KABORE GUINGRI, SG DU SYNADES, A PROPOS DES MANIFS SCOLAIRES CONTRE LES REFORMES DES EXAMENS
Plusieurs associations d’élèves ont appelé à un mouvement de grève de 72 heures à compter de ce jeudi 29 avril 2021. Objet de la colère de ces associations : les nouvelles réformes dans le secteur de l’éducation. Justement, pour parler de ces réformes et des débats qu’elles suscitent, nous sommes allés à la rencontre de Kaboré Guingri, inspecteur des enseignements secondaires et secrétaire général du Syndicat national des encadreurs pédagogiques de l’enseignement secondaire (SYNADES). Lisez plutôt !
« Le Pays » : Quelles sont les nouvelles réformes adoptées dans le secteur de l’éducation ?
Kaboré Guingri : On peut citer, entre autres, l’organisation du BEPC par les directions provinciales en lieu et place des directions régionales. Notre ministère a connu une opérationnalisation de son organigramme parce que, jusque-là, au niveau de l’enseignement secondaire, nous n’avions pas de directions provinciales. Mais ces dernières ont été opérationnalisées au cours de la précédente année scolaire. Et ce sont ces directions provinciales qui ont en charge l’organisation du BEPC. Deuxièmement, il y a l’institution d’une commission d’EPS en lieu et place des jurys pour l’administration des épreuves d’éducation sportive. Je pense que cela a été fait dans la perspective de pouvoir mettre à contribution tous les enseignants et tous les acteurs qui s’occupent de cette discipline. Troisièmement, les dispenses aux épreuves sportives étaient délivrées par les structures sanitaires chargées du monde scolaire. Désormais, il a été dit dans les réformes que ce sont les directeurs provinciaux, sur demande formulée par le candidat, qui vont délivrer cette dispense pour les apprenants. Il y a l’ouverture du BEP aux élèves de la classe de première D prime. On a essayé, dans ce cadre, d’intégrer le technologique dans le scientifique parce qu’on a remarqué qu’au cours des années, malgré les efforts qui ont été faits, l’enseignement professionnel et technique est resté embryonnaire dans notre pays. Pour essayer d’inverser la tendance, on a essayé de faire le croisement entre les programmes enseignés dans les séries technologiques et les programmes enseignés dans les séries scientifiques pour voir quelle est la différence et procéder à une sorte de rallonge du temps d’apprentissage au niveau des séries scientifiques. Par ailleurs, nous avons l’ouverture de l’examen du BEP aux candidats libres justifiant un niveau correspondant à celui de la classe de première D des lycées polyvalents. Il y a l’ouverture du CAP aux élèves de la 4e année de formation professionnelle, aux élèves de la 2e année de formation professionnelle recrutés après les classes de 5e ou de 4e des lycées et collèges de l’enseignement post-primaire général, aux candidats libres titulaires du CEP justifiant un niveau de la classe de 5e des lycées et collèges avec trois années de pratique professionnelle et enfin, l’organisation du BAC par le MENAPLN.
En quoi ces réformes sont-elles utiles pour le système éducatif du Burkina Faso ?
Ces réformes sont pertinentes à partir du moment où elles permettent d’opérationnaliser le droit à l’éducation. Je vous donne quelques exemples. Un certain nombre de concours comme le BEP, le CAP étaient réservés seulement aux apprenants qui sont dans le système formel. On mettait de côté tous ceux qui étaient dans le système non formel alors que, si l’on se réfère à la loi d’orientation, (la loi 13 du 17 juillet 2007), il est affirmé avec force que l’éducation est un droit pour tous, donc un droit pour tous les enfants du Burkina Faso. Que ce soit ceux qui sont dans le système formel, ou ceux qui, pour des raisons diverses, se sont retrouvés dans le système non formel. Si ces derniers font preuve de compétences, on a trouvé des passerelles à travers ces réformes, pour les réintégrer dans le système formel.
Comment justifier la levée de boucliers dont font l’objet certains points des réformes citées plus haut (l’organisation du BAC et la suppression des sujets aux choix), de la part de certains acteurs ?
