DISSENSIONS AU SEIN DE LA CEDEAO : Diomaye Faye saura-t-il recoller les morceaux ?
« Je lance un appel à nos frères et sœurs africains pour qu’ensemble nous consolidions les acquis obtenus dans le processus de construction de l’intégration de la CEDEAO, tout en corrigeant les faiblesses et en changeant certaines méthodes, stratégies et priorités politiques ». Ces propos sont de Bassirou Diomaye Faye, vainqueur de la présidentielle du 24 mars dernier au Sénégal. C’est dire si avant même d’entrer officiellement dans la plénitude de ses fonctions, le successeur désigné par les urnes, de Macky Sall, au palais de la République, est déjà sur la brèche. Et cet appel à la réforme de l’institution communautaire, en dit autant long sur ses intentions de faire bouger les lignes dans le sens du renforcement de la cohésion au sein du groupe, qu’elle intervient à un moment critique de la vie de l’organisation régionale. Laquelle est fortement menacée d’implosion, suite au retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger regroupés au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). La question qui se pose est de savoir si le nouveau président sénégalais saura recoller les morceaux.
Le nouveau président sénégalais aura du pain sur la planche dans sa volonté de réformer la CEDEAO
La question est d’autant plus fondée qu’au-delà des tensions au sein même de l’organisation communautaire, la fracture avec les pays de l’AES est d’autant plus profonde que les dirigeants de ces pays en transition, se disent engagés dans un processus de séparation irréversible. Ceci pouvant expliquer cela, on comprend, dès lors, la réaction mitigée à la limite de l’indifférence de ces pays de l’hinterland, aux récentes décisions de levée des sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à leur égard. Une clémence qui se voulait pourtant autant un geste d’apaisement qu’une perche à eux tendue pour préserver l’unité du groupe. En tout cas, la fermeture persistante de la frontière nigérienne malgré la levée des sanctions, et les déclarations divergentes des dirigeants sont symptomatiques de la complexité des relations et des intérêts en jeu dans cette affaire. C’est aussi la preuve que les tensions avec la CEDEAO sont encore loin d’être retombées. Toujours est-il que cette attitude des pays de l’AES est pleine de questionnements sur la continuité de leur engagement au sein de la CEDEAO. C’est dire si le nouveau président sénégalais aura du pain sur la planche dans sa volonté de réformer l’organisation régionale tout en préservant la cohésion du groupe. Quoi qu’il en soit, son appel à la consolidation des acquis et à la correction des faiblesses sonne comme un appel à l’introspection en même temps qu’il offre une lueur d’espoir pour surmonter les divisions et renforcer l’intégration régionale si primordiale à la stabilité de toute la sous-région ouest-africaine. Car, si les pays de l’AES dirigés par des militaires ont claqué la porte de la CEDEAO, c’est parce qu’ils reprochent notamment à l’organisation sous-régionale non seulement son manque d’assistance aux pays en proie au terrorisme, mais aussi de s’être « éloignée des idéaux des pères-fondateurs et du panafricanisme » tout en prêtant le flanc à « l’influence de puissances étrangères ».
C’est un nouveau chapitre et une nouvelle ère de gouvernance qui s’ouvrent pour le Sénégal
Bien entendu, l’institution d’Abuja n’y a vu que des arguties visant à retarder le retour à l’ordre constitutionnel. Mais, dans sa déclaration, même si le nouveau président sénégalais ne paraît pas toujours sur la même longueur d’ondes que les dirigeants de l’AES sur certaines notions, il affiche à tout le moins une certaine cohérence dans sa vision panafricaniste lorsqu’il parle d’« une CEDEAO renforcée, une CEDEAO beaucoup plus libre, une CEDEAO éloignée de toute ingérence étrangère ». C’est pourquoi on attend de voir si, dans sa volonté d’insuffler une nouvelle dynamique à la marche de l’organisation régionale, il pourra ramener dans la bergerie, les brebis qui ont décidé de quitter l’enclos. Toujours est-il qu’en lançant cet appel à la réforme de la CEDEAO, il s’inscrit dans la logique d’un leadership au sein de l’organisation régionale. Pour le reste, au-delà de son attachement à la démocratie maintes fois répété, il est dans la logique du réalisme politique et de la diversification des partenariats sans pour autant être dans celle de tourner le dos à Pierre pour se jeter dans les bras de Paul. Cela dit, en attendant la proclamation des résultats définitifs, avec son accession au pouvoir, c’est un nouveau chapitre et une nouvelle ère de gouvernance qui s’ouvrent pour le Sénégal qui a aussi besoin de briller sur le plan international. Et au regard du défi de la cohésion qui se pose aujourd’hui à la CEDEAO, Bassirou Diomaye Faye a une carte à jouer pour asseoir son leadership au sein d’une organisation qui est aujourd’hui à la croisée des chemins et qui a besoin de redéfinir son avenir.
« Le Pays »