DANS L’ATTENTE DES RESULTATS DE LA PRESIDENTIELLE
Le Nigeria saura-t-il contrarier les démons de la violence ?
Après le vote du 23 février dernier, les Nigérians sont dans l’attente des résultats de la présidentielle. Comme on pouvait s’y attendre, la partie risque de se jouer entre le président sortant, Muhammadu Buhari, et son principal challenger, le business man Atiku Abubakar. Même si quelque 48 heures après le vote, certaines sources donnaient une légère avance au locataire de Aso Rock, rien ne semblait joué entre les protagonistes que le décompte partiel de la Commission électorale (INEC) mettait au coude à coude. Toutefois, cette période de compilation et d’attente des résultats est quelque peu chargée de souffre en raison des accusations et autres suspicions de tentatives de fraudes qui fusent de part et d’autre.
La bagarre qui s’annonce déjà entre l’opposition et le pouvoir n’augure rien de bon pour la paix sociale
Dans la foulée des premiers résultats qui donnent l’avantage au président Buhari, le parti de son challenger a ouvertement accusé le pouvoir de « manipuler » les résultats en sa faveur. Quand on sait que l’atmosphère était déjà tendue à la veille du scrutin, en raison, entre autres, du report in extremis du vote d’une semaine par l’INEC, l’on est fondé à nourrir de sérieuses craintes quant à la suite du processus, si les deux camps devaient continuer à se renvoyer la balle des soupçons de tricherie. La question est de savoir si le Nigeria saura contrarier les démons de la violence.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la confiance ne semble pas la chose la mieux partagée entre les protagonistes de cette présidentielle dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Le fait que le scrutin ait pu se tenir, est déjà en soit une victoire et un motif de satisfaction. Car, à l’annonce du report, ils étaient nombreux à être dubitatifs par rapport à la tenue même du scrutin. Finalement, la nouvelle date a été respectée et les Nigérians ont su relever le défi de la participation en se rendant massivement aux urnes, dans un calme relatif. Pour le reste, on attend de voir qui de Muhammadu Buhari et de Atiku Abubakar, les deux favoris de la septantaine de candidats, décrochera le Saint Graal. Mais la bagarre qui s’annonce déjà entre l’opposition et le pouvoir qui se rejettent la balle de la magouille, n’augure rien de bon pour la paix sociale. D’autant plus que dans le cas d’espèce, l’on n’est pas à l’abri de drames qui ont d’ailleurs quelque peu émaillé et ensanglanté par endroits la campagne électorale. Et si les couteaux doivent à présent être tirés pour régler le différend dans la rue, il faut craindre le pire. D’autant plus que le Nigeria est coutumier du fait et nous a souvent habitués à des scènes de violences inouïes. C’est pourquoi il y a lieu de craindre que les présents tiraillements, dans une telle atmosphère de suspicion et d’accusations réciproques, ne soient le calme qui précède la tempête, ou encore les prémices d’une crise postélectorale majeure. Car, si ce géant anglophone s’enrhume, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui risque de tousser. C’est pourquoi il est impératif d’entourer le processus de compilation des résultats, de toutes les garanties de transparence pour aboutir à des résultats qui ne puissent souffrir d’aucune contestation. Il faut surtout éviter de se lancer dans des projections fantaisistes de chiffres qui viseraient à couper l’herbe sous les pieds des structures habilitées à donner les résultats officiels. Cela pourrait contribuer à renforcer la confusion dans la tête des électeurs et à jeter inutilement de l’huile sur le feu.
L’attente nourrit la suspicion et c’est de la suspicion que naissent les contestations
Cela dit, à l’épreuve de la démocratie, le continent africain a encore bien du chemin à parcourir. Même si elle semble révolue, l’époque des partis uniques où des grands timoniers qui remportaient sans coup férir les élections avec des scores staliniens. Aujourd’hui, les parties sont souvent serrées entre les protagonistes électoraux, comme c’est visiblement le cas dans le présent scrutin au Nigeria. Cela est la preuve de l’intérêt de plus en plus grandissant des populations pour la chose politique et d’un éveil des consciences qui pourraient être la traduction d’une certaine maturité des peuples africains. Mais là où le bât blesse, c’est la propension à la fraude qui semble guider l’action de nombreux politiciens. L’Afrique de la politique doit résolument tourner le dos à la culture de la triche qui semble la caractériser. Car, il est triste de voir comment des politiciens, sous nos tropiques, rusent et reposent leurs espoirs sur la fraude pour espérer gagner des élections. C’est à se demander si certains n’en font pas tout un programme dans leurs obscures officines. Comment vouloir ensuite des dirigeants probes, patriotes et honnêtes si dès le départ, ils ont usé de fourberie pour parvenir à leurs fins ? Il faut que ça change ! Du reste, il est incompréhensible que près de soixante ans après les indépendances, l’Afrique n’ait toujours pas mis en place des instruments et autres mécanismes nécessaires qui permettent de donner les résultats électoraux dans les délais les plus courts sitôt le vote terminé, comme cela se passe ailleurs. Pourtant, c’est un élément important de garantie de la paix sociale qui peut permettre d’éviter des crises voire des guerres inutiles. Car, l’attente nourrit la suspicion et c’est de la suspicion que naissent les contestations qui, elles-mêmes, engendrent la violence. La suite se passe de commentaire.
En tout état de cause, il est plus facile d’accepter la défaite quand on a été battu à la régulière que quand on l’a été de façon injuste. Et il faut convenir que c’est au fair play électoral aussi que l’Afrique construira sa démocratie, pour le bien des populations qui sont, souvent, les premières et les seules à payer le lourd tribut des comportements répréhensibles des politiciens.
« Le Pays »