REPORT DU PROCES THOMAS SANKARA
A peine entamé, le procès Thomas Sankara qui était tant attendu, a connu son premier report. Le motif avancé est de permettre aux avocats de la défense commis d’office, d’éplucher les 20 000 pièces du dossier pendant les 2 semaines de ce report. C’est une procédure tout à fait normale pour garantir les droits de la défense dans cette affaire judiciaire qui déchaîne toutes les passions, non seulement en raison de la figure emblématique du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara, auquel il faut rendre justice, mais aussi en raison des connections politiques actuelles du dossier à la fois aux plans national et international. Mais ce premier report suscite tout de même des interrogations : combien de temps va durer ce procès ? Combien de temps ce qui s’annonce comme une véritable saga judiciaire, tiendra en haleine les Burkinabè ? Il est difficile en l’état de répondre à ces interrogations.
Il y a toutes les raisons de croire que le feuilleton sera long
Et ce n’est pas, en tout cas, la réponse de Maitre Sankara qui est l’un des acteurs-clé de ce dossier judiciaire, qui peut rassurer l’opinion nationale, lui qui a dit en substance que l’on connait toujours quand commence un procès mais l’on n’en connait jamais la fin. Dans le cas d’espèce, il y a, en tout cas, toutes les raisons de croire que le feuilleton sera long, avec un nombre inconnu d’épisodes. Et pour cause. D’abord, la Justice militaire dont d’aucuns récusent la légitimité dans un Etat de droit, voudra bien faire les choses pour se soustraire de tout discrédit. Elle fera donc tout ce qui est en son pouvoir pour que soient respectées les règles de la transparence et de l’équité. Ensuite, l’on connait la complexité de ce dossier non seulement en raison du temps qui l’a recouvert d’un épais brouillard, mais aussi en raison des implications de réseaux étrangers dans ce putsch qui a coûté la vie au président Thomas Sankara. Et ce ne sont certainement pas les dossiers déclassifiés de la France, qui permettront d’avancer au rythme que l’on veut dans la jungle judiciaire de ce dossier car, il est évident que les dossiers remis par la France au juge burkinabè sont ceux qui ne comportent aucun risque pour elle. Et puis, enfin, la procédure pourrait être ralentie du fait de l’absence de certains prévenus dans cette affaire, notamment des personnages-clé comme Blaise Compaoré en exil au bord de la lagune Ebrié ou Hyacinthe Kafando qui s’est évaporé dans la nature à la faveur de l’insurrection populaire d’Octobre 2014. A toutes ces raisons objectives qui pourraient faire durer le procès Thomas Sankara, il faut aussi ajouter des raisons difficilement avouables. Au nombre des celles-ci, il y a les manœuvres souterraines de tous ceux qui ont des intérêts politiques et économiques à ce que ce dossier reste le plus longtemps au-devant de l’actualité nationale. Sont de ceux-là, ceux qui ont toujours fait de l’image du président du Conseil National de la Révolution (CNR) un fonds de commerce politique ou même les autorités étatiques qui peuvent en user pour détourner l’opinion des difficultés de gouvernance actuelles du régime.
On peut déjà se féliciter de la valeur symbolique et pédagogique de ce procès
Jouxtant la question de la durée du procès, il y a cette autre interrogation : combien coûtera le procès Thomas Sankara au contribuable burkinabè ? Il y a certes des Burkinabè qui se frottent les mains à cause de la manne financière que représente ce procès en raison des commandes publiques et des honoraires et autres indemnités qu’il engendre, mais il est tout à fait certain que ce procès va coûter les yeux de la tête aux Burkinabè lambda. Et quand on inscrit ce procès dans la longue série des dossiers judiciaires qu’ont connu ou qui attendent les Burkinabè, l’on peut avoir des sueurs froides : affaire du putsch de septembre 2015, jugement du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, affaire Norbert Zongo, dossier Dabo Boukary, etc. L’on est tenté de croire que la soif de justice de Burkinabè va leur coûter très cher, au risque même de leur créer des problèmes existentiels avec la persistance et l’aggravation du péril terroriste et les risques annoncés de disette avec la saison agricole désastreuse. Mais, l’on ne devrait pas s’en plaindre car, comme dit un proverbe africain, « le fourmi-lion ne peut pas se fatiguer de sa tête ». La justice tout comme la démocratie a un coût et il faut le payer. L’on peut simplement regretter que les inconduites de Burkinabè dans leur courte mais tumultueuse histoire, coûtent la peau des fesses aux générations actuelles qui ont des défis existentiels aujourd’hui. Cela dit, l’autre question que l’on peut se poser est la suivante : la débauche financière des Burkinabè permettra-t-elle d’atteindre les effets escomptés, c’est-à-dire solder les comptes avec leur histoire et désarmer les cœurs ? C’est tout le mal qu’on leur souhaite pour ce procès quand bien même le risque n’est pas écarté que le jugement de ce dossier emblématique ne rouvre les plaies et les saigne à nouveau. Mais quoi qu’il en soit, l’on peut déjà se féliciter de la valeur symbolique et pédagogique de ce procès qui vient inscrire dans le marbre de l’histoire nationale burkinabè, que l’on ne tue pas pour prendre le pouvoir et que tôt ou tard, l’on devra rendre compte de ses actes si l’on s’écarte de la règle. Et cette leçon vaut bien toute la patience des Burkinabè et tout l’or du monde.
« Le Pays »