent être mises en œuvre si on ne veut pas que cette réforme échoue. Ne serait-ce que par exemple au niveau de la présence des agents publics. S’il n’y a pas de dispositif pour s’assurer que les agents publics respectent bien les horaires, c’est sûr qu’il y aura des dysfonctionnements. Mais c’est aussi la responsabilité des ministres de s’assurer que la maison est bien tenue. Cela suppose que l’exemple vient d’en haut, que les mécanismes qui sont en place pour s’assurer que les agents publics font correctement leur travail, fonctionnent. Nous avons, dans le cadre de cette réforme, réuni les inspecteurs de tous les ministères, de même que l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE) (NDLR : aujourd’hui, c’est plutôt Autorité supérieure de contrôle de l’Etat et de lutte contre la corruption) ; parce qu’on se dit que dans chaque ministère, il y a une inspection qui doit pouvoir faire son travail de contrôle et de suivi. Mais lorsque vous discutez avec les inspecteurs, vous vous rendez compte qu’ils n’ont même pas le minimum pour faire le travail. Généralement, lorsqu’on nomme un inspecteur, on considère que c’est une sanction, une voie de garage. Si on veut que l’administration fonctionne correctement, il faut absolument revaloriser la fonction des inspecteurs. Il faut leur donner les moyens de faire correctement leur travail, pour qu’ils puissent s’assurer que les dysfonctionnements de l’Administration sont réduits à leur plus simple expression. Voici quelques mesures d’accompagnement sans lesquelles il est sûr que la réforme risque d’aller à vau-l’eau.
Il y a aussi la question de l’accès à l’alimentation. Ce sont des questions au sujet desquelles le Conseil de ministres ne peut pas décréter. Il appartient aux agents publics aussi de s’adapter. Bien entendu, le secteur privé peut accompagner. Mais si chacun ne joue pas son rôle, c’est sûr qu’il n’y aura aucun changement. Et ce n’est pas seulement le gouvernement qui doit faire ce travail.
Bien entendu, il y a toujours la possibilité d’améliorer. Il y a certaines catégories qui avaient exprimé, à l’époque, des revendications par rapport à l’adaptation des horaires, etc. Je pense qu’au bout d’une année, on peut faire le bilan pour voir si on peut ajuster, ici ou là, si on peut renforcer les mesures d’accompagnement ou s’il faut carrément abandonner la réforme. Sur cette dernière, nous serons partagés. Il y a certains qui y trouvent leur compte et d’autres non. Cela arrange par exemple celui qui habite à 20 km de son lieu de travail. Les choses ne sont pas si simples.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que votre passage au ministère a été un échec ?
Comme toutes les outrances, elles se décrédibilisent. Peindre le tableau tout en noir n’est pas équitable.
Il n’y a pas de commentaire à faire. Je pense qu’il y a des choses positives qu’on a faites. Il y a des choses sur lesquelles on n’a pas pu faire bouger les lignes.
C’est comme ceux qui estiment que la Transition se résume aux deals de parcelles et à la corruption. Ce n’est pas juste. Même s’il faut juger, il faut être équitable. On ne peut tout peindre en noir ou en blanc. Il y a des choses positives qui ont été faites et d’autres moins positives. Ce que j’espère, c’est que ceux qui ont pris le relais, fassent mieux.
Un bon politologue fait-il forcément un bon politicien selon vous ?
Je ne vois pas le rapport ! Ce n’est pas parce que vous êtes un bon magistrat que vous ferez forcément un bon ministre de la Justice ; ou que vous avez été médaillé aux Jeux olympiques que vous ferez un bon ministre des Sports.
Propos recueillis par Françoise DEMBELE