KUNTI KAMARA DEVANT LA JUSTICE FRANÇAISE : Un procès qui devrait en appeler d’autres
Le conflit interne internationalisé qui a déchiré le Liberia dans les années 1990, est toujours dans les mémoires comme si cela s’était passé seulement hier. Tant les atrocités ont été au-delà du supportable. Le Liberia sera de nouveau dans l’actualité, cette fois-ci, pour une cause autrement plus noble. Depuis le lundi 10 octobre, s’est ouvert aux Assises de Paris, le procès de l’ancien chef rebelle Kunti Kamara. Il était le commandant de l’ULIMO (United Liberation Movement of Liberia for Democracy). Dans le comté de Lofa, dans le Nord-Ouest du Liberia, Kunti Kamara a semé la terreur lors du premier conflit libérien (1989-1997), par des tortures, des mises à mort, le travail forcé et des violences sexuelles, et ce, dans le but d’intimider la population ou de la punir pour une collaboration supposée ou réelle avec le groupe adverse, le NPFL (National Patriotic Front of Liberia) alors dirigé par un autre chef rebelle, Charles Taylor. Kunti Kamara a été arrêté en France, en 2018, remis en liberté provisoire à la suite d’une erreur de procédure, avant d’être de nouveau arrêté en janvier 2020 quand il essayait de quitter le pays. Le procès va durer jusqu’au 4 novembre 2022. Il est jugé en vertu de la compétence universelle qui permet de juger les crimes les plus graves quel que soit le pays où ils ont été commis. Il est vrai que le procès intervient bien longtemps après les faits. Des éléments de preuve peuvent avoir disparu, et des témoins de premier rang sont sans doute décédés. Toutefois, le fait même que le procès puisse se tenir est une victoire pour les victimes et pour la conscience universelle de moins en moins tolérante à l’égard des violations des droits humains.
Ce procès contribue à la lutte contre l’impunité, au renforcement de l’Etat de droit et à l’élévation de la conscience universelle
C’est aussi une alerte pour tous les autres criminels de guerre qui courent toujours, que ce soit au Liberia ou ailleurs. Au Liberia même, Prince Johnson n’est toujours pas inquiété, alors qu’il est loin d’être tout blanc dans le conflit libérien. Le président d’alors, Samuel K. Doe, aurait été arrêté par ses hommes, et l’on se rappelle les tortures inhumaines et dégradantes qu’il a subies avant de rendre l’âme. C’était sous le regard amusé et satisfait de Prince Johnson qui sirotait une bière sous un arbre. Face aux douleurs, Doe suppliait lui-même ses bourreaux de mettre fin à ses jours pour abréger ses souffrances. Il est à espérer que le procès de Kunti Kamara ne soit que le début d’une procédure qui, bientôt, prendra dans ses filets tous les criminels de guerre. C’est le lieu de saluer l’action des organisations de défense des droits humains qui œuvrent inlassablement pour la défense et la protection des droits humains. Si Kunti Kamara est devant les Assises, c’est grâce à l’action de l’organisation Civitas Maxima qui est à l’origine de la plainte. On se rappelle que des organisations de défense des droits humains avaient aussi été à l’origine de la plainte qui a abouti à l’arrestation et au jugement de l’ancien président tchadien, Hissène Habré, qui avait trouvé asile à Dakar. De prétendus panafricanistes grognons pourraient trouver à redire du fait que le procès se déroule en Europe et non pas en terre africaine, et pourquoi pas au Liberia même. Ce serait encore la justice des Blancs qui s’en prend à des Noirs. Certes, mais se soucient-ils du sort des victimes, du fait que la contrainte de la justice doit prévenir contre l’impunité ? Qu’ont-ils fait pour doter le Liberia de moyens, tant matériels qu’humains, permettant au pays de poursuivre ses criminels de guerre et de les traduire en justice ? Avec plus de 250 000 morts dus aux deux conflits internes libériens, aucun procès n’a encore eu lieu au Liberia. Alors, ces panafricanistes contestataires sont interpellés. Qu’ont-ils fait et que font-ils pour doter les institutions régionales africaines de moyens permettant aux Africains de se prendre eux-mêmes en charge ? Les beaux discours contestataires sont très beaux, mais seulement en apparence, quand on élude l’essentiel. Au-delà du Liberia, ce procès, à l’exemple de ceux qui se déroulent dans les tribunaux internationaux et à la Cour pénale internationale, contribue à la lutte contre l’impunité, au renforcement de l’Etat de droit et à l’élévation de la conscience universelle, le tout pour un meilleur respect des droits humains et pour une meilleure prise en compte des droits des victimes.
Apolem