GROSSESSES NON DESIREES ET PATERNITE PRECOCE : Les jeunes à l’épreuve des méthodes contraceptives
Les grossesses non désirées ainsi que les paternités précoces deviennent de plus en plus fréquentes en ville comme dans les villages. Or, le gouvernement, dans son plan stratégique, a mis en place des structures pour la vulgarisation des méthodes contraceptives afin de permettre aux jeunes d’avoir une sexualité responsable et éviter les grossesses et paternités précoces. Malgré cela, bon nombre de jeunes sont confrontés à cette situation. Cela nous fait poser la question de savoir si le message passe, ou si les jeunes ont vraiment accès à ces méthodes de contraception. Pour en savoir davantage, nous avons fait un tour dans le village de Dialgaye, une localité située à 32 km de Koupèla. Pour la petite histoire, ce village pendant l’année scolaire 2017-2018, a enregistré environ 32 grossesses en milieu scolaire. En plus de la ville de Ouagadougou où nous avons interrogé quelques jeunes, celle de Koudougou située à 100 kilomètres de Ouagadougou, nous a aussi permis de comprendre l’accès des jeunes à la contraception.
Koupéla, la cité de cailloux blancs. En cette matinée du 11 novembre 2018, après quelques kilomètres de route à bord d’un petit car de ramassage de matériel métallique, nous voilà à Dialgaye. Après quelques renseignements auprès des habitants, nous voilà dans la cour du lycée départemental de Dialgaye. Il est 11h. Pendant que certains élèves sont en classe pour les cours avec leurs enseignants, d’autres ont fini les leurs et essaient de trouver le chemin de leur maison. Pendant que nous faisons le tour des classes, on aperçoit un bébé d’environ 6 mois qui dormait dans les mains de sa nourrice, une fillette âgée d’à peu près 7 ans. Interrogée, la fillette nous apprend que la maman du nourrisson est en classe. Edith Kouka est la mère de ce bébé de 6 mois. Elle dit avoir 21 ans et être en classe de terminale A4. Elle est tombée enceinte de son copain étudiant qui poursuit ses études à Ouagadougou, la capitale. A la question de savoir si Edith a une notion de la contraception, la réponse est non. Puis de nous confier que si elle connaissait ces méthodes, elle ne tomberait pas enceinte avant d’avoir terminé ses études. « Je ne connais pas grand-chose dans la contraception, puisque ma religion m’interdit cette pratique. Donc, à chaque fois quand il y a des séances d’information là-dessus, je n’y prête pas attention», nous martelle-t-elle. Noufou Simbré, élève de Tle D au lycée départemental de Dialgaye, la vingtaine bien sonnée, n’a pas eu froid aux yeux pour aborder la question de la contraception. Sans détour, ce dernier a indiqué que les jeunes doivent utiliser les méthodes contraceptives, notamment les préservatifs et les pilules pour éviter les grossesses et paternités précoces et aussi se préserver contre certaines maladies. « J’ai déjà utilisé un préservatif avec ma copine, et je trouve que c’est le seul moyen pour éviter d’être père étant jeune », a-t-il confié. Noufou a signifié que les jeunes, s’ils le désirent, peuvent avoir les différentes méthodes de contraception dans les centres de santé et aussi dans les boutiques et dépôts pharmaceutiques. Mais le problème souvent, c’est la honte que les jeunes éprouvent pour avoir accès à ces différentes méthodes. « On a parfois peur d’aller dans une boutique où dans un centre de santé pour demander ne serait-ce qu’un préservatif. Parce qu’on ne sait pas ce que les autres vont penser de nous », a-t-il confié. Dans les grandes villes, a-t-il souligné, c’est souvent plus facile d’avoir accès à ces méthodes que dans les campagnes et c’est l’ignorance qui fait que plusieurs jeunes deviennent parents de façon précoce. Noufou souhaite que les actions de sensibilisation et de plaidoyer soient renforcées à l’endroit des jeunes afin de leur permettre d’avoir une sexualité plus responsable. Eloi Tarpiga de la classe de 1re dit n’avoir jamais utilisé de méthode contraceptive. Il n’a vu qu’une seule de ces méthodes qui est le préservatif quand il était en 3e et depuis lors, il n’a plus jamais vu une méthode de contraception. « Je suis catholique et ma