Je pense que cette levée de boucliers, sans faire un procès d’intention à quiconque, doit être d’abord liée à un déficit d’informations et surtout à un déficit de formation pour les acteurs du système éducatif. Je pense notamment aux enseignants et à certains encadreurs qui ne connaissent pas le processus d’élaboration des épreuves. Je prends l’exemple de l’histoire géographie. Je ne suis pas un encadreur d’histoire géographie mais j’ai échangé longuement avec des encadreurs de cette discipline. La forme traditionnelle qui consistait à donner deux sujets qui portaient sur la synthèse et le commentaire, avant 2010, ces sujets ne couvraient que 4,76% du programme. D’ailleurs, le candidat ne compose pas dans les deux épreuves. Quand on est en face d’une telle situation, non seulement l’épreuve n’est pas pertinente mais aussi elle n’est ni valide ni fiable. Conséquence, on aboutit à des échecs abusifs où ceux qui n’ont pas suivi le cours peuvent réussir alors que ceux qui ont suivi le cours peuvent échouer. Pour ce dernier cas, on appelle cela des succès abusifs. Cela veut dire qu’un apprenant qui ne maitrise que 4% du programme et qui est admis à l’examen, a certes été admis mais c’est une admission abusive. Alors que quelqu’un qui a maitrisé 90% du programme mais qui n’a pas eu la chance de maitriser seulement les 4% du programme, peut échouer ; c’est un échec abusif. Dans l’examen, les rôles doivent être clairs. Il ne revient pas aux apprenants de dire aux enseignants et aux encadreurs comment ils doivent être évalués.
« Ce sont les encadreurs des différentes disciplines qui se saisissent du portrait-robot du citoyen qu’on veut voir au sortir des classes de Terminale »
Nous avons l’impression que vous indexez là, les élèves qui manifestent contre les réformes !
Je ne les indexe pas. Dans une certaine mesure, je peux dire qu’ils ont raison parce qu’ils n’ont pas l’information.
La contestation concerne aussi une partie des enseignants !
Même pour les enseignants, en terme d’évaluation, aujourd’hui, il faut reconnaitre qu’il y a un problème qui est grave. J’ai suivi la réaction de certains encadreurs sur les réformes à travers des débats mais je me rends compte qu’ils ne connaissent pas le processus d’élaboration des épreuves d’un examen.
Revenons au cas pratique du BAC !
Pour le BAC, je pense que c’est une justice qui a été restaurée dans la mesure où avec le système LMD, on ne peut pas dire du BAC qu’il est le premier diplôme universitaire dans la forme et dans le fond. Dans la forme, quand on dit LMD, c’est License, Master, Doctorat. Le BAC n’apparait pas ici. Dans le fond, les épreuves du BAC n’évaluent aucun enseignement universitaire. Il ne peut pas être un diplôme universitaire alors que ce ne sont pas des enseignements qui ont été faits à l’université, qui sont évalués. Quand on regarde, un examen est adossé à l’évaluation des apprentissages qui ont été faits. Or, quand vous examinez tout le processus, après la formulation des finalités de l’éducation, faites par les hommes politiques, ces derniers se retirent. Ce sont les encadreurs des différentes disciplines qui se saisissent du portrait-robot du citoyen qu’on veut voir au sortir des classes de Terminale, pour élaborer les curricula. C’est dire que ce sont les encadreurs de l’enseignement secondaire qui élaborent les curricula qui sont mis en œuvre par les enseignants du secondaire. Dans l’élaboration même des sujets, c’est dans les propositions qui ont été faites par les enseignants en classe, qu’une sous-commission, présidée par un universitaire secondé par un encadreur de l’enseignement secondaire qui connait les programmes, se réunit pour choisir les épreuves.
D’aucuns voient dans ces réformes, une imposition du gouvernement. Qu’en dites-vous ?
Je suis d’accord que dans l’élaboration des réformes, les gouvernants doivent prendre en charge les besoins et les intérêts majeurs de ceux qui sont gouvernés mais il ne faut pas qu’on se leurre. Chacun doit rester à sa place. Il ne revient pas aux apprenants qui sont évalués, de dire aux enseignants et aux encadreurs pédagogiques comment ils doivent être évalués. Sur les diplômes, il est clairement écrit : X ou Y a subi avec succès telle épreuve, tel examen. Si ce sont les apprenants eux-mêmes qui doivent nous dicter la manière dont ils doivent être évalués, il faut dire finalement que tout le monde a eu l’examen et on passe à autre chose. Il ne faut pas confondre les rôles. Il faut laisser chacun à sa place mais cela ne signifie pas que chacun, dans ce qu’il fait, doit perdre de vue les autres.
