CONDAMNATION D’UNE JOURNALISTE MAROCAINE POUR AVORTEMENT ILLEGAL
La Justice marocaine a-t-elle fait la sourde oreille au sujet de la journaliste Hajar Raissouni poursuivie pour « avortement illégale » et «relations sexuelles hors mariage»? C’est ce que laisse penser la décision qu’elle vient de rendre. En effet, la jeune journaliste a été condamnée hier, à un an de prison ferme. Ses coaccusés n’ont pas non plus échappé à la sentence de la justice, puisque son gynécologue écope de deux ans de prison ferme, son fiancé d’un an ferme, un anesthésiste d’un an de prison avec sursis et une secrétaire de huit mois avec sursis. Si ces condamnations ont été prononcées par une Justice qui se veut indépendante, il n’en demeure pas moins que celles-ci suscitent indignations et incompréhensions. En effet, depuis l’arrestation de cette journaliste, des voix et pas des moindres, s’élevaient chaque jour pour exiger sa libération pure et simple car, aux yeux des associations de défense des droits de l’Homme et de nombreux membres de sa corporation, ce procès est un acharnement contre un roseau. Autrement dit, une persécution politique liée au métier de la jeune dame qui, soit dit en passant, travaille pour un célèbre quotidien critique au Maroc, mais aussi a des liens de famille avec un éditorialiste aux écrits acrimonieux à l’encontre du pouvoir et un idéologue ultraconservateur tout aussi acerbe dont elle est la nièce. De là à voir derrière l’embastillement et les ennuis judiciaires de la jeune journaliste, une volonté de musèlement de voix dissidentes, il y a un pas que les défenseurs de la jeune dame ont vite fait de franchir. Mais si ceci explique vraiment cela comme le pensent ces derniers, c’est que le roi se trompe d’adversaire.
En voulant faire du cas Hajar Raissouni un exemple, le régime de Rabat se paie à moindre frais une mauvaise publicité dont il n’avait pas besoin
Il se trompe d’autant plus lourdement que si l’objectif inavoué de ce procès était de réduire au silence des voix gênantes, cela produirait l’effet contraire en donnant à l’affaire une répercussion qui n’aurait jamais dû dépasser les frontières du royaume. Car, combien de femmes marocaines sont-elles jugées pour des faits similaires dans le plus grand anonymat dans leur pays ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Mais en voulant faire du cas Hajar Raissouni un exemple, le régime de Rabat qui traîne déjà la réputation d’être allergique aux critiques, se paie à moindre frais une mauvaise publicité dont il n’avait pas besoin. Car, que l’avocat de la jeune accusée parvienne ou non à prouver son innocence comme il promet de le faire en faisant appel de la décision rendue, le procès en lui-même portait déjà atteinte à l’image du Maroc en donnant finalement le sentiment que les autorités veulent en profiter pour régler leurs comptes politiques avec la jeune journaliste et certains de ses proches, sur la base d’arguments spécieux. Cela n’est pas en leur honneur. D’autant plus que le jeune monarque est apprécié pour ses efforts de modernisation du royaume dans un souci de préservation des valeurs religieuses. Cela dit, dans une société marocaine en pleine mutation, le débat sur la question de l’avortement est certes un sujet sensible, mais il est de plus en plus difficile d’en faire l’économie. Déjà, de nombreuses personnes demandent la dépénalisation de l’avortement et les relations sexuelles hors mariage. Seront-ils entendus ? On attend de voir. Mais d’ores et déjà, l’on peut affirmer sans risque de se tromper qu’en condamnant la journaliste, le royaume chérifien se veut ferme sur la question. En tout cas, il persiste et signe mais jusqu’où ira cette fermeté ? Le temps nous situera.
« Le Pays »