DEFECTION DE LA DEPUTE AMINATA TOURE DU GROUPE PARLEMENTAIRE PRESIDENTIEL AU SENEGAL : Du sable dans le Tièb bou diène* de Macky Sall
Frustrée de n’avoir pas été portée au perchoir de l’Assemblée nationale par le président Macky Sall qui lui en aurait pourtant fait la promesse ferme avant de lui préférer un autre au dernier moment, la députée Aminata Touré, qui accuse au passage le chef de l’Etat d’avoir privilégié des liens familiaux dans le choix de Amadou Mame Diop, s’est retirée, le 25 septembre dernier, du groupe parlementaire présidentiel, Benno Bok Yaakaar. Elle a rejoint les rangs des députés non inscrits pour, dit-elle, continuer à « défendre les intérêts du peuple sénégalais ». Une défection qui est loin d’être un non-événement dans la configuration actuelle du parlement sénégalais, puisqu’avec un élu en moins, la coalition au pouvoir perd la majorité absolue à l’hémicycle. Une majorité qu’elle avait pourtant obtenue d’une courte tête suite au ralliement in extremis d’un député de l’opposition, l’ancien président de l’Assemblée nationale et du Sénat, Pape Diop en l’occurrence, à l’issue des législatives du 31 juillet dernier.
Tant que c’est l’opposition qui ruait dans les brancards, on pouvait l’accuser de prêter des intentions au président Macky Sall
Tout est donc à refaire pour le parti présidentiel qui n’aura obtenu, pour la quatorzième législature, que 82 sièges sur les 165 que compte la Représentation nationale, et qui devra s’atteler à recomposer cette majorité absolue au plus vite, si elle veut se donner les coudées franches au parlement et éviter un éventuel blocage dans le fonctionnement de cette institution. Mimi Touré comme on l’appelle communément, aurait donc voulu jeter une poignée de sable dans le tieb bou diène du président Macky Sall qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. Un « ingrédient » infect qui pourrait rendre le plat présidentiel d’autant plus immangeable que la démissionnaire fonde ses arguments sur l’éventualité d’un troisième mandat du successeur d’Abdoulaye Wade. Un sujet qui fâche au Sénégal et que la députée remet au goût du jour des débats, au moment où le locataire du palais présidentiel de Dakar continue d’entretenir le flou sur ses intentions. Toujours est-il que pour l’élue du parti présidentiel qui s’est voulue claire sur la question, une telle éventualité est « impossible juridiquement et moralement ». C’est dire toute son opposition à un éventuel troisième mandat du natif de Fatick, qui continue d’empoisonner l’atmosphère sociopolitique au Sénégal. Est-ce la raison pour laquelle Macky Sall l’aurait écartée du perchoir au profit d’un proche « parent »? L’histoire ne tardera sans doute pas à le dire. En attendant, tant que c’est l’opposition sénégalaise qui ruait dans les brancards, on pouvait l’accuser de prêter des intentions au président Macky Sall. Mais maintenant que la question est évoquée par un ancien compagnon de route qui compte parmi les personnalités les plus proches du chef de l’Etat, il y a des raisons de croire que plus que de simples supputations, la tentation du troisième mandat est un véritable dilemme qui fait plus qu’effleurer l’esprit du président sénégalais.
Cette démission fracassante de la native de Dakar pourrait aussi répondre d’ambitions personnelles
Car, comme dit l’adage, « quand le crapaud sort de l’eau et dit que le caïman est en train de couler des larmes, on peut faire foi à sa parole puisqu’ils vivent ensemble dans la rivière ». Reste maintenant à savoir quelles conséquences une telle défection pourrait avoir au sein de la coalition au pouvoir et si elle n’ébranlera pas le parti présidentiel où le choc des ambitions n’est qu’un secret de Polichinelle. En tout cas, rien ne dit que ce n’est pas au nom de ces mêmes ambitions politiques, somme toute légitimes, que Mimi Touré rue aujourd’hui dans les brancards contre Macky Sall. Car, il faut bien admettre que sans être une garantie absolue, le poste de président de l’Assemblée nationale confère généralement à l’occupant du perchoir, le statut de dauphin putatif du chef de l’Etat. Et à quinze mois de la fin du second mandat de Macky Sall qui le rend théoriquement inéligible à sa propre succession, c’est une position qui peut s’avérer d’autant plus hautement stratégique que Mimi Touré n’exclut pas de se porter candidate à la présidentielle de 2024. C’est donc dire que cette démission fracassante de la native de Dakar pourrait aussi répondre d’ambitions personnelles voire d’une stratégie de positionnement dans la perspective de 2024. Et tout porte à croire que cela ne manquera pas de faire des vagues. Au mieux, cela pourrait pousser le chef de l’Etat à clarifier sa position. Au pire, la « dame de fer » pourrait toujours s’attendre à subir les foudres de son mentor et à se préparer en conséquence, question de jauger son véritable poids politique au sein et en dehors du parti présidentiel. Et avec elle, l’on peut se demander si l’histoire va se répéter au Sénégal où Macky Sall avait déjà pris ses distances vis-à-vis de son prédécesseur, Abdoulaye Wade (ce dernier voulant briguer un troisième mandat) pour mieux atterrir au palais présidentiel. Cette défection de Mimi Touré est-elle alors le début de la fin pour Macky Sall ? L’histoire le dira.
« Le Pays »
*Tieb bou diène : recette culinaire sénégalaise qui en fait une spécialité du pays