religion a une position claire sur les méthodes contraceptives modernes, qui est d’ailleurs sa non utilisation. Même ayant une copine, un jeune chrétien doit s’abstenir d’avoir des rapports sexuels avant le mariage », a-t-il soutenu. Le proviseur du lycée départemental de Dialgaye, Idrissa Korogo, a, quant à lui, indiqué que l’établissement enregistre des filles en situation de grossesse et aussi des filles-mères. Au cours de l’année scolaire 2017-2018, avant mon arrivée à la tête de cet établissement, il paraît que celui-ci a enregistré environ 36 grossesses en milieu scolaire. Pour ce qui est de l’accès des jeunes à la contraception, nous a-t-elle signifié, les services de santé font des efforts, parce qu’il existe une semaine consacrée à la planification familiale et le message passe dans tous les établissements et centres de santé. Mais malgré ces séances de sensibilisation, selon le proviseur, il y a toujours des cas de grossesses non désirées ; donc c’est pour noter que le problème ne se trouve pas au niveau de l’accessibilité, mais plutôt ailleurs. Dans les normes, a-t-il dit, ce sont les parents qui devraient mobiliser et sensibiliser leurs enfants à adopter ces méthodes. Car, à défaut de l’abstinence qui, selon ces jeunes, est très difficile à adopter, les jeunes devraient être sensibilisés sur le bien-fondé de l’utilisation des méthodes de contraception. « Avec la sensibilisation, les choses devraient bien se passer. Mais souvent, on a l’impression que les jeunes s’informent mal ou utilisent mal les méthodes contraceptives qu’on met à leur disposition. Nous souhaitons que les rencontres d’information et de sensibilisation avec les jeunes soient multipliées et que les parents parlent plus de la sexualité à leurs enfants, car nous sommes dans un monde où parler de la sexualité ne doit plus être un sujet tabou, surtout que les grossesses ne sont pas les seules conséquences de cette sexualité précoce. Il y a aussi plusieurs maladies qui sont aussi plus dangereuses que ces grossesses », a-t-il rappelé. Dans leurs propos, des jeunes ont cité la religion qui, selon eux, leur interdit d’utiliser les méthodes contraceptives qui sont perçues comme un crime. Pour ce faire, nous avons approché le curé de la paroisse Saint Jean l’évangile de Dialgaye, abbé Donatien Salégré, pour comprendre davantage. C’est devant le bureau du curé que nous nous sommes dirigés dès notre arrivée à la paroisse Saint Jean l’évangile de Dialgaye. Mais difficile de trouver quelqu’un car, il est midi et toutes les portes des bureaux sont fermées. L’ayant appelé sur son téléphone, le curé nous invite à prendre part « au repas du Seigneur », car ce dernier, avec ses frères en Christ, était à table. Quoi de plus beau que de manger à la même table que les Hommes de Dieu ! Sans hésiter, nous nous joignons à eux pour savourer le menu du jour qui était de l’attiéké avec du haricot accompagné de poulet. Après le repas, place à l’interview. L’abbé Donatien n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour dire que la position de l’église catholique est claire et nette sur l’utilisation des méthodes contraceptives modernes. « L’église catholique est contre l’utilisation des méthodes contraceptives modernes », a-t-il déclaré. Il souligne que l’église éduque une saine morale et invite tout être humain à se comporter en toute responsabilité, quelle que soit la situation. Dans ce sens, relève-t-il, l’église a toujours gardé sa position depuis des siècles. Selon lui, l’homme peut se comporter en responsable devant ces méthodes de contraception, car le créateur a mis tout en place dans l’être humain pour que ce dernier ne parte pas ailleurs pour chercher d’autres méthodes pour se prémunir dans la vie sexuelle. C’est dans ce sens que l’église éduque à la responsabilité. Dans nos cultures, a-t-il souligné, bien avant que ces méthodes ne soient créées, nos grands parents avaient la responsabilité d’éduquer les enfants à des comportements plus responsables, et pour cela, l’église n’a cessé d’aller dans le sens des saintes écritures et de la tradition pour nous amener à un comportement responsable. Donc, les parents doivent jouer leur