DR LOUIS HAMADE OUEDRAOGO, EPIDEMIOLOGISTE
Natif du Yatenga, Dr Louis Hamadé Ouédraogo est médecin depuis 1979, avec une spécialisation en épidémiologie et en Santé internationale. Il a servi le Burkina à tous les niveaux du système de santé et à l’international. Il a été également fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la Santé. Actuellement, il dit être retraité actif. C’est avec lui que nous avons abordé la question de l’épidémie de rougeole qui sévit au Burkina Faso dans un contexte de Covid-19. Il s’est aussi prononcé sur le système de santé actuel du Burkina Faso.
Comment expliquez-vous cette épidémie de rougeole au Burkina Faso, malgré les campagnes de vaccination ces dernières années ?
Les épidémies de grande ampleur dans les pays s’expliquent soit par une inefficacité vaccinale contre la maladie, soit par un grand nombre de populations susceptibles de la contracter (c’est-à-dire sans protection immunitaire préalable contre la rougeole). Dans un précédent article publié dans vos colonnes, j’avais répondu à votre question en démontrant que c’est le deuxième cas de figure qui explique les épidémies de rougeole des années récentes au Burkina-Faso. Parmi les causes actuelles d’épidémies, l’on peut citer les enfants qui n’ont pas été vaccinés 2 fois contre la rougeole avant leur deuxième anniversaire pour diverses raisons : ignorance et négligence des parents, surcharge de travail des mamans, mouvements d’humeur et grèves d’agents de santé, terrorisme et insécurité, éloignement et difficultés d’accès géographique des services de santé.
Selon vous, comment peut-on interpréter la recrudescence de la maladie en zone rurale ? (1025 cas sur 1 185 au total, selon les données de l’OMS au 13 mai 2020)
L’éloignement et l’inaccessibilité géographique des services de santé, le terrorisme et l’insécurité prévalent plus en zone rurale qu’en milieu urbain. Il en est de même du niveau d’éducation dont la faiblesse contribue à l’ignorance.
Que recommandez-vous pour empêcher une épidémie de rougeole ou pour éradiquer la rougeole au Burkina Faso ?
Aux recommandations faites dans mon précédent article, j’ajouterais l’administration d’une dose du vaccin contre la Rougeole à tout élève du CP1 n’ayant pas reçu les deux doses de vaccin prescrites avant son 2e anniversaire. Il faudrait aussi œuvrer davantage à supprimer l’inégalité d’accès des populations aux soins de santé primaires. Ce faisant, la rougeole ne sera pas éradiquée, mais transformée en maladie très rare et rarement mortelle.
Le Burkina Faso fait face à la Covid-19 à l’instar des autres pays d’Afrique. Quelle est la particularité de ce pays ?
A mon avis, aucune particularité face à la Covid-19 ne caractérise le Burkina Faso. Comme la plupart des pays du monde, un climat de panique a prévalu au début de la pandémie, avec beaucoup d’erreurs organisationnelles et managériales, le tout ayant comme conséquence des décisions contre-productives qui n’étaient pas toujours prises sur des bases rationnelles.
Nous avons vu l’épidémie venir et malheureusement, nous n’étions pas prêts quand le pays fut directement atteint. Même au pic de l’épidémie, les plans régionaux et communaux de détection précoce, prévention et riposte aux éventuels cas de Covid-19 n’étaient pas disponibles pour aider à mobiliser des ressources. Le drame de certains pays comme le Burkina Faso, c’est d’adopter des résolutions salutaires et importantes pour leurs populations, sans ensuite les mettre en œuvre comme il faut : le Règlement Sanitaire International (2005) illustre cela.
Comment analysez-vous la gestion de la lutte contre la Covid-19 au Burkina Faso ?
Je ne voudrais pas devancer les autorités en charge de cette gestion, car à la fin de l’épidémie, une évaluation post-mortem de l’épidémie est recommandée et certainement prévue. Qu’elle ait la forme d’une revue interne ou d’une évaluation externe, ce serait l’occasion, pour le Burkina Faso, de tirer le maximum de leçons apprises, de pièges à éviter dans le futur, et de produire des études de cas pour la formation professionnelle continue des acteurs actuels et celle initiale des générations montantes dans nos écoles, universités et instituts.
Que reprochez-vous au système sanitaire du Burkina ?
Le plus grand défaut du système sanitaire actuel du Burkina est qu’il ne satisfait pas les besoins en santé de la population, même ceux urgents. Ceci s’explique par l’absence de vision à long terme, l’absence de lettres de mission de bonne qualité, une planification opérationnelle et une gestion inefficace, sans oublier le sous-équipement. Il faut équiper adéquatement en matériel, réactifs, médicaments et divers, les services de soins de santé et mieux en gérer les stocks. Il m’a été donné de constater dans un hôpital universitaire, il y a quelques semaines, un pavillon sans toilettes, une salle d’examen et d’observation d’urgence où il faisait près de 39-40 degrés de température ambiante dans la salle où le nursing et le transport des prélèvements au laboratoire sont confiés à « l’accompagnateur » du patient. Mon malade avait 40 degrés de fièvre, ce qui commande une hémoculture mais il n’y avait pas de réactifs pour cette analyse et pour cela, nous avons demandé au confrère de garde très dévoué, sensible et compétent, à évacuer notre malade sur Ouaga. Mettez un paysan aux moyens limités à ma place : son patient mourrait « cadeau » comme j’en vis cette nuit-là. Les populations ont droit à davantage de sécurité sanitaire. Notre système de santé devrait empêcher que l’on meure pour rien. L’équipement, le renforcement et le recrutement de ressources humaines pour la santé devraient se poursuivre et la capacité de planification et de gestion s’améliorer. A tous les niveaux du système de santé, le souci du travail bien fait et le devoir de redevabilité doivent être des devoirs permanents.
Un dernier mot ?
Gens des médias et de la communication, vous êtes des agents de santé qui s’ignorent comme tels. En effet, par l’information, vous faites reculer l’ignorance et contribuez à prévenir et vaincre la maladie. Ensemble avec les autorités sanitaires diverses, contribuez davantage à améliorer la santé des populations. Pour cela, je vous remercie.
Propos recueillis par Françoise DEMBELE