PROCES DU PUTSCH MANQUE
Quand Achille Tapsoba et Salifou Sawadogo s’affrontent à la barre
Les dépositions des témoins cités par le Parquet se poursuivent à la barre du Tribunal militaire de Ouagadougou. Le 30 janvier 2019, c’était au tour d’Achille Marie Tapsoba, premier vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au moment des faits, de comparaître comme témoin. Le moins que l’on puisse dire, c’est que lui et Salifou Sawadogo, un des vice-présidents du CDP au moment des faits, inculpé après la levée de son immunité parlementaire, sont très divergents sur les mêmes faits. Avant eux, le cinéaste et enseignant à la retraite aussi avait été appelé pour s’expliquer sur les images qu’il a enregistrées à la même période.
Le procès du putsch manqué du 16 septembre 2015 et jours suivants se poursuit au tribunal militaire délocalisé pour l’occasion à la salle des banquets de Ouaga 2000. Après les accusés, c’est au tour des témoins de dire ce qu’ils savent au tribunal afin d’éclairer sa lanterne. Deux d’entre eux se sont expliqués hier, 30 janvier 2019. Il s’agit de Rasmané Ouédraogo dit Raso, acteur de cinéma, et Achille Tapsoba. Pour mieux comprendre, Salifou Sawadogo et Léonce Koné, tous deux au box des accusés, ont également été appelés pour des confrontations. De ces confrontations, l’on retient que l’accusé Salifou Sawadogo et le témoin Achille Tapsoba n’ont pas vécu les évènements de la même manière. Pire, les mêmes faits sont relatés avec des versions différentes. Un véritable affrontement verbal entre deux personnalités du même parti. En effet, selon le récit d’Achille Tapsoba, le 16 septembre 2015, une réunion statutaire avait été convoquée au siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) sis à l’avenue Kwame N’Krumah par le président Eddie Komboïgo. L’ordre du jour était de revisiter la liste des candidatures rejetées aux élections législatives afin de procéder à leurs remplacements. Cette réunion a pris fin vers 14 h et le secrétariat avait aussi pris la décision de travailler pour le lancement de la campagne. Pour achever le travail avec le personnel administratif, il est resté jusqu’aux environs de 18h. Mais avant de quitter le siège du parti pour son domicile, il a dissuadé des jeunes de barrer la route, après avoir appris l’arrestation des autorités de la Transition. Toujours selon Achille Tapsoba, les instances du parti ont posé le problème du financement de la campagne qui s’ouvrait quelques jours plus tard. C’est ainsi que Eddie Komboïgo s’est retiré pour revenir plus tard avec la somme de 15 millions de F CFA qu’il lui a remis tout en donnant la clé de répartition. Sur les consignes du président Eddie Komboïgo, il dit avoir remis 15 millions de F CFA à Salifou Sawadogo, premier responsable de la section du Kadiogo, pour le lancement des activités de la campagne. Un million de F CFA avait également été réservé pour la sécurité du siège du parti parce qu’ils avaient appris, comme tout le monde, que des choses graves se passaient à Kosyam. Des informations inexactes selon Salifou Sawadogo, un des vice-présidents du CDP au moment des faits.
« Vous avez entendu les déclarations du témoin Achille Marie Tapsoba. Qu’avez-vous à dire ? », interroge le Juge Seidou Ouédraogo. Selon ses dires, dans la matinée du 16 septembre 2015, il y a eu une réunion au siège du CDP. Cette réunion a pris fin vers 14h. c’est ainsi qu’il s’est rendu au jardin Yennenga, avec Achille Tapsoba et d’autres responsables du parti, pour prendre des forces et poursuivre de façon informelle, les échanges . Sur les lieux, ils ont appris ce qui venait de se passer au palais présidentiel. Tout de suite, une rencontre a été convoquée au siège du parti dans les 30 minutes qui suivaient, pour savoir la conduite à tenir. Il arrive au siège et trouve Achille Tapsoba parce qu’il a fait un détour à la maison. Dans la foulée, il voit arriver Eddie Komboïgo, président du CDP, Fatou Diendéré et d’autres responsables du parti. N’ayant pas d’amples informations, la décision a été prise de sécuriser les domiciles des responsables du parti à cause de ce que ces derniers ont vécu les 30 et 31 octobre 2014, lors de l’insurrection populaire. Pour assurer le succès de cet exercice, certains ont exprimé la nécessité de trouver de l’argent. C’est ainsi que Eddie Komboïgo décide d’aller à la banque lui-même, pour être sûr de revenir avec l’argent nécessaire parce qu’il savait que les banques allaient être fermées dans les heures qui suivent. Quelques instants plus tard, il revient avec un petit carton contenant 15 millions de F CFA qu’il a remis à Achille Tapsoba. Ce dernier remet à son tour 10 millions de F CFA sur les 15 à Salifou Sawadogo. Après ce récit, il fait observer qu’il y a deux points sur lesquels il n’est pas d’accord avec les déclarations de Achille Tapsoba. Le premier point, c’est qu’il y a bel et bien eu une 2e réunion le 16 septembre 2015, après celle du matin. Le 2e point sur lequel il dit avoir un point de vue différent de celui du témoin, c’est la destination de l’argent. Pour lui, l’argent a été remis pour sécuriser les domiciles des responsables du parti et non pour la campagne comme l’avait dit Achille Tapsoba. « Si l’argent avait été remis pour la campagne, comment se fait-il que le Kadiogo bénéficie de 10 millions de F CFA à lui tout seul sur les 15 millions apportés par le président Eddie Komboïgo ? » Signalons qu’avant Achille Tapsoba, Rasmané Ouédraogo Alias Raso était à la barre pour éclairer le tribunal. Son audition a porté essentiellement sur une vidéo qu’il a filmée grâce à son téléphone portable pendant la période. Laquelle vidéo a été publié sur facebook et reprise par la chaine de télévision française France 24. Ce jour-là, se souvient Ramané Ouédraogo, il était chez lui à domicile sis à la cité An 3 de Ouagadougou. Du premier étage, il a aperçu des militaires qui étaient en train de violenter des jeunes. Choqué par la scène, il a décidé de la filmer avant de la publier sur le réseau social Facebook. Quelques temps après, il dit avoir reçu des appels téléphoniques de personnes anonymes tendant à le menacer. C’est après cet appel qu’il a été contacté par France 24 qui voulait publier ses images sur sa chaine. Toute de suite, il rentre en contact avec sa fille qui s’y connait en droit pour avoir les implications juridiques. Elle lui suggère de démultiplier l’enregistrement et de le mettre en lieu sûr à cause des menaces dont il a été victime. Dans le témoignage du comédien qui a suivi certaines scènes, il y a eu des courses-poursuites entre des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle et des civils pratiquement durant toute la période du putsch. « Ils les frappaient avec la main droite, puis la main gauche. Par moments, c’est comme s’ils étaient fatigués de frapper. Entre temps, d’autres éléments sont venus s’ajouter et ils ont continué à les frapper avec des cordelettes et des ceinturons », a témoigné Rasmané Ouédraogo qui a précisé que ces militaires avaient des véhicules de type bariolé.
Issa SIGUIRE