AUDITION DES ACCUSES DANS LE PROCES THOMAS SANKARA : Le commando Elysée Ilboudo ouvre-t-il le ban de la vérité ?
Au troisième jour du procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons, on en sait un peu plus sur le commando qui a conduit l’expédition sanglante du 15 octobre 1987 au Conseil de l’entente. Appelé le 26 octobre dernier, à la barre, le premier accusé, Elysée Ilboudo, commando du Centre d’entrainement commando (CNEC) au moment des faits, a reconnu les faits à lui reprochés par le Tribunal militaire, délocalisé à la salle des Banquets de Ouaga 2000 pour la circonstance. Mieux, il a affirmé haut et fort que le commando qui mis fin, peut-on dire, à la révolution burkinabè, a quitté le pied–à- terre du président déchu, Blaise Compaoré. « Hyacinthe m’a dit, prend le véhicule, on part au Conseil ». Ces quelques propos corroborent ce qu’ont révélé les enquêtes menées dans le cadre de ce procès. Un palier vient d’être franchi donc dans la manifestation de la vérité. A moins que l’accusé ne se rétracte, l’on peut dire que cet ex-commando, âgé aujourd’hui d’une soixantaine d’années, aura eu une attitude responsable. C’est d’autant plus vrai que contrairement à certains de ses frères d’armes qui étaient jugés dans l’affaire du putsch manqué de septembre 2015, il n’a pas fait dans le déni. Et c’est tant mieux pour la justice. Reste à souhaiter qu’il garde cette posture jusqu’au terme du procès. Mais ce n’est pas chose gagnée d’avance ce d’autant que son avocate, Eliane Kaboré a plaidé hier, 27 octobre, non coupable. Comme argument, elle a soutenu que son client n’avait pas bien compris la question du Tribunal. Il faut donc émettre le vœu que les autres accusés qui défileront à la barre les prochains jours, aient le courage de dire la vérité, rien que la vérité.
En tout cas, ils gagneraient à le faire, ce d’autant que garder un secret pendant 34 ans et avoir l’occasion de le dévoiler sans le faire, c’est refuser de rendre service à soi-même et à la nation. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est désormais dans le vif du sujet et de plain-pied dans ce procès historique et inédit, de par sa charge émotionnelle et par la personnalité des accusés. Mais tous les accusés vont-ils vider leurs sacs ? Rien n’est moins sûr. Mais d’ores et déjà, l’on peut se réjouir du fait que le premier accusé à la barre ait montré la voie à suivre. Outre cela, on peut aussi se réjouir du fait que le témoignage par visioconférence de certains témoins résidant à l’étranger ait été autorisé par le Tribunal.
Ce procès doit avoir un but pédagogique
Quid du filmage et de l’archivage de ce procès que réclament à cor et à cri de nombreuses personnes, dont la veuve Mariam Sankara ? Le tribunal va-t-il se raviser ? Rien n’est moins sûr. Mais une chose est certaine, plusieurs semaines seront nécessaires à la Cour pour décortiquer les milliers de pages de procédure, afin d’évaluer les responsabilités de chacun des quatorze accusés, et faire la part de ce que l’enquête a révélé avec certitude, notamment sur les commanditaires et les membres du convoi de la mort qui serait parti du domicile de Blaise Compaoré, et sur toutes les zones d’ombre qui entourent d’un épais masque, les massacres perpétrés au Conseil de l’entente il y a 34 ans. En tout cas, les attentes des Burkinabè et des biens d’autres personnes du reste du monde, vis-à-vis de ce procès, sont fortes et c’est peu de le dire. C’est pourquoi les juges doivent travailler à se montrer à la hauteur de l’enjeu. Ce procès doit, non seulement avoir un but pédagogique, mais aussi contribuer à poser les bases d’une vraie réconciliation nationale. C’est pourquoi l’on pourrait dire que l’ancien président, exilé à Abidjan depuis la chute de son régime en 2014, suite à une insurrection populaire, risque de se mordre les doigts. C’est d’autant plus vrai que son absence pourrait être interprété par certains citoyens comme un aveu de culpabilité. Toujours est-il qu’en décidant de ne pas se rendre au tribunal militaire, il manque ainsi l’occasion de s’expliquer sur l’assassinat de son ami et compagnon de lutte.
« Le Pays »