PRESIDENTIELLE AU SENEGAL : Il ne reste plus qu’à parachever le chef-d’œuvre démocratique
C’est un scrutin totalement indécis qui s’est ouvert le 24 mars dernier au Sénégal au terme d’une campagne express, pour élire le cinquième président de l’histoire du pays. C’est dans le calme et même dans une ambiance plutôt bon enfant que les électeurs ont massivement répondu présents dans les urnes pour trancher entre le candidat adoubé par le président sortant pour piloter le projet de société de la coalition gouvernementale, et dix-sept autres concurrents dont le plus emblématique est celui désigné par défaut pour porter les couleurs du principal parti de l’opposition. En clair, on peut, d’ores et déjà, dire, avant même la publication des résultats officiels et au regard des tendances lourdes distillées depuis la fermeture des bureaux de vote, qu’on s’achemine vers un duel par procuration entre le président sortant Macky Sall et l’opposant radical Ousmane Sonko, représentés respectivement par Amadou Ba et Bassirou Diomaye Faye, tous deux inspecteurs des impôts de formation et de profession. Le premier, Amadou Ba, se dit certain d’être élu dès le premier tour et annonce, tambour battant, qu’il se dressera contre les « aventuriers » et les « oiseaux de mauvais augure du putschisme », alors que le second, Bassirou Diomaye Faye, a affirmé, à la sortie de l’isoloir, qu’il sera dans les semaines à venir, le président du « changement », de la « souveraineté recouvrée » et du « panafricanisme de gauche » tant rêvés par ses compatriotes.
Toutes les conditions semblent réunies pour une passation de charges dans un climat serein entre l’actuel et le futur président
En attendant de savoir s’il y aura effectivement un second tour et qui sera éventuellement le faiseur de roi, on peut féliciter tous les acteurs politiques qui ont écumé, deux semaines durant, les villes et villages pour appeler les Sénégalais à sortir massivement pour voter dans le calme, bien que cette élection soit, sans conteste, la plus ouverte ou, si vous préférez, la plus serrée jamais organisée au pays de la Teranga. Même les deux absents les plus présents dans cette élection que sont Karim Wade et Ousmane Sonko connus pour leurs déclarations tonitruantes et à l’emporte-pièce, ont fait preuve de pondération devant les micros et face aux impressionnantes foules qui ont pris d’assaut les bureaux de vote au cours de la journée dominicale et électorale du 24 mars 2024. Mais si le Sénégal a encore une fois confirmé tout le bien qu’on pense de lui en matière d’élections démocratiques, c’est surtout grâce à ses deux principales digues institutionnelles que sont le Conseil constitutionnel et l’Armée, qui n’ont pas cédé et qui ont pleinement joué leur rôle de remparts de la République contre les caprices des hommes politiques qui ont entretenu un climat de peur et d’agitation pendant plusieurs semaines avant le scrutin. ‘’Jèrè-jèf’’ (merci en wolof) donc à tous les acteurs qui doivent continuer sur ce chemin de l’accalmie et du jeu démocratique, afin de transformer l’essai et de parachever ce chef-d’œuvre démocratique de la plus belle des manières, en évitant une crise post-électorale qui compliquerait davantage la tâche au futur président, qui a déjà des défis urgents et énormes à relever, notamment la pauvreté persistante des Sénégalais et le chômage chiffré officiellement à 20% alors que la moitié de la population a moins de 20 ans.
On espère qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières quel que soit le vainqueur, encore moins de contestations sur fond de violences de la part des perdants
Avec ses institutions qui n’interfèrent que très peu ou pas du tout dans le jeu politique, conjugué à la maturité dont a fait preuve le peuple sénégalais pendant ces dernières semaines d’incertitudes, on peut dire que le Sénégal est à l’aube d’une nouvelle alternance politique et pacifique qui viendra clore en beauté l’ère Macky Sall, du nom du président sortant qui entrera dans l’histoire comme étant le premier depuis l’indépendance en 1960, à organiser une présidentielle sans y participer. Toutes les conditions semblent, en tout cas, réunies pour une passation de charges dans un climat serein entre l’actuel et le futur président, au terme de ce scrutin jugé transparent par la quasi-totalité des observateurs nationaux et étrangers qui ont suivi à la loupe le déroulement des opérations à travers tout le pays. On espère qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières quel que soit le vainqueur, ni de contestations sur fond de violences de la part des perdants. Il y va de l’avenir de la démocratie dans ce pays qui fait figure d’exception dans cette partie troublée de l’Afrique de l’Ouest où les canons remplacent de plus en plus les urnes dans le mode d’accession au pouvoir. C’est ce qu’a dit en substance l’ancien président Abdoulaye Wade qui a apporté le soutien idéologiquement contre-nature de son parti au candidat de l’opposition Diomaye Faye. En politique aussi, en politique surtout, le cœur a ses raisons que la raison ignore, et le ralliement surprise des Wade au challenger du candidat de la coalition au pouvoir en est la parfaite illustration. C’est, en tout état de cause, un couteau à double tranchant, d’autant que Karim Wade pourrait payer cher cet « esprit revanchard » qui l’a poussé dans les bras de Diomaye Faye, si Amadou Ba venait à remporter la victoire. Son père, qui avait quitté le pouvoir par la petite porte de l’histoire en 2012 avec l’image de l’archétype du président boulimique qui avait décidé de s’accrocher au pouvoir contre vents et marrées, est bien conscient des risques et périls politiques que court son fils en prenant cette décision. Mais il s’est certainement dit qu’avec toutes les misères que le système Macky Sall a créées à ce dernier, le risque vaut la peine d’être couru. C’est le Conseil constitutionnel qui lui dira, dans les jours à venir, si les urnes lui ont donné raison ou pas.
« Le Pays »