CREATION D’UNE BANQUE AGRICOLE AU BURKINA : Le monde paysan en tirera-t-il réellement profit ?
Le Burkina Faso, c’est un pays essentiellement agricole. Cette définition, tous les scolaires du pays l’ont mémorisée. Ils savent également par cœur que cette agriculture, largement pratiquée par les populations, a un caractère arriéré. De ce fait, elle ne nourrit pas son homme, pas plus qu’elle ne permet au pays de s’extirper des affres de la famine. La cause principale de ce paradoxe est liée, selon les spécialistes, au sous-équipement agricole dont souffrent les paysans. D’où la nécessité de tirer le monde paysan par le haut, en lui permettant de moderniser ses moyens de production. La création, récemment, d’une banque agricole au Burkina répond, entre autres, à cette motivation. D’ailleurs, elle a été réclamée à cor et à cri par toutes les associations paysannes. A l’occasion de la Journée nationale du paysan tenue à Kaya en 2017, elles ont posé le problème à qui de droit, c’est-à-dire au président du Faso. Ce dernier a promis, fermement, de le faire. Et c’est chose désormais faite. En effet, les autorités viennent d’annoncer la création d’une banque dont le capital est estimé à 14 milliards de nos francs. Mieux, les autorités ont promis, la main sur le cœur, que la structure sera très bientôt opérationnelle. Il sied d’abord de rendre hommage au gouvernement, pour avoir entendu le cri de détresse des associations paysannes. Mais une chose est de créer une banque agricole, une autre, et c’est le plus important, est de faire en sorte qu’elle atteigne véritablement les objectifs spécifiques pour lesquels elle a été mise en place. C’est pourquoi les uns et les autres doivent se garder déjà d’applaudir à tout rompre, à l’annonce de la création de cette banque. En effet, dans le passé, des structures de ce genre avaient été initiées.
Les paysans ont un très mauvais souvenir de la Caisse nationale de crédit agricole
L’on peut citer, à titre d’exemple, la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA). Tout le monde connaît le triste sort qui a été réservé à cette structure. D’abord, la bureaucratie s’est vite emparée des choses au point que les paysans qui ont réellement profité des services de cette caisse, étaient une portion congrue. Et les rares élus ont été écrasés par le taux élevé des intérêts des crédits qu’on leur avait octroyés. Résultat, au lieu de desserrer l’étau de la misère, la CNCA a plutôt contribué à ajouter de la pauvreté à la pauvreté. Ce qui a été initialement perçu comme une solution, s’est vite mué en un problème dans le problème. L’autre grand problème qui a amené la CNCA à mettre les clés sous la porte, est lié à une question de gouvernance. Les agents qui y travaillaient, malgré leur nombre pléthorique, se sont gracieusement accordé des avantages hors normes. Certains agents, plus indélicats, n’ont pas craint de piller systématiquement les ressources de la CNCA. Et tenez-vous bien, l’Etat n’a pas daigné les poursuivre devant les tribunaux, pour qu’ils répondent de leurs actes. L’un dans l’autre, l’on peut affirmer que les paysans ont un très mauvais souvenir de la Caisse nationale de crédit agricole. De ce point de vue, il est impératif de tout mettre en œuvre pour que la banque agricole qui vient d’être créée, ne marche pas dans les pas de la défunte CNCA. Pour ce faire, les paysans doivent s’organiser à l’effet de contraindre leur banque à fonctionner selon les exigences de la bonne gouvernance. Dès le départ, les choses doivent être balisées pour que la banque ne devienne pas un instrument qui fasse la promotion d’une chapelle politique au détriment de la promotion véritable du monde de la daba. Des balises doivent également être posées pour éviter que la banque des paysans devienne une sorte de vache à lait pour fonctionnaires en termes de primes exorbitantes, de salaires hors norme et de bonification. L’on se gardera ici d’évoquer le terme qui fâche. Au delà des paysans, tous les Burkinabè doivent mettre un point d’honneur à positionner la banque agricole, comme un instrument au service véritable du monde des paysans. Ils doivent d’autant plus le faire que le combat pour le développement de notre pays, passe d’abord par l’affranchissement des paysans du joug des moyens de production moyenâgeux et par la création d’opportunités de financement et de modernisation de leurs activités. Et la mise en place de la banque agricole en est une. Si sa gouvernance se fait de façon vertueuse avec pour ligne de mire les intérêts bien compris des paysans, l’on pourra dès lors répondre par l’affirmative à la question de savoir si le monde paysan en tirera réellement profit.
Sidzabda