PRESIDENTIELLE GAMBIENNE : La vaste comédie
Parvenu au pouvoir par la force des armes en 1994, celui dont le seul et unique parchemin a été obtenu à l’école coranique, Yahya Jammeh, pour ne pas le nommer, postule pour la 5e fois consécutive pour un mandat présidentiel. Le scrutin s’ouvre aujourd’hui 1er décembre 2016. Tous ceux qui sont au parfum de la manière dont Yahya Jammeh régente la Gambie depuis 22 ans, peuvent, d’emblée, se poser la question suivante : une présidentielle en Gambie pour quoi faire ? En effet, il n’est pas permis de douter un seul instant des résultats qui sortiront des urnes, tant Yahya Jammeh sévit en Gambie depuis plus de deux décennies en homme ivre du pouvoir. De ce fait, tout l’espace politique du pays est verrouillé. Les plus téméraires de ses opposants connaissent invariablement 3 destinations : le cimetière, l’exil ou la prison. Et l’homme n’a aucun complexe. Le sempiternel argument avancé par celui qui croit dur comme fer qu’il a été désigné par Allah pour sauver la Gambie, est que tous ceux qui lorgnent son fauteuil sont des marionnettes des puissances étrangères, voire du diable. De ce qui précède, l’on peut déduire que ce n’est pas par des élections que la Gambie pourra goûter un jour aux délices de l’alternance au sommet de l’Etat. Un homme comme Yahya Jammeh ne peut pas courir le risque d’organiser des élections pour les perdre.
Ils sont nombreux les Gambiens qui croupissent aujourd’hui en prison
C’est pourquoi l’on est fondé à croire que la présidentielle d’aujourd’hui, comme les 4 autres qui l’ont précédée, s’apparente à une vaste comédie, à une pantalonade, avec comme metteur en scène le fantasque et mythomane Yahya Jammeh. L’objectif recherché est de rendre la chose moins laide, surtout aux yeux de l’extérieur en y apportant une sorte de saupoudrage démocratique. Et le dramaturge Jammeh semble avoir mis tout en place pour donner l’impression que, contrairement à ce que les gens pensent, la Gambie est un pays qui n’a pas rompu avec la démocratie. Pour le démontrer, il a, peut-on dire, accordé l’autorisation à deux Gambiens de l’accompagner. Et ces candidats motards ont su parfaitement jouer leur rôle tout au long de la campagne électorale. Pendant cette période, en effet, le principal challenger de Yahya Jammeh, puisqu’on le présente ainsi, Adama Barrow, n’a pas eu besoin de porter des gants pour pourfendre l’œuvre du président sortant à la tête de la Gambie. Il a notamment martelé ceci : « Nous souffrons depuis 22 ans. Nous n’avons pas de liberté en Gambie et nous voulons la liberté ». Cette liberté de ton au pays de Yahya Jammeh cache mal une sorte de deal passé avec le pouvoir. En effet, pour avoir dit moins que cela, ils sont nombreux les Gambiens qui croupissent aujourd’hui en prison ou qui ont été obligés de gagner la frontière la plus proche, pour sauver leur peau. Interrogé sur le sort des opposants emprisonnés suite à une manifestation interdite, le président gambien, droit dans ses bottes, avait laissé entendre sans gène et de manière explicite ceci : « Ils sont en prison parce qu’ils ont commis une offense ». Et d’ajouter sur un ton d’agacement ceci : « Je ne leur pardonnerai jamais ». Que le même Yahya Jammeh se transforme subitement pendant la campagne en agneau au point d’avaler et de digérer toutes les invectives et autres pamphlets dirigés contre lui par les deux candidats, c’est trop beau pour être vrai.
Les simulacres d’élection ne peuvent pas prospérer indéfiniment
Le deuxième élément qui participe de la théâtralisation de cette présidentielle est lié au fait que, pour la première fois, les électeurs gambiens auront à glisser dans les urnes, non pas des bulletins, mais des billes aux couleurs de leur candidat. La raison invoquée pour justifier cette innovation à la gondwanaise, est que cela contribue à la transparence du scrutin. Pour peu que l’on ait un minimum d’esprit cartésien, l’on peut perdre son latin devant une telle justification. La réalité, pourrait-on dire, est que cette trouvaille farfelue et ridicule, peut permettre de dissuader tous ceux qui seront tentés par l’abstention. En effet, avec un bulletin de vote, on peut, par exemple, voter nul de manière discrète. Mais, avec une bille, cela s’avère difficile, puisqu’à chaque bille introduite dans l’urne doit correspondre un bruit que l’on doit entendre de l’extérieur. De ce point de vue, l’on peut dire que le secret du vote n’est pas garanti. Le moins que l’on puisse dire à propos de cette présidentielle, est qu’elle constitue un non-événement. Yahya Jammeh passera haut la main. Il mettra à contribution tous ses complices déclarés comme ceux qui évoluent dans l’ombre pour lui fabriquer des résultats de nature à tromper l’opinion, tant nationale qu’internationale. Il pourra, par exemple, se contenter d’un score de 70% pour sauver les apparences. Mais une chose est certaine, Yahya Jammeh ne peut pas tout le temps tenir en laisse le peuple gambien. Et les simulacres d’élection ne peuvent pas prospérer indéfiniment. Le jour viendra où, excédé par ses méthodes moyenâgeuses de gouverner le pays, le peuple gambien lui fera rendre gorge. Il en a été ainsi pour bien des satrapes du continent qui croyaient que sans eux, leurs pays respectifs n’existeraient pas. Idi Amin Dada, l’Ougandais ; Mobutu Séssé Séko, le Congolais, et Hosni Moubarak, l’Egyptien, peuvent être cités à titre d’illustration. Le premier est mort dans l’anonymat en exil en Arabie Saoudite. Le second a erré après sa fuite, avant de trouver un point de chute au Maroc où, après son décès, il a été enterré à la sauvette très loin des siens. Quant au troisième, il est présentement gardé en cage, tel un animal. Tout cela devrait inspirer les satrapes en activité. Mais ceux-ci sont tellement aveuglés par le pouvoir qu’ils n’ont plus un seul moment de lucidité pour faire leur introspection. Au contraire, leur mégalomanie est telle que leur posture privilégiée est la politique qui consiste à se chatouiller pour rire. C’est fort de cela que le psychopathe Yahya Jammeh a osé dire ceci dans un style qui met en relief sa personne : « J’ai sorti la Gambie de l’âge de la pierre taillée et j’en ai fait un pays moderne ».
« Le Pays »