BOXE, LUTTE HANDBALL, RUGBY, ETC. : Zoom sur les sports dits mineurs au Burkina
Au Burkina Faso, en plus du football, « sport roi » très bien chouchouté, il y a d’autres disciplines sportives, loin des oreilles et des yeux chastes de l’opinion et dans la clandestinité totale, qui font rayonner l’image du pays sur la scène continentale et internationale. Mais ces disciplines sont reléguées au second plan en terme d’investissements publics et de valorisation des élites. Elles ont pour noms : boxe, handball, rugby, hockey sur gazon, lutte, athlétisme, karaté, pour ne citer que celles-là. Voyage au cœur de ces sports dits mineurs.
Combien de Burkinabè ont-ils effectué le déplacement de l’Aéroport international de Ouagadougou quand nos handballeuses cadettes sont revenues de leur expédition fructueuse de la Coupe des zones 2 et 3 de la Confédération africaine de handball qui a eu lieu au Bénin, il y a de cela quelques mois ? Combien étaient-ils à l’aéroport pour accueillir nos lutteurs et athlètes qui ont brillé aux 8es Jeux de la Francophonie en juillet 2017 à Abidjan ? Qu’en est-il de l’accueil réservé à nos karatékas et taekwondoistes qui se sont illustrés de fort belle manière respectivement lors du TIKA zone au Bénin et à l’OPEN International G1 d’Accra ? On ne saurait donner des chiffres de ceux qui les ont accueillis à l’aéroport, mais ces athlètes burkinabè, partis sans fanfare ni trompette, dans ces différentes compétitions, sont tous revenus auréolés de plusieurs médailles. Ces hauts faits des dignes ambassadeurs de notre pays dans ces disciplines, sont presque passés inaperçus, dans l’indifférence des Burkinabè.
Tout le contraire des footballeurs. Ces derniers ont eu droit à tous les honneurs, en février 2017, après leur troisième place à la Can 2017 au Gabon. Reçus en grande pompe au palais de Kosyam par le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, ces joueurs ont été élevés, pour les uns au grade d’officier dans l’Ordre national, et pour les autres, au rang de chevalier.
Traités à la tête du client
Ces deux tableaux peints différemment, sont l’illustration parfaite que toutes les disciplines sportives ne jouissent pas du même engouement et de la même considération au Burkina Faso. Les fortunes ne sont pas identiques pour tous. Concrètement, les responsables des sports dits mineurs rencontrent d’énormes difficultés, dans la gestion quotidienne de leurs disciplines respectives. A part la subvention du ministère des Sports et des loisirs qui leur permet de souffler, les fédérations et les clubs vivent généralement de dons et d’apports de bonnes volontés. Drissa Kaboré, président de la Fédération burkinabè de hockey sur gazon, confirme cette réalité : « Au niveau de notre fédération, hormis la subvention du ministère, nous vivons des aides que nous recevons. Et dans notre quête de moyens pour pouvoir subsister, nous recherchons des mécènes pour nous aider à organiser certaines compétitions et acquérir du matériel. Le manque de moyens financiers est vraiment l’un des problèmes clefs de notre fédération». Denis Nanéma, président de la Fédération burkinabè de tennis de table, ne dit pas le contraire. « Nos problèmes réels sont le manque de matériels et de moyens financiers. Les besoins sont énormes par rapport au budget que le ministère nous octroie. Mise à part la subvention que le ministère nous alloue, il nous arrive souvent de mettre la main à la poche pour financer nos activités. Nous aurions bien voulu avoir des sponsors pour nous accompagner, mais on nous a fait comprendre, au niveau du ministère des Sports et des loisirs, que le Fonds national pour la promotion du sport et des loisirs était le seul organe habilité à collecter les fonds auprès des sponsors pour le compte du ministère. Il y a eu une correspondance qui a été adressée à toutes les fédérations et dans laquelle il leur est fait obligation de ne pas aller vers les sponsors », a fait remarquer Denis Nanéma.
« A part le football et la boxe qui ont des sponsors, aucune autre fédération ne peut se targuer d’être mieux lotie », ajoute Denis Nanéma qui dit ne pas comprendre « cette politique du deux poids deux mesures de la part du ministère ». « Si la loi sur la parafiscalité qui avait fait l’objet de recommandations lors des états généraux sur le sport avait été appliquée, cela pourrait soulager un tant soit peu les dirigeants de clubs. Cette loi existe dans certains pays de la sous-région comme la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et autres. La parafiscalité qui est le prélèvement sur un certain nombre de taxes (brasserie, téléphonie mobile et autres) qu’on redistribue aux fédérations sportives, a permis à ces pays de mieux accompagner le sport », précise notre interlocuteur du tennis. « Depuis que je préside aux destinées de cette fédération, je n’ai jamais reçu un centime du ministère pour me rendre à une assemblée générale de ma structure. J’y vais avec mes propres moyens », a-t-il fulminé. Il invite le ministère à mettre en application les recommandations issues des états généraux sur le sport qui, dit-il, dorment dans les tiroirs.
