NOUVELLE DU VENDREDRI : Une mauvaise pensée
C’était sous l’ombre de l’arbre qu’exerçait Abdel le mécanicien qui lavait ma moto ce soir dans une rue de la capitale. Par hasard, je me suis arrêté un soir chez lui et depuis le sérieux du jeune homme au travail m’invitait chaque fois que j’avais besoin de louer ses services.
Sous l’ombre de l’arbre, travaillait aussi le cireur. Sous l’ombre de l’arbre, les gens venaient également manger chez la vendeuse d’igname, une femme d’une cinquantaine d’années. Toujours souriante et accueillante.
Il faut dire que l’ombre du grand kapokier surtout en période de grande chaleur au Faso était pain bénit pour plusieurs personnes. L’ombre de l’arbre était un lieu rafraîchissant. Nous étions au mois d’avril et cet après-midi mâchant un bout d’igname, j’attendais mon tour auprès du laveur d’engin.
L’homme qui me précédait, plaisantait beaucoup avec le jeune mécanicien. Cela m’amusait au début, mais me rendant compte que l’homme était du genre vantard et imbu, je m’abstins de participer à la causerie.
– Tu es idiot comme mon ivrogne de voisin, un locataire qui plante des arbres dans sa cour de location. M’interdisant de garer ma moto à côté des plantes, il prend tellement soin des arbres que cela devient énervant. Et je lui ai dit hier : tu te fatigues, bientôt il y aura de beaux arbres ici, mais tu seras loin. Tu sais ce qu’il a fait ? Il m’a regardé et a souri. C’est un beau salaud ce voisin !
Me prenant à témoin, l’homme taquina le jeune mécanicien pendant un moment en parlant de son idiot de voisin. Puis, cela dura une éternité pour moi, il démarra sa moto et s’en alla.
Je me posai cette question : est-ce parce que nous sommes de passage dans un endroit que nous ne devons pas prendre soin de ce lieu ? Si nous avons le consentement du propriétaire des lieux, est-ce parce que nous sommes de passage dans une cour de location que nous ne devons pas y planter un arbre ? Pourquoi pas ?
Tôt ou tard sur terre, nous sommes tous de passage et pourtant nous œuvrons. Parfois pour nous, mais aussi pour l’avenir. Pour ceux aussi qui viendront après nous.
Toute la morale universelle nous le recommande : le travail pour soi et le travail pour la postérité.
Je ne partageais pas du tout la philosophie de l’homme qui venait de partir. Pendant que je me parlais intérieurement, la vendeuse d’igname s’exprima :
– Le silence est mieux que la mauvaise pensée exprimée avec une telle conviction. Un locataire qui plante dans une cour de location un arbre avant de partir, est loin d’être un idiot. Au contraire, je pense que c’est un visionnaire qui regarde plus loin que sa propre personne. Un homme qui souhaite apporter un plus à ceux qui arrivent après lui. Si beaucoup d’hommes et femmes pensaient ainsi, nos rues, nos marchés, nos quartiers, disons nos lieux publics, seront bien entretenus et dans de bonnes mains pour l’avenir. Malheureusement, beaucoup pensent comme ce monsieur qui vient de partir. Dommage ! Au diable après moi ! Et c’est cela la source des fléaux dans notre société. Enfant au village, on se retournait pour écarter du chemin l’épine qu’on a évitée. Pour ceux qui viendront après nous. C’est un geste mais aussi une philosophie de vie.
– Madame, merci pour vos sages paroles ! Ai-je dit à la dame.
– Quand je pense à ces hommes et femmes qui ont souffert pour nous permettre de profiter des arbres d’aujourd’hui, je pense qu’on ne doit pas avoir une telle pensée.
Pendant que mon ami Abdel souscrivait à la pensée de sa voisine, l’homme à la pensée obscure, revint sous le kapokier.
– Madame, donnez-moi un plat d’igname. C’est très agréable de rester sous l’ombre de cet arbre.
Abdel, sa voisine et moi, nous nous regardions. Dans le silence de nos regards, nous nous comprenions. Nous pensions à ces hommes et femmes qui ont donné leur force, leur sueur et parfois leur sang pour nous permettre aujourd’hui d’être à l’ombre de cet arbre.
Dans le silence de nos cœurs, nous leur adressions une vive prière !
Ousseni Nikiema, [email protected] 70-13-25-96