HomeA la uneÉLECTIONS EN TURQUIE : Une démocratie à l’africaine ?

ÉLECTIONS EN TURQUIE : Une démocratie à l’africaine ?


Le 14 mai 2023, s’est jouée dans les urnes en Turquie, la succession du président Recep Tayyip Erdogan qui, après 20 ans de pouvoir, est candidat à sa propre succession face à une coalition de l’opposition menée par le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu. Et si l’on en croit les sondages, pour une fois, le président a fort à faire. Alors que les pronostics les plus optimistes évoquent un scrutin serré, le donnant au coude-à-coude avec son rival, certains annoncent tout simplement et purement sa défaite. En effet, affaibli par  l’effondrement de l’économie turque et la gestion approximative du récent  séisme meurtrier, Recep Tayyip Erdogan pourrait ne plus bénéficier de la confiance des 60, 7 millions d’électeurs appelés à s’exprimer dans un peu plus de 192 000 bureaux de vote répartis à travers le pays tout entier. En attendant que les urnes livrent leur secret, c’est donc probablement une page de l’histoire de la Turquie, écrite avec en sous-main une photo de l’Afrique, qui pourrait se tourner. L’homme qui joue sa survie, en effet, à bien d’égards, a les traits d’un dictateur africain.

 

C’est une dictature à l’africaine dont le destin s’est joué dans les urnes

 

Elu successivement à la tête du gouvernement, de 2003 à 2014,  celui qui est présenté comme le cofondateur du Parti de la justice et du développement (AKP), devint finalement, en  2014,  le premier président de la République élu au suffrage universel direct. Accro du pouvoir, il donne un tour de vis à son régime qui devint très autoritaire voire dictatorial. La tentative de coup d’État de 2016 lui en donne le prétexte et c’est donc avec une main de fer qu’il  conduit les  purges qui ont abouti à plus  de 50 000 arrestations, dont des députés de l’opposition, et aux licenciements de plus de 100 000 employés du secteur public, ainsi qu’à la mise en place de réformes sécuritaires et d’un référendum constitutionnel. Rêvant d’une Turquie ayant renoué avec la splendeur hélas perdue de Soliman le magnifique, il tente d’élargir la sphère d’influence de son pays après avoir vainement frappé à la porte de l’Union européenne (UE). Il fait monter ainsi les tensions dans la Méditerranée et intervient directement dans le conflit du Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. Cette politique belliqueuse finit par faire du pays, un grand exportateur d’armes et même de combattants comme on a pu le constater en Libye. Au cours des années de pouvoir d’Erdogan, la Turquie n’a cessé d’accentuer le caractère restrictif de sa politique en matière de liberté d’information et a en conséquence soulevé de nombreuses critiques d’ONG internationales. De 72 à 97 journalistes turcs sont en prison en 2012, contre 13 en fin 2002, l’année de l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Reporters sans frontières qualifie alors la Turquie de « première prison au monde pour les journalistes ». C’est donc une dictature à l’africaine dont le destin s’est joué dans les urnes. Mais à la décharge de Recep Tayyip Erdogan, il faut reconnaître que son régime a évolué dans un contexte régional difficile marqué par les guerres aux frontières du pays, notamment en Syrie et en Irak et à l’interne, par la rébellion kurde.

 

Il faut craindre que les promesses de l’opposant ne soient juste des promesses électorales

 

Cela a sans doute forgé ce caractère de poigne que l’on connait de cet homme qui s’est vite aussi démarqué des valeurs contestées de la civilisation occidentale.  La Turquie parviendra-t-elle à tourner la page Erdogan ? C’est, en tout cas, ce qu’a promis Kemal Kiliçdaroglu en cas de victoire de la large coalition qu’il dirige. Il l’a réaffirmé à l’issue de son vote, le dimanche : « La démocratie nous a manqué à tous. Il nous a manqué d’être tous ensemble, de nous embrasser. Vous verrez, le printemps va revenir dans ce pays si Dieu le veut et il durera pour toujours », a-t-il laissé entendre. Durant toute la campagne, le candidat de l’opposition a aussi promis l’élargissement de nombreux prisonniers. Mais aura-t-il les coudées franches pour ramener la démocratie turque sur les rails ? Rien n’est moins sûr dans la mesure où dans la coalition qu’il mène, l’on compte des partis de droite qui rament dans le sens du courant nationaliste dont Erdogan s’est fait le champion. Si donc Kemal Kiliçdaroglu ne veut pas voir sa coalition voler très tôt en éclats, il devra composer avec ce courant et il sera d’autant plus contraint à le faire que la Turquie est aussi traversée par de forts courants islamistes. Il faut donc craindre que les promesses de l’opposant ne soient juste des promesses électorales qui n’engagent que ceux qui y croient.  En attendant, l’on peut, en tout cas, se féliciter de la tenue de ces élections qui font planer l’espoir du changement et surtout aussi saluer le caractère démocratique du scrutin qui tranche avec les élections en Afrique où les bourrages d’urnes et les achats de consciences et de voix constituent la règle principale du jeu.  Sur ce plan, la démocratie turque diffère de celle d’Afrique. Il y a donc nécessairement là, des leçons à tirer pour le continent qui suit avec attention ce scrutin dans un pays qui a réussi à devenir l’un des principaux partenaires économiques de l’Afrique sous le leadership du président Erdogan. La question, en sus, est donc la suivante : en cas de victoire de l’opposition, quelle place occupera l’Afrique dans les relations avec la Turquie ?

 

« Le Pays »


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