SECOND TOUR DES LEGISLATIVES EN TUNISIE : Un scrutin pour quoi faire ?
Le 29 janvier, les 8 millions de Tunisiens inscrits sur les listes électorales, étaient à nouveau conviés aux urnes pour le second tour des élections législatives destinées à désigner les 161 occupants des sièges à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle journée électorale, comme l’on s’y attendait, a été un remake du 17 décembre dernier où le premier tour du scrutin avait connu un record d’abstention estimé à 91,2 % selon les chiffres publiés par le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker. Les Tunisiens continuent donc de bouder les isoloirs et les raisons sont bien connues. La première cause de cette désaffection des Tunisiens à aller aux urnes, est sans aucun doute la vie chère qui préoccupe les populations. En effet, la Tunisie est plongée dans une grave crise économique depuis quelques années déjà. Le pays est étranglé par une dette supérieure à 100% de son PIB et est incapable d’emprunter sur les marchés financiers internationaux. Cette crise financière s’est traduite, ces derniers mois, par des pénuries récurrentes de produits de base (farine, sucre, café) dans un contexte d’inflation galopante (près de 9%). Ces difficultés qui durent depuis bientôt une dizaine d’années, ont été gravement amplifiées par la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine qui a renchéri les importations de céréales et des hydrocarbures dont l’économie du pays est fortement dépendante.
Quelle sera la légitimité d’un parlement issu de cette élection boycottée par le peuple ?
La crise économique s’est doublée d’une crise politique avec le boycott de l’élection, décidé par l’opposition politique qui dénonce les dérives autoritaires du président. En effet, Kais Saied est accusé d’avoir dissout le précédent parlement et fait adopter par référendum, une nouvelle Constitution qui ne laisse au nouveau parlement, que des compétences très restreintes. Il concentre donc désormais tous les leviers du pouvoir entre ses mains et cela, conformément à son ambition de transformation du pays en un régime ultra-présidentiel. C’est donc cette double crise qui est à l’origine du désamour entre les Tunisiens et le scrutin qui, d’ailleurs, paraît, pour beaucoup, sans enjeu véritable car devant aboutir à une Assemblée qui ne dispose d’aucun pouvoir pour changer leurs conditions de vie.
En tout état de cause, la question que l’on peut se poser est la suivante : quelle sera la légitimité d’un parlement issu de cette élection boycottée par le peuple ? Si les partisans de Kais Saied peuvent se frotter les mains pour la victoire en roue libre qu’ils ne peuvent manquer de remporter au terme de cette course solitaire, il est tout à fait évident qu’ils viennent de lancer leur pays dans une zone de fortes turbulences en raison des inévitables contestations dont ces législatives feront l’objet. Cela est d’autant plus probable que la rue gronde déjà. Le premier acte de la colère des Tunisiens s’est joué le 15 octobre dernier où des milliers de manifestants étaient descendus dans la rue pour crier leur ras-le-bol face à la situation nationale et dénoncer la politique du président Kais Saeid qu’ils accusent d’être responsable de la grave crise économique qui frappe le pays.
On peut se demander si l’opposition tunisienne a fait le bon choix en optant pour la politique de la chaise vide
Et pas plus tard que le 14 janvier dernier, à l’occasion du 12ème anniversaire de la chute de Ben Ali, les rues tunisiennes avaient de nouveau refusé du monde. Les manifestants dénonçaient un « un coup d’Etat » qui a instauré « misère et famine » dans le pays et certains n’ont pas hésité à réclamer le départ de l’auteur de ce putsch. Le round final du scrutin législatif qui a eu lieu hier et qui va déboucher immanquablement sur une Assemblée nationale monocolore, va accentuer la contestation parce qu’il aura pour effet de déplacer le débat politique, de l’hémicycle à la rue. Il faut donc croire que la page de l’instabilité politique ouverte en Tunisie suite à l’exil forcé du président Ben Ali, est loin d’être tournée. Dans le cas précis de la Tunisie, la difficulté est accentuée par le fait que l’opposition est composée de caciques de l’ancien régime qui détiennent encore tout le pouvoir économique. Le président Kais Saeid échappera-t-il au sort de Ben Ali ? En attendant de voir ce qu’il adviendra, l’on peut se demander si l’opposition menée par le mouvement d’inspiration islamiste, Ennahda, ne file pas du mauvais coton en persistant dans le boycott des élections.
En effet, l’on peut se demander si l’opposition tunisienne a fait le bon choix en optant pour la politique de la chaise vide au Parlement. Car, non seulement elle rate une tribune pour faire entendre sa voix et défendre les alternatives politiques qu’elle porte face aux difficultés des Tunisiens. Mais aussi elle commet la plus grande des fautes en politique : laisser le terrain vide à l’adversaire. Elle manque ainsi l’occasion de capitaliser la colère de la rue, en terme de voix dans les urnes. Mais en attendant de voir si l’opposition va se mordre les doigts pour son absence aux urnes, la pression s’accentue sur le président Kais Saeid qui apparait désormais, aux yeux des Tunisiens, comme un cavalier solitaire. Mais n’est-il pas allé trop loin pour reculer ? Son obstination le laisse penser et si tel est le cas, la Tunisie est immanquablement en train de sombrer. D’où la question suivante : qui pour sauver ou relever ce pays ?
« Le Pays »