RENCONTRE PATRICE TALON ET YAYI BONI
« Seules les montagnes, dit la sagesse populaire, ne se rencontrent pas ». En effet, le président béninois, Patrice Talon et son prédécesseur, Yayi Boni que tout semblait opposer, ont confirmé, le 22 septembre dernier, ce dicton, en acceptant, après une longue guerre larvée, de s’asseoir à la même table au Palais de la Marina pour un gentlemen agreement. Le pari de cette rencontre n’était pas gagné d’avance quand on connait le degré d’inimitié entre les deux hommes. En rappel, le torchon brûle entre les deux figures de proue de la scène politique béninoise depuis 2016. Le feu avait été mis aux poudres suite à l’affaire de tentative d’empoisonnement et de sorcellerie portée par Yayi Boni, alors chef de l’Etat, contre le richissime homme d’affaires qu’était Patrice Talon. Ce dernier, pour sauver sa peau, avait été contraint à l’exil en France. Et depuis lors, les relations étaient très tendues entre les deux hommes. Le dernier épisode de ces relations tapissées de vieilles rancœurs, a été le siège du domicile de Yayi Boni. Patrice Talon devenu à son tour président, prenant prétexte de la contestation née du dernier scrutin électoral, avait fait encercler la résidence de Yayi Boni qui était dans un état grabataire.
En tendant la main à son ennemi juré, Talon se taille dans l’opinion publique béninoise, un costume de faiseur de paix
Il a fallu, à l’époque, les bons offices des missi dominici de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour que le siège soit levé pour permettre à Yayi Boni de s’expatrier pour bénéficier de soins appropriés. L’on peut donc se poser, après de telles escarmouches, la question suivante : qu’est-ce qui amène les deux frères ennemis à vouloir enterrer la hache de guerre pour enfin fumer le calumet de la paix ? Sans être dans le secret des dieux, l’on peut avancer plusieurs raisons. D’abord, l’ancien chef de l’Etat est si affaibli aujourd’hui, physiquement, politiquement, moralement et financièrement, qu’il ne peut plus se payer le luxe d’une guerre sans fin. Son adhésion à l’offre de paix ressemble donc plus à une reddition qu’à tout autre chose. Du côté de ce qui jusque-là constituait le camp adverse, l’on peut aisément deviner les calculs politiques qui transparaissent en filigrane derrière la main tendue du président Patrice Talon, à son frère ennemi. Tout porte à croire que c’est dans une véritable opération de communication politique que s’est lancé l’homme. En tendant la main à son ennemi juré, il se taille dans l’opinion publique béninoise, un costume de faiseur de paix après une longue guerre qui n’a laissé aucun répit à ses adversaires politiques. Il construit ainsi, dans l’imaginaire public, qu’il n’est pas homme à s’acharner sur un adversaire. Le gain politique de cette opération est immense car il confère à Talon, la stature d’un père de la nation qui se place au-dessus de la mêlée. Et peut-être espère-t-il ainsi faire l’unanimité dans le but de s’engager sur le boulevard interdit du troisième mandat. A moins que, tout simplement, il ne soit habité par des idées beaucoup plus nobles qui sont celles de préparer l’après- pouvoir.
Cette entrevue sonne comme un dégel de l’atmosphère politique
Car, en faisant la paix avec ses adversaires pendant qu’il est au pouvoir, il peut baliser le chemin pour une sortie honorable qui lui éviterait les déboires de son prédécesseur. Cela dit, quelles que soient les motivations qui contraignent les deux hommes à aller à la paix des braves, il faut tout de même saluer cet acte hautement symbolique et pédagogique. Et pour cause. D’abord, au plan personnel, ces retrouvailles sonnent comme une véritable catharsis qui libèrera ces deux hommes que plus de choses unissent qu’elles ne les séparent. Faut-il le rappeler, les deux hommes furent des amis et Yayi Boni ne serait pas devenu ce qu’il a été sans Patrice Talon et vice-versa. Ensuite, cette entrevue au sommet est salutaire d’autant qu’elle sonne comme un dégel de l’atmosphère politique béninoise depuis que Talon a décidé de détricoter unilatéralement la Constitution béninoise pour s’arroger les pleins pouvoirs. L’on espère, de ce fait, que la rencontre avec Yayi Boni n’est qu’un premier pas qui amorce véritablement l’élan d’une réconciliation nationale qui permettra aux opposants béninois, les uns en exil, les autres en prison, de renouer sans entrave avec la vie politique nationale. C’est, en tout cas, tout le mal que l’on souhaite aux Béninois ce d’autant que Yayi Boni en a fait une véritable préoccupation en demandant la libération des détenus politiques et d’opinions et le retour des exilés politiques. Enfin, cette rencontre Yayi-Talon, on peut le dire, est bénéfique pour tout le peuple béninois pris en otage dans ce duel entre les deux ex-alliés. Elle est, en plus, pédagogique car elle donne aux futures générations d’hommes politiques, la leçon que rien n’est au-dessus de l’intérêt supérieur de la nation et qu’au-delà des contradictions circonstancielles, tous les Béninois demeurent les fils et les filles d’un même pays qu’ils doivent œuvrer à protéger. C’est donc finalement tout le Bénin qui gagne. En tout état de cause, l’on peut dire qu’il était temps. Il était temps pour Talon de se mettre du bon côté de la marche de l’histoire car, pendant une bonne partie de son règne, il a vendangé l’héritage démocratique d’un pays qui était perçu comme l’une des vitrines de la démocratie en Afrique. Il y avait de bonnes raisons de craindre qu’il ne laisse à la postérité, une démocratie en ruines et truffée de conflits. Mais comme on le dit si souvent, « mieux vaut tard que jamais ».
« Le Pays »