HomeA la uneABBE MATHIEU NICOLAS KOALA A PROPOS DU CAREME CHRETIEN : « On ne doit pas trop spiritualiser le jeûne»

ABBE MATHIEU NICOLAS KOALA A PROPOS DU CAREME CHRETIEN : « On ne doit pas trop spiritualiser le jeûne»


Les fidèles catholiques ont, depuis le mercredi 10 février 2016, mercredi des cendres, commencé le carême. 40 jours, c’est le temps que va durer ce carême qui est un temps de prière, d’aumône et de pénitence afin de se préparer pour la fête pascale. Pourquoi un mercredi des cendres ? Comment un catholique doit-il jeûner ? Pourquoi ne mange-t-on pas de viande les vendredis de carême et quel doit être le comportement du catholique pendant le temps de carême ? Ce sont, entre autres, les questions que nous avons posées à l’Abbé Mathieu Nicolas Koala, directeur diocésain de la pastorale liturgique de Ouagadougou, le 11 février dernier.

« Le Pays » : Pouvez-vous nous rappeler l’origine des cendres ?

Abbé Mathieu Nicolas Koala : Le temps de carême est un temps de préparation pour la fête pascale. Et ce temps commence par le mercredi des cendres au cours duquel une messe est célébrée avec un rite particulier qui marque l’imposition des cendres sur le front des fidèles. C’est un rite d’origine biblique, qui a pour but de faire prendre conscience aux hommes de leur fragilité, de leur faiblesse, mais aussi de leurs péchés. Les cendres expriment la fragilité humaine, la douleur de l’Homme qui est prise avec l’épreuve, comme l’exemple de Job dans la bible qui a tout perdu coup sur coup à cause des malheurs et qui s’est assis sur la cendre pour crier sa douleur. Les cendres symbolisent également la pénitence, le regret des péchés pour implorer le pardon de Dieu pour un désir de conversion.
Le prêtre, en imposant la cendre, dit cette phrase : « Tu es né poussière et tu retourneras poussière ».

Qu’est-ce que cela signifie ?

Au plan liturgique, il y a deux formules possibles : « souviens-toi, tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». Dans la Genèse, une des créations de l’Homme fait état de la création à partir de la glaise du sol. Cela fait référence à la mort, à l’inhumation, c’est-à-dire au retour au sol, rappeler à l’Homme son état de créature, sa finitude, sa fragilité et sa précarité. La deuxième formule dit : « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle » dans Marc chapitre 1 verset 15, qui est le début même de la prédication de Jésus qui demande de croire à la bonne nouvelle pour un changement radical de vie. Donc le carême doit être ce temps de changement de vie pour donner davantage place à la lumière de l’évangile.

De quand date la pratique des cendres ?

La pratique des cendres est d’origine biblique. De l’ancien testament à nos pratiques d’aujourd’hui, il y a eu une évolution. Depuis le temps où il y a eu l’organisation d’un temps de préparation pour Pâques, les cendres font partie de l’usage liturgique à un moment donné, depuis le 1er siècle jusqu’au 7e siècle où commençait véritablement le carême. Après cela, pour avoir les 40 jours de pénitence et de jeûne, il a fallu ramener le début du carême à un mercredi qui est le mercredi des cendres, pour la simple raison que si l’on compte du mercredi des cendres à Pâques, on a 47 jours et non pas 40. Mais il faut savoir que les dimanches ne sont pas des jours de pénitence, car on ne jeûne pas les dimanches. Donc en soustrayant les dimanches depuis le mercredi des cendres jusqu’à Pâques, il reste 40 jours de pénitence.

Pourquoi un mercredi ?

C’est la nécessité de soustraire et d’avoir les 40 jours jusqu’à Pâques qui a amené à commencer le mercredi, puisque l’Eglise veut entrer dans ce temps de purification qui est le carême. Alors, on a gardé et institué le rite d’imposition des cendres le mercredi, dès le début du carême, pour marquer que le temps qui s’ouvre est un temps de purification et de cheminement pour rappeler déjà toute l’orientation du carême dès l’entrée en matière.

Qui est autorisé à prendre les cendres et qui ne l’est pas ?

Il n’y a pas de conditionnalité particulière ; donc tous les chrétiens catholiques peuvent recevoir les cendres. La seule condition, ce serait de vouloir vivre en toute vérité la parole que l’exhortation du prêtre a suggérée à l’endroit de celui ou celle qui reçoit les cendres. Voilà pourquoi en imposant la cendre, le prêtre dit : « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». Donc, dans ce sens, si on s’engage personnellement à se convertir et à croire à la bonne nouvelle, les conditions sont remplies pour recevoir les cendres. Car, ce n’est pas comme le cas de la communion où on demande d’être baptisé, d’avoir fait sa première communion et de n’avoir pas d’empêchement. Nous pouvons dire que le seul désir de se convertir pour croire à l’évangile et vivre de la parole de Dieu, suffit pour recevoir les cendres.

Qu’est-ce que le carême ?

Le début du carême est marqué par l’imposition des cendres. Le carême, étymologiquement, provient du Latin quadragesima qui est synonyme de 40 jours. Ce chiffre 40 est bien biblique et rappelle les 40 jours de vie de jeûne de Jésus dans le désert, car c’est à l’issue de ce temps que Jésus a été tenté par le diable. Ces 40 jours rappellent également le temps de la retraite de Moïse sur le mont Sinaï, et aussi le temps du déluge. Ce temps est celui qui rappelle aussi les 40 ans de l’exode, de la marche d’Israël dans le Sahel après la sortie d’Egypte. Le carême est cette période de 40 jours pour mourir en soi, pour mourir avec le Christ et mourir aux péchés afin de ressusciter avec lui à Pâques, comme Israël à l’issue de ses 40 ans au désert. C’est un temps fort au niveau liturgique, de l’ensemble de la vie et de l’Eglise, où chaque fidèle est invité à imiter le Christ aussi parfaitement que possible. Car, c’est un moment de croissance spirituelle, d’apprentissage de la vertu en cessant de faire le mal au profit du bien.