rôle d’éducateurs. « Ce qui est reçu, est reçu à la manière de celui qui le reçoit », a-t-il souligné. Cela signifie, selon lui, que l’enseignement, peut être donné, mais il reste à savoir comment celui qui reçoit l’enseignement, l’assimile et l’applique. En sensibilisant les jeunes à l’utilisation des méthodes contraceptives, on les pousse à la limite à une vie sexuelle sans contrôle. Or, notre devoir, dans le sens de l’éducation, a-t-il ajouté, c’est d’amener tout être humain à avoir un comportement responsable. Ces méthodes que prônent les agents de santé, a-t-il poursuivi, ne sont pas à 100% efficaces et ce sont des méthodes qui ont aussi des inconvénients dans le comportement et dans la vie biologique de l’être humain. En montrant ces méthodes et, pire, la manière de les utiliser, on incite ces jeunes à mener une vie sexuelle irresponsable. Donc, a-t-il martelé, la position de l’église est la même et reste inchangée, c’est non à l’utilisation des méthodes contraceptives modernes. Dans la matinée du 12 novembre 2018, après avoir sillonné quelques artères de la ville, nous nous rendons dans l’enceinte du cours Placide Yaméogo, un établissement privé. Laureine Zongo, âgée de 15 ans et élève en classe de 3e dans cet établissement, est assise sous un arbre, cahier en main. « Je n’ai aucune notion sur cette chose et je ne sais pas non plus comment cela se passe », nous a-t-elle répondu avec un air d’étonnement quand nous lui avons demandé ce qu’elle savait de la contraception. Dès lors, nous n’avons pas jugé nécessaire de continuer la conversation avec la jeune fille, mais plutôt de lui donner quelques explications sur les méthodes contraceptives avant de prendre congé d’elle. Il est 15 h et nous voilà dans la cour de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) de Koudougou. Un cadre rempli de jeunes et chacun est occupé à faire quelque chose : certains jouent aux cartes, d’autres sont autour des verres de thé et certains sont réunis en groupes autour des causettes de sensibilisation avec les agents de santé. Joceline Nignan, âgée de 15 ans et en classe de 4e au lycée provincial de Koudougou, semble bien maîtriser la thématique. A la question de savoir si la jeune fille a une connaissance de la contraception, avec un sourire elle nous confie : « Bien sûr que je sais ce que cela veut dire. C’est une manière d’éviter les grossesses en utilisant les méthodes contraceptives qui sont soit les pilules, les préservatifs ou les implants. Avec mon copain, nous avons opté pour les pilules et c’est d’ailleurs à l’ABBEF ici que je viens souvent me ravitailler, parce qu’on ne veut pas avoir d’enfant avant la fin de nos études et ni avant le mariage ». Est-ce que l’accès à ces méthodes n’est pas souvent compliqué pour vous ? Lui avons-nous demandé. Que nenni ! Nous a-t-elle répondu. Et d’ajouter que les filles qui contractent des grossesses non désirées et précoces, sont ignorantes ou refusent même de s’informer. Car, selon elle, les méthodes contraceptives se trouvent partout, sont parfois gratuites et n’importe quelle personne qui exprime le besoin, peut être servie. En ce 21e siècle, a-t-elle déploré, on ne devrait plus parler de grossesse non désirée ou précoce, parce que toutes les méthodes sont disponibles pour éviter cela. Martine Kondé, employée de commerce dans une boutique d’habits à Ouagadougou, âgée de 23 ans, nous fait savoir que les méthodes contraceptives sont disponibles pour les jeunes. Mais la difficulté pour eux d’y avoir accès, a-t-elle souligné, c’est souvent la honte et aussi le comportement des prestataires. Souvent, dans nos centres de santé, l’accueil même décourage les jeunes à se confier où à demander des prestations en matière de contraception. En tant que jeune, a-t-elle expliqué, si tu vas dans un centre de santé pour une prestation en matière de planification familiale, tu fais l’objet de tous les noms d’oiseaux : soit on te traite de fille facile ou frivole qui couche avec des garçons, soit on dit que tu n’as pas reçu une bonne éducation. Je pense que ce sont des difficultés qui font souvent que les jeunes n’utilisent pas les méthodes contraceptives.
Valérie TIANHOUN