Chute du Président Ukrainien : une leçon venue de Kiev pour l’Afrique
Une fois de plus, les Ukrainiens viennent de confirmer qu’ils ne sont pas un peuple d’esclaves volontaires et héréditaires. Que pour s’affranchir d’un despote prédateur, il faut frapper soi-même le coup. Malgré la féroce répression qui s’est abattue sur les manifestants de la place de l’Indépendance, faisant plusieurs dizaines de morts et de nombreux blessés, le peuple ukrainien a arraché, grâce à sa colère et à sa détermination, une belle victoire.
Evidemment, dans la mémoire collective ukrainienne, les manifestants qui sont morts sur les autels de la liberté, de la démocratie et du rêve européen, sont et restent des martyrs. A l’heure actuelle, après sa chute et sa fuite de Kiev, le 22 février, Victor Ianoukovitch reste l’évadé politique le plus sinistre et le plus célèbre de l’Ukraine.
La chute du président ukrainien pose à l’Afrique une question politique d’importance vitale
Comme tout apprenti despote, se croyant rusé, sans scrupules, otage d’un orgueil fanfaron qui n’était qu’un voile pour dissimuler sa médiocrité politique, dirigeant son pays au service de la Russie, il n’était plus du tout en mesure d’agir avec discernement. Tocqueville avait vu juste : « les despotes eux-mêmes ne nient pas que la liberté ne soit excellente : seulement, ils ne la veulent que pour eux-mêmes, et ils soutiennent que tous les autres en sont tout à fait indignes ».
Heureusement, et jusqu’à preuve du contraire, le peuple est et reste la source du pouvoir souverain. Le peuple ukrainien ne faisait plus confiance au président Ianoukovitch, un homme qui, du fait de sa cruauté, sa perfidie, son arrogance et son mépris pour son pays, n’a cessé, en vérité, de se tromper sur lui-même.
Sinon, pourquoi n’a-t-il pas choisi, face à la colère des Ukrainiens, de démissionner et d’appeler à l’organisation d’un scrutin anticipé pour surmonter cette crise de confiance entre lui et son peuple ?
Rappelons que derrière la fin tragique de cet homme, tout est parti du souhait légitime d’une large majorité d’Ukrainiens de voir leur pays appartenir à l’ensemble euro-atlantique. Et, bien sûr, il existe une minorité d’Ukrainiens hostiles et farouchement opposés à cet arrimage à l’Europe. Ces Ukrainiens, il faut le souligner, regrettent le temps maudit de l’empire totalitaire soviétique.
Depuis son accession à la souveraineté internationale, l’Ukraine n’a cessé d’être divisée entre europhiles et russophiles. Ici, la question européenne est et reste une passion nationale.
Mais une chose est sûre et certaine, derrière la chute du président ukrainien, il existe trop de similitudes avec l’état de la gouvernance sur le continent africain.
A l’instar de Victor Ianoukovitch, nombre de dirigeants du continent noir ont du mal à admettre que le monde a changé. Et quand on abreuve un peuple d’humiliations, d’injustices, de mépris au nom d’une conception foncièrement absurde, mystagogique du pouvoir et de l’Etat, rien ne peut l’empêcher d’exiger pour lui un autre avenir.
La chute du président ukrainien pose à l’Afrique une question politique d’importance vitale : tout dirigeant qui se prétend démocrate doit savoir écouter son peuple et, mieux, se mettre à son école. Souvent, on sert aux citoyens africains cette propagande mensongère selon laquelle si leurs dirigeants n’écoutent pas leurs aspirations légitimes, c’est parce qu’ils seraient mal entourés et mal informés. Il s’agit là, très clairement, de contes pour enfants. Car, en vérité, nombre de dirigeants du continent, hostiles à tout principe d’alternance, finissent par se convaincre que leur aventure politique personnelle doit s’achever en tragédie d’une nation.
Or, l’histoire enseigne que, dans les périodes tourmentées de la vie d’une nation, le chef d’Etat a besoin, pour agir, d’une prise en compte de la réalité du pays. Et, il ne doit pas, au nom d’une certaine conception du pouvoir et de l’Etat, mettre en danger les institutions démocratiques et l’intérêt supérieur du pays.
Insatiable du pouvoir et des richesses que procure la puissance en politique, Ianoukovitch est demeuré sourd face aux aspirations à la liberté et au renouveau de son peuple
D’ailleurs, l’erreur de Ianoukovitch est d’avoir ignoré que la démocratie est enracinée, après la fin de l’empire soviétique, dans la nouvelle manière de vivre du peuple ukrainien. En s’attaquant de plus en plus aux libertés fondamentales chèrement conquises par les Ukrainiens, Ianoukovitch découvre, dans sa chute, que son peuple n’accepte pas cette marche programmée vers la dictature comme une chose normale. Et sa haine éclatait, chaque fois que les manifestants lui rappelaient le respect de la Constitution du pays. Inévitablement, le peuple ukrainien ne pouvait que se retourner contre lui, surtout qu’autour de lui, l’oligarchie rouge avait fait main basse sur toutes les richesses et ressources économiques du pays, avec la bénédiction de Moscou. S’il faut saluer le courage et la résistance démocratique et pacifique du peuple ukrainien, il convient de relever l’attitude républicaine exemplaire de l’armée. A juste titre, elle a refusé de s’immiscer dans le dénouement de la crise ukrainienne.
Décidément, sur le continent africain, cette leçon venue de Kiev ne peut qu’inquiéter certains dirigeants plus soucieux du passé que de l’avenir de leur peuple.
El nul doute que jusqu’au bout, ils croient sincèrement en leur étoile, persuadés que, malgré la gravité de la crise que traverse leur pays, les choses finiront par s’arranger. Cela porte bien un nom : l’absence du sens de toute anticipation politique.
En définitive, le pouvoir requiert de la vertu, de l’intelligence et de l’anticipation.
Triste fin que celle du président ukrainien. Comme Mobutu, Victor Ianoukovitch a fui. Comme Mobutu, il a été surpris par la fin de son règne. Insatiable du pouvoir et des richesses que procure la puissance en politique, il est demeuré sourd face aux aspirations à la liberté et au renouveau de son peuple. Comme Tandja, il a montré très tôt une tendance très forte à s’éterniser au pouvoir, toute chose qui lui bouchait les voies de la raison et de la sagesse.
Triste fin d’un homme qui recevait ses assurances politiques de l’extérieur, notamment de Moscou, comme du reste, la plupart des chefs d’Etat africains. Sort très peu enviable d’un homme aujourd’hui lâché par son propre parti et les siens qui ont beau jeu de lui reprocher à présent son autisme politique. Exactement comme en Afrique où les vôtres qui vous adoraient encore la veille, n’hésitent pas à vous charger de tous les péchés d’Israël dès que vous êtes chassé de la scène.
Quant aux Ukrainiens, ils ont raison : l’avenir de leur pays, c’est l’Europe, et non le retour du pays vers une obscurité « poutinienne » autoritaire. Certes, la Russie n’a jamais digéré la perte territoriale de l’Ukraine et de la Géorgie, craignant un « encerclement stratégique » de l’OTAN. Ce qui est sûr et certain, Poutine utilisera l’arme du gaz pour infléchir la marée insubmersible pro-européenne des Ukrainiens.
Mais rien n’indique que cette stratégie se révèle efficace, étant donné qu’aucun peuple n’adore « la servitude volontaire ».
« Le Pays »