PRESIDENTIELLES EN GUINEE ET EN RCA, LEGISLATIVES EN COTE D’IVOIRE : Elections apaisées certes, mais stabilité incertaine
L’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest ont vécu ce week-end, une séquence électorale d’une densité peu commune, avec les consultations générales en République centrafricaine, le scrutin présidentiel en Guinée destiné à clore une transition politique devenue interminable, et les législatives en Côte d’Ivoire pour le renouvellement de l’Assemblée nationale. Trois pays, trois trajectoires singulières, mais une même atmosphère de calme relatif, presque irréel au regard des passifs politiques lourds et des fractures encore béantes dans chacun des trois pays, notamment en Guinée où les rendez-vous électoraux ont longtemps rimé avec tensions, violences et affrontements ouverts.
L’enjeu central de tous ces scrutins, dépasse largement la simple arithmétique électorale
Derrière cette apparente quiétude se dessine pourtant une réalité plus contrastée, marquée partout par des rapports de force profondément déséquilibrés. En Centrafrique, le président sortant, Faustin-Archange Touadéra, évolue en situation de quasi-monopole politique, tel un navire avançant en eaux tranquilles, porté par une popularité tangible à Bangui et dans les zones sous contrôle étatique. Face à lui, une opposition morcelée, presque, évanescente, où seule la figure d’Anicet Georges Dologuélé semble encore briller, sans pour autant incarner une alternative crédible aux yeux de bien des Centrafricains. Dans un pays meurtri par plus d’une décennie de violences et toujours exposé à des attaques sporadiques de groupes armés résiduels, cette asymétrie politique fait du chef de l’Etat le grand favori d’un scrutin dont l’issue paraît écrite avant même que l’encre des bulletins ne sèche.
En Guinée-Conakry, la campagne et les votes se sont également déroulés dans un climat étonnamment serein. Les clivages politico-ethniques, pourtant profondément enracinés, n’ont ni entravé les déplacements des candidats, ni refroidi les ferveurs populaires savamment mises en scène. La victoire plus que probable du Général Mamadi Doumbouya face à des adversaires d’envergure modeste, va ouvrir la voie à la légitimation de son pouvoir né des armes, le 5 septembre 2021, et à la clôture d’une transition étirée bien au-delà des promesses initiales. Mais sous le vernis de la convivialité affleurent des ressentiments persistants, nourris par les frustrations sociales, les libertés entravées et l’exil forcé de figures politiques majeures, tenues à l’écart de la compétition électorale. Autant de fissures qui rappellent qu’en Guinée, la société demeure profondément polarisée et que la mémoire des crises passées continue de peser dangereusement sur le présent.
En Côte d’Ivoire, enfin, la coalition au pouvoir, forte d’une machine électorale redoutablement huilée, semble en passe de consolider sa majorité parlementaire à l’issue des législatives de samedi 27 décembre dernier.
A Bangui, à Conakry comme à Abidjan, la réconciliation nationale et l’apaisement doivent constituer le cœur battant des politiques publiques
Là encore, le calme observé avant et pendant le scrutin, peut se révéler trompeur. La présidentielle d’octobre a rappelé que les souvenirs de la guerre civile ne sont jamais très loin, et le taux de participation particulièrement bas à ces législatives, en est l’illustration éloquente. L’absence du parti de Laurent Gbagbo a créé un vide qui n’est pas seulement électoral, mais profondément symbolique dans un pays où une frange significative de la population se sent durablement reléguée aux marges du jeu politique. Le parti du président Alassane Ouattara devra, à la proclamation des résultats définitifs, résister à la tentation du plastron et de l’arrogance majoritaire, et se rappeler que gouverner le Parlement ou l’Exécutif ne signifie pas nécessairement gouverner les esprits.
Dans ces trois pays, le défi de la cohésion nationale et de la stabilité se pose avec la même acuité, et l’enjeu central de tous ces scrutins, dépasse largement la simple arithmétique électorale.
A Bangui, à Conakry comme à Abidjan, la réconciliation nationale et l’apaisement doivent constituer le cœur battant des politiques publiques, et non de simples slogans de circonstance. La stabilité durable ne peut naître, en effet, que d’une gouvernance inclusive, respectueuse des différences, capable de transcender les clivages, les rancœurs et les ego. A défaut, le ressentiment accumulé devient une braise, prête à raviver les crises politiques les plus brutales.
L’Afrique contemporaine, l’Afrique de l’Ouest en l’occurrence, regorge d’exemples de pouvoirs électoralement confortés mais brutalement renversés, non par les urnes, mais par les armes. Le coup d’Etat, longtemps présenté comme un archaïsme politique, demeure une tentation latente lorsque les institutions cessent d’incarner l’intérêt général. Les vainqueurs de ces scrutins doivent en tirer les leçons, et se rappeler que gouverner exige certes une main ferme, mais surtout une main tendue, seule garante d’une paix durable et à même de barrer la route aux fracas des armes, toujours plus bruyants que tous les adversaires politiques réels ou supposés réunis.
« Le Pays »
