HomeA la uneA PROPOS DU GOUVERNEMENT GUINEEN : Souci de rassemblement ou calcul politicien ?

A PROPOS DU GOUVERNEMENT GUINEEN : Souci de rassemblement ou calcul politicien ?


 

Depuis que le nouveau Premier ministre guinéen, Mamady Youla, a rendu publique la liste des membres de son gouvernement, le 4 janvier dernier, on assiste à une polémique pour ne pas dire à une levée de boucliers au sein du parti du président Alpha Condé, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). En cause, la présence dans cette première équipe gouvernementale, du 2e mandat présidentiel du professeur Alpha Condé, de seulement quatre ministres issus des rangs des militants de la première heure du parti au pouvoir ; ce qui constitue, aux yeux des contestataires, une ingratitude politique du président guinéen à l’égard de la jeunesse, des femmes et des hauts cadres de son parti. Et pour exprimer leur mécontentement suite à la promotion de ceux qu’ils qualifient « d’opportunistes et de profiteurs », les jeunes du RPG ont barricadé samedi dernier les portes du siège de leur parti et ont adressé au chef de l’Etat, un mémorandum pour le moins critique contre le mode de gouvernance de son régime. Ce n’est pas la première fois que la jeunesse du parti de Alpha Condé rue dans les brancards, puisqu’au lendemain des élections législatives de 2013, beaucoup de militants avaient dénoncé l’exclusion des jeunes du parti, des instances dirigeantes, et avaient exigé des mesures correctives afin d’éviter l’implosion et la fragilisation de leurs rangs face à des ogres politiques comme l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré pour ne citer que ces partis. La question que les observateurs se posent est de savoir pourquoi le président de la République et son Premier ministre n’ont pas tenu compte des mises en garde lancées par les jeunes cadres du parti en 2013, alors que le RPG arc-en-ciel vient de remporter une victoire sans panache au premier tour, à la présidentielle de 2015. S’agit-il d’une volonté du président Alpha Condé de transcender les clivages politiques et ethniques pour rassembler tous les Guinéens autour des intérêts de leur pays, ou est-ce un coup politique pour s’émanciper des loups aux dents longues de son propre camp afin de pouvoir, en toute liberté, choisir son dauphin et son remplaçant lors de la prochaine élection présidentielle en 2020 ?

Le président guinéen gagnerait à faire preuve de lucidité en écoutant les voix dissonantes de son parti

Peut-être qu’il y a un peu des deux, mais dans tous les cas, c’est un pari politique risqué pour l’actuel locataire du palais Sékoutoureya car, il y aura forcément des frustrations et même des démissions au sein de son parti, alors que le soutien indéfectible de ses alliés de circonstance n’est pas garanti. Alpha, comme on l’appelle en Guinée, risque de se retrouver seul au milieu du gué et des querelles de chiffonniers, dans la perspective  de sa succession en 2020. Le président guinéen a entamé, en effet, son deuxième et dernier mandat à la tête de l’Etat, à moins qu’il ne fasse entre-temps un « lifting partiel » de la Constitution afin de rester au pouvoir, comme l’ont fait les orfèvres en la matière, que sont Nkurunziza, Kagame, Sassou et peut-être bientôt Kabila. Nous osons espérer que cet ancien professeur de droit public de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et ex-farouche opposant à tous les régimes autocratiques  qu’a connus la Guinée, ne sera pas tenté de franchir cette ligne rouge. Mais, sait-on jamais, puisque nous sommes en Afrique et il peut y trouver une référence en la personne de  Robert Mugabe du Zimbabwe, de quatorze ans son aîné, qui démontre, si besoin en était, que le grand âge n’est pas un obstacle rédhibitoire à l’exercice de la fonction présidentielle. C’est peut-être ce scénario-catastrophe qu’Alpha Condé est en train d’écrire avec ses conseillers occultes, en graciant un opposant irréductible à son régime comme Bah Oury de l’UFDG et en invitant d’autres comme Sidya Touré à se joindre à lui pour « reconstruire la Guinée ». Ainsi, ces poids lourds de la scène politique guinéenne pourraient lui renvoyer l’ascenseur  en affichant  sinon leur soutien, du moins leur « neutralité » au cas où un projet de révision constitutionnelle pour les besoins de la cause, viendrait à être officialisé. L’autre hypothèse pourrait être un adoubement programmé d’un homme de confiance qui pourrait lui garantir une sortie en douceur et en toute tranquillité de la scène politique, mais qui, malheureusement, ne figure pas parmi les « cadres historiques » de son parti. Pour ce faire, il aura besoin de noyer les voix contestataires émanant de sa propre formation politique dans le concert de soutiens des leaders des autres partis qui, avec ce gouvernement qu’on pourrait qualifier d’union nationale, auront trempé la barbichette dans la délicieuse soupe servie par le Premier ministre Mamady Youla, sur instruction du cordon bleu, Alpha Condé. En tout état de cause, le président guinéen gagnerait à faire preuve de lucidité et de réalisme politique en écoutant les voix dissonantes de son parti, car cela pourrait lui être fatal si la crise n’était pas résolue au plus vite. Il doit se rappeler que c’est suite à l’implosion du parti au pouvoir au Burkina Faso, suite à des divergences de vue, que certains cadres dudit parti sont allés grossir les rangs de l’opposition. Depuis, on sait ce qu’il est advenu du régime de Blaise Compaoré, malgré le soutien de nombreux partis politiques plutôt opportunistes de la majorité présidentielle, dont il bénéficiait. Cela dit, les revendications des frondeurs du RGP arc-en-ciel, pour légitimes qu’elles puissent être, ne devraient pas annihiler la recherche de la cohésion sociale dont la Guinée a tant besoin et qui semble  avoir motivé, si l’on en croit l’entourage du président guinéen, la décision de ce dernier de faire appel à toutes les compétences, d’où qu’elles viennent. L’esprit qui sous-tend la promotion des militants de la « 25è heure » du parti au pouvoir et même des pourfendeurs d’Alpha Condé, peut être noble, mais derrière cette opération de charme suffisamment rare pour être saluée, le président guinéen a certainement un agenda politique caché. L’on en saura davantage les semaines et mois à venir, mais pour l’instant, il faut croiser les doigts pour tous ces Guinéens meurtris par plus de quatre décennies de mauvaise gouvernance, pour que les vieux démons ne profitent pas d’une éventuelle crise au sein du parti au pouvoir pour ressurgir. C’est aux Guinéens de tous bords de travailler à sortir définitivement « le château d’eau de l’Afrique » des crises politico-sociales cycliques, en abandonnant une bonne fois pour toutes les querelles byzantines qui ont contribué énormément à plomber  son développement.

Hamadou GADIAGA


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