PRESIDENTIELLE AU TCHAD : L’alternance est-elle possible ?
C’est aujourd’hui, 6 mai 2024, que sont invités les 8 millions d’électeurs tchadiens, à départager les 10 candidats en lice pour le fauteuil présidentiel dans environ 22 000 bureaux de vote répartis sur l’ensemble du territoire national. Ce scrutin marque la fin d’une campagne que l’on peut globalement qualifier d’apaisée au cours de laquelle les deux super favoris, en l’occurrence le président de la Transition, Mahamat Idriss Deby, et son Premier ministre, Succès Masra, se sont néanmoins donné à distance quelques coups de griffes. L’enjeu principal de l’élection est bien connu : il s’agit, pour le Tchad, de tourner la page d’une Transition inédite qui s’est ouverte suite au décès brusque d’Idriss Deby Itno qui a régné en maître absolu sur ce vaste territoire de l’Afrique pendant près de trois décennies. Mais au-delà de cet enjeu principal, les deux principaux candidats jouent leur destin. Pour Mahamat Idriss Deby qui a hérité du pouvoir suite à la disparition tragique de son père, en avril 2021, sur le champ de bataille, c’est l’occasion rêvée de se légitimer en se faisant adouber par le peuple tchadien.
Que ce scrutin enterre à jamais la hache de guerre
Pour Succès Masra, figure de l’opposition qui a rejoint, avec armes et bagages, le camp du pouvoir en acceptant le portefeuille de Premier ministre aux termes de l’Accord de Kinshasa, il s’agit de démentir l’opinion selon laquelle, il est un candidat accompagnateur qui s’est lié à Mahamat Idriss Deby dans un deal qui, en réalité, n’est qu’une manœuvre destinée à asseoir l’héritier d’Idriss Deby Itno au pouvoir. En attendant de voir de quoi accoucheront les urnes, l’on peut déjà se féliciter de la tenue effective de ce scrutin. En effet, le pari n’était pas gagné d’avance quand on se réfère au parcours de cette transition émaillée d’incidents sanglants comme la disparition de Yaya Dillo, et quand on se réfère aussi au contexte africain où d’autres régimes de transition militaires se battent, avec toutes leurs énergies, pour s’éterniser au pouvoir. La tenue du scrutin est d’autant plus à saluer qu’elle intervient dans un contexte global de bonne ambiance qui tranche avec les bruits d’armes auxquels est coutumier ce pays. C’est pourquoi tout le mal que l’on souhaite aux Tchadiens est que ce scrutin enterre à jamais la hache de guerre et permette aux tribus qui se sont étripées tout au long de l’histoire de ce pays, de fumer enfin le calumet de la paix. La question que l’on peut se poser est la suivante : les Tchadiens se laisseront-ils gagner par l’enthousiasme de cette bonne atmosphère pour ne pas marchander leur présence dans les urnes ? On attend de voir. En dépit du contexte socio-économique difficile caractérisé par une grave crise économique et humanitaire qui a fait flamber le taux de chômage dans le pays, les Tchadiens devraient répondre massivement à l’appel des urnes. De l’avis de certains experts, en effet, « rien n’est joué d’avance » et « la partie était plus ouverte qu’on ne le pensait au départ ».
L’occasion est bonne pour le peuple tchadien, de prendre définitivement son destin en main
En effet, convaincu que l’élection est ouverte, les meetings de fin de campagne ont drainé de nombreuses foules et l’on s’attend à voir les Tchadiens se bousculer devant les isoloirs. L’occasion est, en tout cas, bonne pour le peuple tchadien, si telle était son option, de créer une surprise à la Sénégalaise et de prendre définitivement son destin en main après près d’une décennie d’élections truquées qui ne visaient que la confiscation du pouvoir au profit du régime d’Idriss Deby Itno. Mais encore faut-il que l’agence chargée des élections au Tchad joue la carte de la transparence. Même si elle se veut rassurante, il n’en demeure pas moins qu’elle cristallise les critiques de certaines organisations de la société civile qui ne cachent pas leurs inquiétudes par rapport au fichier électoral. Selon ces OSC, le fichier qui a d’ailleurs servi à l’organisation du référendum, est « un fichier corrompu » qui comporte beaucoup d’erreurs. Aussi estiment-elles « qu’il fallait se donner le temps de pouvoir nettoyer, dégager ce fichier de toutes les impuretés qu’il porte. Et là également, ce travail n’a pas été fait. » Plus grave, le fichier électoral est accusé de n’avoir pas été mis à jour pour prendre en compte les jeunes en âge de voter. Mais ces accusations sont-elles en mesure d’entacher véritablement la crédibilité et la transparence du scrutin ? Si l’on ne peut nier leur impact sur les résultats, le danger peut cependant venir d’ailleurs. En effet, selon certains observateurs bien avertis de la scène politique tchadienne, « la présidentielle peut être porteuse de danger au cas, par exemple, où le candidat Masra proclame sa victoire le 7 mai. Car, le candidat-président et sa machine de guerre ne se laisseront pas faire ». Selon toujours ces sources, « le déploiement des forces militaires dans le Sud du pays considéré comme le fief de Masra, est un des signes précurseurs. ». Dans ces conditions où tout semble donc réuni pour le « on gagne ou on gagne », l’on peut légitimement se demander si l’alternance est possible au Tchad. Et cette inquiétude est d’autant plus fondée qu’il reste, en amont et en aval, un Conseil constitutionnel totalement acquis à la cause du pouvoir et qui, en dernier ressort, décide de l’issue du scrutin.
« Le Pays »