VELLEITES DE CAPORALISATION DE LA JUSTICE PAR LE FCC
Si ce n’est pas un pays qui marche sur la tête, cela y ressemble fort. En effet, pendant que partout ailleurs dans le monde, on travaille ou crie à l’indépendance de la Justice, en République démocratique du Congo (RDC), des députés du Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme de l’ex-président Joseph Kabila, majoritaire à l’Assemblée nationale, ont soumis trois propositions de loi visant à soumettre le Parquet à l’autorité du ministre de la Justice. Une proposition de réforme qui a fait monter le mercure sociopolitique dans la capitale Kinshasa où des militants de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), le parti du président Tshisekedi, se sont livrés, le 24 juin dernier, à des manifestations violentes et autres actes de vandalisme sur des biens meubles et immeubles appartenant principalement à des personnalités du FCC, pour manifester leur colère. Ces agitations de part et d’autre, sont-elles des répliques telluriques du procès de Vital Kamerhé, le directeur de cabinet du président Tshisekedi, récemment condamné à 20 ans de travaux forcés pour détournement de deniers publics ? Difficile de ne pas faire le lien.
On est porté à croire que le FCC cherche à présent à protéger sa tête
Car, tout porte à croire qu’en laissant la Justice faire son travail, sans vouloir interférer le moins du monde, dans le dossier Kamerhé qui a abouti à la condamnation du leader de l’UNC (Union pour la nation congolaise), Félix Tshisekedi a envoyé un signal fort qui a dû semer la panique à bien des niveaux. C’est pourquoi, sachant ce qu’il a fait quand il était au pouvoir, l’on est porté à croire que le FCC cherche à présent à protéger sa tête, dans un contexte où la pression des organisations de la société civile se fait de plus en plus sentir dans la lutte contre la corruption. On est d’autant plus fondé à croire que les propositions du FCC qui n’a certainement pas envie de voir ses dossiers sales remonter à la surface, ne sont pas anodines que le timing entre la condamnation du directeur de cabinet du président de la République et l’introduction de ces propositions de lois au Parlement, est trop concomitant pour ne pas paraître suspect. Ce, sachant que le strapontin de la Justice, dans le gouvernement d’alliance avec le parti du chef de l’Etat, est occupé par un pro-Kabila. C’est sans doute pour eux le meilleur moyen de se fabriquer un bouclier en mettant l’institution judiciaire sous le contrôle du politique. C’est dire aussi combien, dans le contexte actuel de changement de régime et de cohabitation, les partisans de Joseph Kabila peuvent ne pas se sentir rassurés, malgré la promesse du président Tshisekedi de ne pas « fouiner dans le passé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces velléités manifestes de caporalisation de la Justice par le FCC, constituent une basse, vile et honteuse manœuvre politique qui en dit long sur la moralité des dirigeants de l’ex-parti au pouvoir et leur conception du service public où l’éthique semble avoir complètement foutu le camp. Car, en matière de bonne gouvernance, il faut plutôt savoir encourager le principe de la reddition des comptes et de la séparation des pouvoirs.
Il revient au peuple congolais de mesurer le danger d’une Justice aux ordres
Ce qui semble tout le contraire du FCC qui n’en a jamais, du reste, fait son dada durant tout le temps où il était au pouvoir. C’est pourquoi, cette bataille sur fond de divergences par rapport à l’indépendance de la Justice, est une guerre indispensable qui doit être menée au-delà des rangs des militants de l’UDPS. C’est dire toute la nécessité d’un élargissement de la base sociale de cette contestation pour faire échec à ce projet de caporalisation d’une institution stratégique comme la Justice qui se trouve être l’un des piliers de la démocratie. Il revient donc au peuple congolais de mesurer le danger d’une Justice aux ordres, et se mobiliser en conséquence. Car, tout porte à croire que moins que les intérêts du peuple qu’ils sont censés représenter, ces nostalgiques de l’ordre ancien visiblement adeptes de l’impunité, veulent couvrir leurs arrières. Autrement, s’ils avaient du scrupule, c’est une proposition qui, dans une démocratie normale, fait tellement honte qu’ils n’auraient pas eu le courage de l’exprimer au grand jour. Cela dit, la question est maintenant de savoir jusqu’où ira la contestation et surtout, quel en sera l’impact sur l’alliance entre la coalition Cach du président Tshisekedi et la plateforme FCC de Joseph Kabila. Avec ces vives tensions portées sur la place publique, va-t-on vers une implosion de la coalition au pouvoir en RDC? L’histoire nous le dira. En attendant, cette situation heurtée tend à confirmer l’adage selon lequel toutes les compromissions finissent toujours par se payer d’une façon ou d’une autre.
« Le Pays »