Du côté de la Fédération burkinabè de boxe, c’est nuancé. Thiene Abdramane Koné n’attend pas la subvention du ministère, du reste insuffisante, relève-t-il, pour démarrer ses activités. « La léthargie de la boxe burkinabè est liée aux finances. C’est pourquoi, dès ma prise de fonction, j’ai réuni les membres de mon comité directeur pour leur dire que le salut de la boxe dans notre pays ne viendra que de nous-mêmes d’abord et non de personne d’autre. Notre premier bailleur qui est le ministère des Sports et des loisirs, a aussi ses problèmes car les fédérations sportives, de façon générale, ont le regard tourné vers sa direction pour financer leurs activités. Moi, je ne m’inscris pas dans cette démarche. En tant que président de la Fédération burkinabè de boxe (FBB), je compte sur mes propres moyens d’abord. Je suis en train de travailler à préfinancer toutes mes activités, quitte à ce que le ministère me rembourse après. J’interpelle d’ailleurs les autres présidents de fédérations à s’inscrire dans cette dynamique, car il y va de leur responsabilité et de leur crédibilité », a-t-il lâché. La question ici posée, est de savoir si tous les présidents de fédérations sont assez financièrement assis au point de pouvoir préfinancer leurs activités. Du reste, ne peut-on pas craindre une personnalisation de la gestion des fédérations si chaque président doit mettre ses propres sous dans les activités ? Enfin, un sport qui vit sur financement informel, peut-il vraiment être professionnalisé ? Voilà des questions de fond. Un autre président de fédération qui a requis l’anonymat, ne décolère pas contre les autorités burkinabè qui, selon lui, ne font pas toujours du financement des activités sportives une priorité budgétaire. La volonté du ministre des Sports d’accompagner les différentes fédérations est totale mais ce département assiste, impuissant et à titre d’exemple, au désarrois de nombreux sportifs privés de compétitions internationales, faute de moyens.
Légiférer sur le sport
« Chaque performance de nos sportifs est aujourd’hui saluée par de nombreux communiqués à la télévision et dans les journaux, de la part des dirigeants de la classe politique… Mais quand il s’agit de mieux doter le département de tutelle pour consolider, voire accentuer notre présence sur la scène sportive africaine et internationale, presque tout le monde joue aux abonnés absents. On se bouscule pour soulever et partager les lauriers, mais le financement devient le souci du seul département des sports », a pesté notre interlocuteur avant d’ajouter : « Si la loi sur le sport est une attente de première nécessité, le problème des infrastructures n’en est pas moins une. C’est en cela qu’il urge que le patron du sport dans notre pays, se concentre sur la loi sur le sport. Tout le problème est là. Tant qu’il n’y aura pas ce repère légal, cette constitution de la pratique du sport au Burkina Faso, nous naviguerons à vue et continuerons de baigner dans l’amateurisme. Car, c’est de cette loi que sortiront les solutions qui permettront à notre pays d’apporter une aide substantielle aux associations sportives au Burkina Faso. C’est cette loi qui donnera assez de garanties à nos jeunes qui veulent embrasser une carrière sportive, parce qu’assurés qu’ils baigneront dans un monde professionnel. C’est de par cette loi que les entreprises pourront véritablement intervenir dans le sponsoring des clubs, des fédérations et des athlètes. C’est encore cette loi qui garantira des lendemains tranquilles à tous ceux qui se seront battus pour défendre vaillamment les couleurs de la Nation. Il faut donc arrêter de tourner en rond et tenter de faire croire qu’on va réinventer l’eau chaude. Aujourd’hui, l’amateurisme dans lequel baigne le sport au Burkina Faso tire en partie sa cause dans le manque d’infrastructures ».
