AN 7 DE LA CHUTE DE BEN ALI SUR FOND DE GROGNE SOCIALE : Les fleurs du Jasmin se sont-elles fanées ?
Hier, 14 janvier 2018, a marqué le 7e anniversaire de la chute du président Ben Ali en Tunisie, à travers ce qui avait été qualifié à l’époque de révolution du Jasmin. On s’en souvient, tout était parti de façon presqu’anodine de l’immolation par le feu, de Mohamed Bouazizi, du nom de ce jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, en réaction à la confiscation de sa marchandise par des policiers. Un geste désespéré, à l’origine du soulèvement qui allait conduire au renversement, quatre semaines plus tard, du régime dictatorial du président Zine el-Abidine Ben Ali. C’était l’acte déclencheur du printemps arabe dont les bourrasques frapperont tour à tour l’Egypte, la Libye et la Syrie à des degrés divers. A quelques jours de la célébration de ce septième anniversaire, le front social est encore en ébullition. Les Tunisiens sont à nouveau dans la rue pour manifester contre la vie chère, l’austérité et la hausse des prix. En ligne de mire, la nouvelle loi de finances qui, estiment-ils, est venue en rajouter à leur misère. Et la grogne qui avait commencé de façon pacifique, est en train de s’amplifier, avec des heurts par endroits entre manifestants et forces de l’ordre, qui ont même entraîné la mort d’un quadragénaire à Tebourba, au moment où la Police comptait aussi de nombreux blessés dans ses rangs.
Il n’est pas sûr que les révolutionnaires tunisiens, dans leur majorité, regrettent l’ancien dictateur
La question que l’on pourrait se poser, est de savoir si les fleurs du Jasmin se sont fanées au point de dresser les tombeurs de Ben Ali contre les nouveaux dirigeants. En effet, le constat que l’on fait, est que l’espoir né de la chute de celui qui passait aux yeux de nombreux Tunisiens comme étant la source de leurs malheurs, est en train de s’estomper si ce n’est déjà fait. Si fait que ce qui devait marquer le début d’une ère nouvelle, faite d’espoirs de lendemains meilleurs, est en train de se transformer en véritable désillusion. En un mot, le fait d’avoir chassé le président Ben Ali, ne semble pas avoir réglé le problème existentiel des Tunisiens. De là à croire que les Tunisiens regrettent l’ex-chef de l’Etat en exil forcé en Arabie Saoudite, il y a un pas que certains nostalgiques de son régime ont vite fait de franchir. Mais dans les faits, il n’est pas sûr que les révolutionnaires tunisiens, dans leur majorité, regrettent l’ancien dictateur. Car, même si les peuples sont souvent amnésiques, il ne faudrait pas oublier les raisons qui ont conduit au départ de l’autocrate tunisien du pouvoir. Et rien ne dit que les choses auraient été meilleures s’il avait été encore aux affaires. En tout état de cause, sept ans après la chute de Ben Ali, il est un fait que les dirigeants ont certes changé, mais le quotidien des Tunisiens n’a pas positivement évolué comme ils étaient légitimement en droit de s’y attendre. Mais, ce ne sont pas les explications qui manquent. D’une part, après le départ de Ben Ali du pouvoir dans les conditions que l’on sait, le pays a mis du temps à se stabiliser, si fait que dans la foulée, les dirigeants n’ont pas eu beaucoup de marge de manœuvres dans leurs actions, en raison des fortes attentes des populations. En outre, si les têtes ont changé au niveau de l’Exécutif, l’on ne peut pas en dire autant du système qui est souvent, en pareille situation, beaucoup plus difficile à dessoucher que le fait de faire partir son géniteur.
Si avec leur révolution, les Tunisiens peuvent se targuer d’avoir acquis la liberté, l’on ne peut pas en dire autant pour le pain
Et la Tunisie ne semble pas avoir dérogé à la règle, en raison des récriminations persistantes des populations contre les autorités. C’est à se demander si les Tunisiens n’ont pas voulu faire du neuf avec du vieux ; toute chose qui pourrait expliquer la situation dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui. Pendant ce temps, le taux de chômage reste élevé, culminant à plus de 15%. D’un autre côté, le pays n’a pas non plus été épargné par les attaques terroristes qui sont venues porter un véritable coup d’assommoir à son économie qui repose en grande partie sur le tourisme. Les plus emblématiques sont l’attentat du Musée du Bardo, en mars 2015, qui avait entraîné la mort de vingt-et-un touristes étrangers, et celui de l’hôtel Riu Imperial Marhaba, près de Sousse, en juin 2015, qui a fait une quarantaine de morts dont de nombreux Britanniques. Au même moment, les forces de défense et de sécurité n’étaient pas épargnées par les attaques des islamistes qui s’en prendront même, en novembre 2015, à un bus transportant des membres de la sécurité présidentielle en pleine capitale, faisant une douzaine de victimes. Bien avant, en juillet 2014, une quinzaine de soldats périssaient dans une attaque terroriste sur le mont Chaambi. Sans oublier les assassinats d’opposants, notamment ceux de Chokri Belaïd en février 2013 et de Mohamed Brahmi en juillet de la même année. Bref, c’est comme si la Tunisie post Ben Ali était entrée dans l’œil du cyclone djihadiste, avec des départs et des retours de jeunes Tunisiens dans les rangs des organisations djihadistes.
Mais au-delà, il va falloir, aux autorités, trouver des solutions aux lancinants problèmes des Tunisiens, avant que la grogne ne prenne d’autres proportions et que la contestation en cours ne prenne une autre tournure. Surtout que de nouvelles manifestations sont annoncées pour ce vendredi 12 et le dimanche 14 janvier, à l’appel de la principale centrale syndicale du pays. Les autorités sont prévenues. Car, si avec leur révolution, les Tunisiens peuvent se targuer d’avoir acquis la liberté, l’on ne peut pas en dire autant pour le pain qui reste encore largement à gagner.
« Le Pays »