ELECTIONS GENERALES EN RDC
Godot est enfin arrivé mais avec un bras et un pied cassés
Deux ans après la fin constitutionnelle du mandat de Joseph Kabila, les Congolais ont pu voter le 30 décembre dernier, pour lui trouver un successeur. En plus de la présidentielle qui cristallise toutes les attentions et toutes les passions, les électeurs ont été conviés à faire le choix des députés et des membres qui animeront les futurs exécutifs provinciaux. L’on peut, tout en restant circonspect, saluer la tenue de ces élections. Car, après trois reports, bien des observateurs avaient fini par émettre des doutes quant à la tenue effective du scrutin. Et la preuve que les Congolaises et les Congolais piaffaient d’impatience pour cela et accordent un intérêt à l’événement, c’est qu’ils se sont mobilisés massivement pour accomplir leur devoir de citoyen, en tout cas, pour ceux d’entre eux qui ont eu le privilège de le faire. Godot, pour emprunter un peu le titre de l’ouvrage de Samuel Beckett, est enfin arrivé même si c’est avec un bras et un pied cassés.
C’est après avoir balisé le terrain pour Emmanuel Ramazani Shadary, que Kabila a donné quitus de tenir les élections
En effet, l’avant-élection a été émaillé de violences dont certaines ont été meurtrières. En outre, le pouvoir a réussi le tour de force de ne pas toiletter le fichier électoral et de maintenir, contre vents et marées, la fameuse machine à voter. A cela, il faut ajouter la privation du droit de vote d’un nombre important d’électeurs de localités jugées acquises, à tort ou à raison, à la cause de l’opposition. C’est après avoir balisé le terrain pour Emmanuel Ramazani Shadary, peut-on dire, que Joseph Kabila a donné un quitus à son homme lige, Corneille Nangaa, de tenir les élections. Bref, tout a été mis en œuvre en amont par le pouvoir, pour empêcher l’alternance démocratique, la vraie. Et les élections générales qui se sont tenues, dimanche dernier, ont pour vocation de donner, en réalité, un vernis démocratique au plan machiavélique concocté par Kabila et les siens.
Tous les désagréments vécus par les électeurs, le jour du scrutin, ont été suscités par le pouvoir à cet effet. C’est d’ailleurs par euphémisme que l’on peut parler de désagréments. Car, l’ouverture tardive de bien des bureaux de vote, notamment à Kinshasa, le capharnaüm qui a accompagné l’affichage des listes, l’incapacité de certains électeurs à manier la machine à voter, l’érection d’endroits non reconnus par la loi en bureaux de vote, tous ces faits participent du complot du régime Kabila pour tordre le cou à la démocratie. Et il est en passe de réussir son coup. Et le fait que l’opposition n’ait pas pu fédérer toutes ses énergies autour d’un seul candidat, est venu davantage motiver le dictateur dans sa volonté de tricher avec la démocratie.
Et ce ne se sont pas les 40 000 observateurs mis en branle par l’Eglise catholique dont il faut saluer en passant l’engagement jusqu’au bout pour la cause de la démocratie, qui peuvent l’en dissuader. Il est vrai que les Congolais ont payé de leur sang et de leur sueur pour arracher la tenue effective de ces élections mais la probabilité est grande que les résultats qui sortiront des urnes, ne reflètent pas la réalité.
L’essentiel n’est donc pas de tenir des élections mais encore faut-il que celles-ci se fassent dans l’observance religieuse des règles de la démocratie. Dans le cas d’espèce, les Congolais ont bravé le soleil et la pluie pour se rendre massivement aux urnes.
Avis de tempête sur le Congo
En outre, ils ont supporté les caprices des machines à voter et les longues attentes liées aux autres dysfonctionnements. Mais leur soif de changement par les urnes, a de fortes chances de ne pas être étanchée et pour cause. Kabila n’a pas tenu ces élections parce qu’il a une âme de démocrate. En effet, ils les a organisées pour les raisons suivantes.
La première est que le dictateur avait pratiquement le couteau sous la gorge. Car un quatrième report pouvait amener la rue à le déloger du palais de marbre de Kinshasa. L’autre raison est que Kabila a voulu montrer que son pays, en dépit de ses difficultés, peut organiser des élections sur fonds propres. Ce message empreint de nationalisme s’adresse en priorité aux Occidentaux. Cette logique un peu orgueilleuse a toujours caractérisé Joseph Kabila depuis que la communauté internationale lui a clairement signifié qu’elle attachait du prix à ce que la présidentielle se déroule dans des conditions requises par la démocratie. Depuis lors, Kabila s’est braqué contre l’Occident, notamment l’Union européenne (UE). Son dernier acte dans ce sens a été le renvoi presque manu militari de l’ambassadeur de cette institution de la RDC. Et sa défiance vis-à-vis de l’UE ira grandissante jusqu’à ce qu’il finisse d’assassiner la démocratie dans son pays. Ces élections-ci, telles qu’elles ont été préparées et organisées, s’inscrivent dans cette logique. Dès lors, une crise-post-électorale est inévitable. C’est pour limiter les dégâts, peut-on dire, que la Communauté des Etats de l’Afrique Australe (SADC) et la conférence internationale de la région des Grands lacs (CIRGL) ont déjà mis un point d’honneur à ce que les trois principaux candidats à la présidentielle que sont Emmanuel Ramazani Shadary, Martin Fayulu et Félix Tschisékédi signent un pacte de bonne conduite pour ces élections. Les deux candidats de l’opposition ont refusé de le faire parce que leurs exigences de transparence du scrutin, n’ont pas été prises en compte par la commission électorale. L’on touche du bois, car il pourrait très prochainement pleuvoir sur Kinshasa. En tout cas, la météo n’est pas bonne. Avis de tempête donc sur le Congo. L’UA (Union africaine) qui a dépêché des observateurs à ces élections, est prévenue. Fatou Bensouda également. Ils doivent d’autant plus ouvrir l’œil et le bon qu’en cas de déflagration en RDC, c’est toute la région qui risque de s’embraser.
« Le Pays »