Comment expliquez-vous les divergences de vues entre syndicats à propos des réformes ?
Je ne connais pas les raisons pour lesquelles les uns s’opposent mais les raisons pour lesquelles nous sommes pour, je peux vous les donner. Techniquement, quand on ouvre les concours du BEP, du CEAP à un certain nombre d’apprenants qui étaient dans le non-formel et qu’on leur donne la possibilité d’intégrer le formel, je pense qu’on ne fait que respecter la loi d’orientation et la Constitution qui stipule que l’éducation est un droit pour tous. On ne peut pas exclure certains apprenants qui sont même victimes du système. On avait commis des injustices contre les apprenants qui sont dans le non-formel et on ne fait que leur rendre justice. Nous avons combattu en 1999 le BAC OCECOS car nous avons pensé que si on décrochait le BAC de l’université, c’était une aubaine pour les gouvernants de fermer la porte de l’université aux enfants des pauvres. Mais nous nous sommes rendu compte que malgré la suppression du BAC OCECOS, que malgré l’organisation du BAC par l’université, dans un certain nombre de filières, on organise des tests d’entrée à l’université. Ces tests viennent nier davantage le fait que le BAC soit le premier diplôme universitaire. Nous nous sommes rendu compte que le véritable moyen pour faire en sorte que l’université soit accessible au plus grand nombre, c’est la veille citoyenne. Ceux qui ont décidé de décrocher le BAC de l’université et de confier son organisation au MENAPLN, sont ceux-là qui peuvent conserver les mêmes droits d’accès à l’université. Ce n’est pas aux enseignants, aux encadreurs ni aux universitaires de dire comment on rentre à l’université. C’est à l’homme politique de trouver encore les moyens pour améliorer l’accès et le maintien des étudiants à l’université. Il ne suffit pas d’y accéder. Il y a des gens qui font six ans en première année. Ce n’est pas ce qu’on appelle accès. C’est un accès théorique. Au niveau du BEPC, il y avait aussi des contradictions. On utilisait en même temps les résultats du BEPC, pour faire le concours de l’entrée en seconde. Vous savez que quand les apprenants n’ont pas subi les mêmes épreuves, du point de vue docimologique, du point de vue des principes qui orientent et guident les sciences de l’évaluation, on ne peut pas classer ces élèves. Or, en SVT tout comme en histoire-géographie, des élèves qui ont composé dans des épreuves différentes puisqu’ils ont fait des choix personnels, sont classés. Il y a aussi qu’avec le nouveau système d’élaboration des items, on fait en sorte que l’épreuve qui sera composée par l’apprenant, couvre dans le pire des cas, les 2/3 du programme, au moins 66% du programme. Donc, je pense qu’en termes de validité, de pertinence et de fiabilité, la qualité de la nouvelle façon de faire ne souffre d’aucun débat.
« Si dans une certaine mesure, on regarde les enfants comme les bras armés des adultes, peut-être qu’il y a des raisons »
Pour l’organisation du BAC par le MENAPLN, certains estiment que le vrai enjeu est d’ordre pécuniaire. Qu’en dites-vous ?