Du côté du ministère des Sports et des loisirs (MSL), le ministre Taïrou Bangré multiplie les gestes de bonne volonté à l’endroit de toutes les fédérations sportives du Burkina Faso. Du moins, c’est ce qui nous a été dit. Le ministère réfléchit, dans un cadre plus global, aux solutions à apporter non seulement au football, mais aussi au sport burkinabè dans son entièreté. Pour réussir ce pari, les fédérations sont invitées à mieux s’organiser et à se montrer plus créatives dans la recherche de moyens additionnels pour booster leur sport. « La cagnotte allouée aux différentes fédérations sportives, mis à part le football, est de 500 000 000 de F CFA. A cela, il faut ajouter l’accompagnement du Fonds national pour la promotion du sport et des loisirs qui est une structure autonome, mais sous la tutelle du ministère des Sports et des loisirs. Cette somme ne représente pas grand-chose par rapport à la kyrielle de disciplines qui existent dans notre pays. Ces fédérations doivent savoir que l’argent que nous leur remettons, n’est qu’un soutien. Il ne faudrait pas qu’elles s’appuient sur cela pour vivre. Elles ont donc l’obligation de s’organiser, se restructurer et s’ouvrir d’autres moyens de financements pour développer leur sport afin d’offrir le meilleur à leurs athlètes», a indiqué le ministre Bangré. Quant à la place qu’occupe le sport dans le Plan national de développement économique et social (PNDES), la réponse du ministre est sans équivoque : « La place du sport dans le PNDES s’articule autour de plusieurs volets qui sont, entre autres, développer le sport pour favoriser le bien-être des Burkinabè et par ricochet le rayonnement du Burkina Faso, développer les activités liées au sport et permettre à nos créateurs, nos entreprises de concevoir du matériel sportif. Ce qui nous évitera d’importer du matériel sportif à coût de milliards de F CFA. Pour me résumer, je dirais que le sport occupe une place de choix dans la vision du PNDES ».
Des responsables passionnés, des sportifs délaissés
Les différents responsables de fédérations et de clubs que nous avons rencontrés, estiment qu’ils ne tirent rien de leur engagement en tant que dirigeants sportifs. Ils le font plutôt par pure passion. Pour ce faire, ils sont prêts à investir tout ce qu’ils ont par amour. Abdramane Koné, président de la Fédération burkinabè de boxe, le confirme : « Je mets la main à la poche pour essayer de régler quotidiennement les problèmes des boxeurs : leur transport, les primes, leur nourriture lors des compétitions. Je paie les licences. La boxe est comme tout autre sport. C’est la passion qui nous fait faire tout cela. Nous faisons des efforts pour nous maintenir. Sinon, il n’y a rien ». Le président de la Fédération burkinabè de tennis de table, Denis Nanéma, dit pour sa part : « Il n’y a pas de discipline professionnelle au Burkina Faso. On pratique le sport parce qu’on l’aime ; c’est tout ».
Si les responsables de fédérations et de clubs ont du mal à joindre les deux bouts dans la gestion quotidienne de leurs activités, ne demandez pas ce qu’il en est des principaux acteurs que sont les athlètes. Sayouba Birba, le meilleur athlète AJSB (Association des journalistes sportifs burkinabè) de la saison 2016- 2017 au niveau du Baseball, déplore les conditions de travail. « Nous travaillons dans des conditions difficiles. En plus, rien n’est fait pour nous motiver. J’habite très loin de mon lieu d’entraînement. Si je dois me déplacer de Somgandé où j’habite pour me rendre tous les jours à mon lieu d’entraînement qui est situé à Gounghin, alors que je ne dispose pas d’assez de moyens pour payer tous les jours le carburant, il va sans dire que cela va entraîner un manque de motivation », dit-il. Puis de lancer ce cri du cœur à l’endroit des sponsors et à tous ceux qui œuvrent à la promotion du sport dans notre pays. «La Fédération burkinabè de baseball ne disposant pas d’assez de moyens, je voudrais lancer un appel à l’endroit des sponsors et à toutes les bonnes volontés afin qu’ils viennent en aide à cette jeune fédération qui, en dépit des conditions de travail très difficiles, arrive à obtenir de bons résultats », implore-t-il. Même réaction de la part du capitaine du Faso Rugby club (FARC), champion de la saison 2016-2017 de rugby, Aboul Aziz Soulama, que nous avons rencontré à l’issue de la finale du Championnat national de rugby, le 26 novembre dernier au stade Yssoufou Joseph Conombo de Ouagadougou. « Le rugby, ici au Burkina Faso, ne nourrit pas son homme. Personne parmi nous, ne peut lever le petit doigt pour dire qu’il a perçu la somme de 10 000 F CFA après un championnat. Vous l’aurez constaté par vous-même ; nous sommes plus de 30 athlètes sur la feuille de match, et voilà ce que nous avons perçu comme prime après notre sacre de cet après-midi. La modique somme de 100 000 F CFA à répartir entre 30 personnes. Vous voyez que ce sont des gestes qui ne sont pas de nature à motiver les athlètes que nous sommes. Même en cas de blessure, nous ne sommes pas assistés. Pour me résumer, je dirai que c’est la passion qui nous anime, sinon il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent dans cette discipline », a-t-il expliqué. Autant de faits qui imposent la réflexion sur le financement du sport, sur le traitement des sports dits mineurs et sur le misérabilisme des sportifs qui rapportent des lauriers à la Nation. Alors que de nombreux pays africains ont engagé depuis plusieurs années un véritable travail de professionnalisation dans le sport, le Burkina Faso, lui, est dans l’attentisme.
Seydou TRAORE