OBSEQUES DE SOUMEYLOU BOUBEYE MAIGA : Emotion, colère et indignation étaient au rendez-vous
L’ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga alias « le Tigre », repose désormais et pour l’éternité au cimetière de Niarela, dans le vieux quartier commerçant du centre-ville de Bamako. Il a été porté en terre hier après-midi, en présence de sa famille biologique et politique, et de nombreux amis et connaissances, tous venus pour faire leurs adieux au natif de Gao et ancien grand commis de l’Etat, décédé dans des circonstances suspectes, le 21 mars dernier, à la clinique Pasteur de Bamako. Tout ce que l’on sait, pour l’instant, c’est qu’il est mort très amaigri et le teint livide, et il appartient aux chargés de communication du gouvernement et à sa famille d’en dire plus avant que le bouche-à-oreille ne devienne incontrôlable par rapport notamment à sa non- évacuation sanitaire en dépit des alertes tous azimuts. Déjà, derrière les expressions ritualisées d’affliction entendues à la maison mortuaire du quartier du fleuve et sur le site de l’inhumation, les proches du défunt pointent du doigt la responsabilité des autorités de la transition qui l’auraient volontairement laissé mourir à petit feu, peut-être pour qu’il ne puisse jamais dire sa part de vérité dans le dossier judiciaire qui l’avait conduit en prison en août 2021 pour des soupçons de corruption et de détournement de deniers publics lorsqu’il était ministre de la Défense en 2014. En tout état de cause, Boubèye Maïga ne répondra plus de rien, l’action publique étant éteinte suite à sa disparition, et c’est bien dommage pour la vérité et la justice que le peuple malien attendait avec impatience dans ce dossier lourd de plusieurs milliards de francs CFA.
Après Soumaila Cissé et Ibrahim Boubacar Kéïta, c’est l’une des plus grandes figures politiques du Mali qui tire sa révérence
Qu’à cela ne tienne, même s’il emporte dans sa tombe des secrets y relatifs, la sulfureuse affaire de l’avion présidentiel et des contrats d’équipements militaires, qui l’avait conduit à la prison centrale de Bamako n’est pas close pour autant, puisque son ministre des Finances d’alors, Mme Bouaré Fily Sissoko, est toujours placée sous mandat de dépôt et attend d’être jugée pour pouvoir enfin éclairer la lanterne du tribunal et des Maliens sur ce que d’aucuns ont qualifié de plus gros scandale financier de ces dernières années au Mali. On espère qu’à l’occasion du procès, la partie accusatrice et les témoins à charge ne vont pas tirer à boulets rouges et à bout portant sur la sépulture de l’illustre disparu qui ne pourra plus se défendre, juste pour ternir son image sur fond de règlements de comptes. Car, ne l’oublions pas, si Soumeylou Boubeye Maïga avait une expérience et des qualités intellectuelles indéniables qui faisaient de lui le chouchou politique de certains de ses compatriotes, pour d’autres, il était un homme à abattre dans la perspective des échéances électorales de l’après-transition, ou en raison de sa responsabilité réelle ou fantasmée dans la dégradation de la situation sécuritaire au Centre du Mali. Les voix les plus virulentes considèrent d’ailleurs son décès comme la manifestation d’un châtiment divin, et expliquent ce courroux céleste par sa politique aventuriste qui a exacerbé les clashs communautaires ancestraux dans la région de Mopti enferrée depuis des années dans des conflits ethniques larvés. Les pogroms d’Ogossagou et de Wellingra dans la nuit du 22 au 23 mars 2019 dont le bilan était de 160 victimes parmi les éleveurs peuls, avaient, on s’en souvient, suscité une vague d’indignation au Mali et même au-delà. Avec des manifestations monstres à Bamako, à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko considéré comme vigie des valeurs sociétales maliennes, pour exiger la démission du gouvernement de Boubèye Maïga. Ce dernier avait entrainé dans sa chute, le chef d’état-major de l’armée, le Général M’Bemba Moussa Kéïta, et le chef des forces terrestres, le Général Abdrahamane Baby, mais cela n’avait pas suffi à éteindre l’incendie dans cette partie hautement inflammable du pays, puisque moins d’un mois après, une centaine de civils dogons ont été massacrés à Sobene-Da, en guise de représailles. Le Premier ministre avait fait alors l’objet de tirs groupés de la part d’une grande partie de ses concitoyens pour avoir fait saborder, dès sa nomination, les négociations entamées entre l’Imam Dicko et les chefs intégristes en vue de juguler la crise. Mais aussi pour avoir encouragé la prolifération des milices d’auto-défense dans tout le Centre du pays. Beaucoup espéraient qu’il reviendrait sur cet épisode douloureux de l’histoire du Mali s’il passait un jour à la barre pour répondre de ses faits et gestes de 2014 à son départ de la tête du gouvernement, le 18 avril 2019. Malheureusement, la Providence en a décidé autrement, d’autant que ‘’SBM’’ comme l’appelaient ses intimes, a quitté définitivement l’arène et le monde politique, alors que beaucoup de Maliens lui prédisaient un avenir meilleur malgré ses 67 ans et sa gestion controversée des affaires. Après Soumaila Cissé et Ibrahim Boubacar Kéïta, c’est donc l’une des plus grandes figures politiques du Mali qui tire sa révérence, laissant, pour ainsi dire, le champ libre aux autres candidats potentiels pour le fauteuil présidentiel, qui devront attendre le sommet de la CEDEAO prévu pour ce vendredi même à Accra, pour connaitre, peut-être, la date à laquelle ils vont pouvoir enfin se mesurer les uns aux autres.
Hamadou GADIAGA