Moi, j’ai un très grand respect pour les universitaires qui, sur le plan de la formation disciplinaire et/ou professionnelle, ont mouillé le maillot pour faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui, à telle enseigne que je m’interdis de les mettre tous dans le même sac avec des gens qui mènent le débat autour des questions pécuniaires. Je pense que ce que les universitaires gagnent au BAC est vraiment subsidiaire par rapport à ce qu’ils ont comme traitement salarial. N’empêche que dans un groupe, on peut être uni sans être identique. Il peut y avoir des gens qui animent le débat avec en toile de fond des considérations d’ordre financier. Ça, je ne le nie pas. Sinon, si c’était pour le travail, je pense qu’on n’avait pas besoin de faire des disputes autour de l’organisation du BAC. Parce que les universitaires croulent aujourd’hui sous le poids du travail. Il y a le chevauchement des années académiques; il y a les effectifs qui sont inimaginables dans les amphithéâtres. Ce sont des éléments qui achèvent de me convaincre que souvent, le débat autour de l’organisation du BAC, n’est pas un combat pour le travail bien fait mais qu’il y a d’autres aspects qui ramènent tous les acteurs à un niveau honteux. Si aujourd’hui, il y a des gens qui pensent que l’absence des universitaires dans l’organisation du BAC va porter atteinte à son ADN, je pense que c’est une injure aux universitaires. Nous sommes les produits de l’université et donc, si aujourd’hui, nous sommes incapables d’organiser le BAC, je pense que ceux qui nous ont formés doivent avoir quelque part honte.
Les élèves manifestent contre les réformes. Certains estiment qu’ils sont manipulés. Pensez-vous qu’ils comprennent les enjeux de ces réformes ?
Si dans une certaine mesure, on regarde les enfants comme les bras armés des adultes, peut-être qu’il y a des raisons. Mais je pense que l’instrumentalisation qu’on peut faire des élèves, suppose auparavant que le terreau soit fertile. Si on arrive à instrumentaliser les élèves comme on le dit, c’est qu’ils ont été laissés pour compte. Ils n’ont pas l’information qui libère. Il y a des informations qui aliènent. Il y a même des informations qui sont sources de castration intellectuelle pour les apprenants. Je ne nie pas qu’il peut y avoir des adultes derrière les élèves mais s’il y a des adultes derrière et que la manipulation marche, c’est parce que les élèves eux-mêmes n’ont pas l’information. Si on avait mis à contribution les responsables des services qui sont chargés d’élaborer les épreuves et d’organiser les examens, ils allaient expliquer mieux aux apprenants qu’ils gagnent dans les réformes. Je pense à la DGEC.
Selon vous, comment faire en sorte que les acteurs parlent le même langage concernant ces réformes si tant est qu’elles soient utiles au système éducatif ?
Ces réformes sont utiles. A court terme, je pense qu’il faut travailler davantage à informer les acteurs du système parce que le problème commence par là. A titre d’exemple, les premiers acteurs de l’évaluation que sont les enseignants, sont nombreux à n’avoir pas une information juste sur la question. A long terme, je pense qu’il faut revoir la formation continue des enseignants et les encadreurs pédagogiques pour permettre à tout le monde d’être au même niveau d’information car la tâche d’éduquer, du moins la tâche d’instruire et d’encadrer, se veut collégiale.
Propos recueillis par Michel NANA
Quelques points des nouvelles réformes
-L’organisation de l’examen du BEPC par les directions provinciales en lieu et place des directions régionales ;
-L’institution d’une commission d’EPS en lieu et place de jurys pour l’administration des épreuves d’Education physique et sportive (EPS) ;
-La dispense aux épreuves physiques et sportives qui est désormais accordée par décision du Directeur provincial sur demande formulée par le candidat à laquelle est joint le certificat médical délivré par les services compétents ;
-La suppression des « deux sujets au choix » pour un sujet unique en Histoire-géographie et en Sciences de la vie et de la terre (SVT) ;
-L’ouverture de l’examen du BEP aux élèves des classes de la première D prime (1re D’) régulièrement inscrits dans les établissements polyvalents publics et privés d’enseignement secondaire général ;
-L’ouverture de l’examen du BEP aux candidats libres justifiant d’un niveau correspondant à celui de la classe de 1re D’ des lycées polyvalents ;
-L’ouverture de l’examen du CAP aux élèves de quatrième année de formation professionnelle régulièrement inscrits dans les établissements publics et privés d’EFTP ;
-L’ouverture de l’examen du CAP aux élèves de la deuxième année de formation professionnelle, recrutés après la classe de cinquième ou de quatrième des lycées et collèges d’enseignement post-primaire général ;
-L’ouverture de l’examen du CAP aux candidats libres titulaires du CEP justifiant du niveau de la classe de cinquième des lycées et collèges avec trois (03) années de pratique professionnelle effective dans la spécialité choisie ;
-L’organisation du baccalauréat par le MENAPLN.