EVENTUEL RETOUR DE GBAGBO ET DE BLE GOUDE EN COTE D’IVOIRE
Depuis la liberté de mouvement retrouvée par Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé jusque-là assignés à résidence respectivement à Bruxelles et à La Haye, la mer politique ivoirienne est particulièrement agitée, d’autant que ce coup de théâtre intervient à quelques mois de la présidentielle annoncée comme l’une des plus ouvertes de l’histoire de la Côte d’Ivoire. La question qui fait monter le mercure dans le landerneau politique ivoirien, est maintenant celle de savoir si les deux ex-pensionnaires de la célèbre prison néerlandaise de Scheveningen reviendront triomphalement dans leur pays en vertu de l’arrêt rendu par la Cour pénale internationale, le 28 mai dernier, pour renouer avec leurs domaines de prédilection, c’est-à-dire la politique et les joutes électorales. La réponse est « peu probable », quand on sait que le pouvoir en place à Abidjan, connaît la capacité de nuisance politique de ces deux barrons du Front populaire ivoirien (FPI).
La question de possibilité du retour des deux personnages clivant en Eburnie, fait déjà des vagues
Surtout au moment où ses alliés d’hier devenus aujourd’hui ses adversaires farouches, tentent de se coaliser afin de lui porter l’estocade au soir de la présidentielle, le 31 octobre prochain. Alassane Ouattara et ses partisans disposent pour cela d’une arme dissuasive, notamment la condamnation par contumace à la réclusion criminelle de Gbagbo et de son bras droit qui réfléchiront par deux fois avant de venir volontairement mettre les pieds dans cet univers carcéral exécrable d’Abidjan ou d’autres villes de la Côte d’Ivoire qu’ils connaissent bien. Et même si le président ivoirien avait clamé haut et fort que tous les Ivoiriens sans distinction peuvent revenir au pays, il n’est pas sûr que dans les cas de Gbagbo et de Blé Goudé, il fasse preuve de la même galanterie politique. Il pourrait en effet invoquer les risques de troubles à l’ordre public pour doucher l’espoir des GORs (Gbagbo ou rien) de voir leur champion revenir au pays pour reprendre du service après quasiment dix ans de purgatoire. Si pour les partisans de l’ancien président et de son truculent ministre de la Jeunesse, empêcher ces derniers de rentrer au pays, sonnera comme une hérésie politique et même comme une faute de bon sens au moment où on prône la réconciliation nationale, beaucoup d’autres Ivoiriens et pas seulement les pro Ouattara, sont vent debout contre toute éventuelle réhabilitation de ces deux acteurs majeurs de la crise postélectorale de 2010-2011 à cause de leur responsabilité réelle ou supposée dans les violences et les tueries que le pays a enregistrées durant cette période. Comme on le voit donc, cette question de libération même conditionnelle, et la possibilité du retour des deux personnages clivant en Eburnie, fait déjà des vagues, et va indubitablement réveiller le douloureux souvenir des années de braise où l’armée ivoirienne dont Gbagbo était le chef suprême et les rebelles fichés comme pro Ouattara, rivalisaient dans le macabre jeu de qui tuera le plus.
Alassane Ouattara ne prendra pas le risque politique de passer tous les crimes commis en 2010-2011 par pertes et profits
La douleur sera d’autant plus profonde du côté des victimes de la guerre civile, que si Gbagbo et Blé Goudé venaient à être autorisés à rentrer librement au pays, il n’y aurait finalement plus de coupables dans cette affaire, puisque les quelque huit cents personnes condamnées et supposément proches de l’ancien président, ont été amnistiées en août 2018, et qu’aucun chef de guerre de la rébellion n’a été jusqu’ici traduit en justice pour les crimes commis notamment dans l’Ouest du pays. De toute évidence, le timing ne militera pas en faveur du retour au pays des deux « acolytes » car, à cinq mois de la présidentielle, Alassane Ouattara ne prendra pas le risque politique de passer tous les crimes commis en 2010-2011 par pertes et profits au nom d’une hypothétique réconciliation nationale. Laurent Gbagbo, dont on ne sait pas, au regard de son âge et des sensations fortes qu’il a vécues, s’il va prendre du champ par rapport à la politique ou pas, de même que Charles Blé Goudé qui rêve, lui, de prendre sa revanche sur ses adversaires, vont tous les deux devoir patienter hors des frontières ivoiriennes, en tout cas jusqu’à ce que Alassane Ouattara qui est, lui-même, un protagoniste de la crise postélectorale de 2010-2011, soit certain de ne pas être à portée de tir de la Justice ivoirienne, quoiqu’il advienne. C’est justement pour parer à toute éventuelle mauvaise surprise que chaque camp a remobilisé et mis ses troupes en état d’alerte, dans la perspective à la fois de l’élection d’octobre prochain et du retour en Afrique et peut-être dans la sous-région, de l’ancien président et de son homme-lige. Le FPI, qui est à la peine depuis que des scissions sont apparues entre les principaux leaders du parti, a appelé ses militants à s’inscrire massivement sur les listes électorales afin de faire barrage au RHDP à la prochaine présidentielle, en espérant jouer le rôle de faiseur de roi et obtenir ainsi une sorte de billet retour pour son leader historique. Un leader dont le souhait est certainement de terminer ses jours au milieu des siens sur cette terre de Côte d’Ivoire qui l’a vu naître, grandir et se battre jusqu’à la dernière goutte de sa…sueur, avant de quitter le pouvoir et le pays, il y a une dizaine d’années.
« Le Pays »