Quel doit être le comportement du chrétien durant le carême ?

Le comportement à adopter est dans l’orientation même du carême. Il faut à la fois des œuvres de pénitence, la dimension prise de conscience de ses péchés et la conscience même de ses péchés. Et même le regret de ses péchés et le sens de demande de pardon. Mais on ne s’arrête pas au pardon reçu, il faut maintenant s’engager à vivre dans la grâce de Dieu. Donc, c’est important pour tout catholique, dans la période de carême, de replacer Dieu au centre de sa vie et de se repositionner par rapport à Dieu. Car le fait de vivre tout simplement ce qu’on appellerait les trois « P », l’enseignement de Jésus dans l’évangile du mercredi des cendres dans Mathieu chapitre 6 dont le 1er « P », est le partage. Dans ce passage, Jésus parle de l’aumône, c’est-à-dire que quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite. Le 2e « P » est la prière, en ce sens qu’on doit intensifier la vie de prière en la soignant davantage. Cette prière, c’est-à-dire respecter la prière du matin, du soir, en récitant le chapelet et participer tous les vendredis au chemin de croix qui est une pratique de pénitence, nous associe à la passion du Christ. Le 3e « P » est la pénitence. Il ne s’agit pas seulement de se priver de nourriture matérielle, mais davantage de jeûne et de prêcher en cessant de faire le mal. C’est-à-dire apprendre à faire le bien. Donc, on jeûne pour avoir faim de Dieu qui n’est pas une faim qui ne se limite qu’à celle matérielle, mais plutôt en faisant le bien. Car, l’on ne doit pas trop spiritualiser le jeûne, même s’il est bon de sentir cette faim qui nous fait penser à tous ceux-là qui ne choisissent pas de jeûner, mais sont obligés de le faire parce qu’ils n’ont pas à manger. Il faut éviter l’autre extrême qui consiste à croire que le jeûne est tout. Car cela est une tendance dommageable que des gens ont en pensant que le carême, c’est le jeûne, et j’en veux pour preuve la façon dont nous traduisons le carême dans nos langues. Donc, il faut tenir un certain équilibre dans le jeûne. Cette année, ce sera un accent particulier pour chacun que de songer davantage à la miséricorde.

Comment un catholique doit-il jeûner ?

Le jeûne a de l’importance par rapport à son sens. Quand on parle de jeûne, on voit automatiquement la privation de nourriture et/ou de boisson. Mais selon quelle modalité ou à quel rythme ? Pour nous chrétiens, le jeûne consiste à une privation volontaire de nourriture pendant un certain temps, mais il ne s’agit pas de tester ses propres capacités physiques en la matière. Mais plutôt une certaine consommation, à savoir prendre un repas léger par jour qui amènera le fidèle à forcément épargner quelque chose en économisant un certain nombre de choses qu’il prendra pour faire l’aumône. Si dans la pratique du jeûne on doit dépenser plus que d’habitude, il y a un problème car les privations ne peuvent pas faire dépenser un chrétien parce que c’est une question de logique. Selon la loi de l’Eglise, durant toute l’année, les vendredis, on ne doit pas manger de viande. Ce n’est pas une loi rigoureuse, mais l’accent dans cette privation de viande les vendredis, est mis pendant le temps de carême. Or, si l’on remplace les vendredis de carême, la viande par du poisson et que cela donne un coût plus cher, cela n’est pas normal. On peut, par exemple, manger le matin ou le soir. Il n’y a pas d’heure choisie. Le carême n’est pas là pour perturber notre rythme ordinaire. Dans d’autres pratiques religieuses, il y a des heures qui sont bien données, mais cela n’est pas le cas chez les catholiques. Ce qui importe davantage chez les catholiques, c’est l’esprit, mais il ne faut pas aller dans le sens de tout spiritualiser en abandonnant tout effort physique. C’est vrai que l’esprit compte, mais à cela s’attache aussi une pratique physique. Par exemple, si l’on a l’habitude de manger à 19h, je ne vois pas pourquoi pendant le temps de carême il faut ramener le temps du repas à 18h ou au-delà. Car, on ne jeûne pas pour être vu des hommes. Jésus a dit de l’imiter dans la vérité et dans la discrétion. Donc, en résumé, pour jeûner, on peut prendre un repas léger par jour, soit en ignorant le repas de midi, en prenant simplement le petit déjeuner et le repas du soir. Boire de l’eau aussi n’est pas un problème. Mais choisir de faire un jeûne strict en s’abstenant de nourriture et de boisson est aussi une option, mais pour le vendredi, au Burkina, on ajoute l’abstinence de viande et d’alcool. Donc il s’agit de jeûner du péché en luttant contre les mauvaises habitudes. En prenant quelques exemples concrets, est-ce que pendant le carême chrétien catholique, je suis capable de me priver de télévision pour prendre ce temps et me consacrer à la prière ? Ou les personnes qui travaillent tout le temps et qui n’ont pas un petit moment qu’elles consacrent à leur famille, est-ce qu’on peut se décider d’apporter un changement en se privant de quelque chose pour y arriver ? Donc c’est une ligne générale qu’on donne et chacun s’y inscrit selon les réalités concrètes de son existence.

Pourquoi ne doit-on pas manger de la viande le vendredi ?

La viande, c’est la chair des animaux. Le vendredi, on rappelle la passion du Christ qui a souffert en sa chair avec nous et pour nous. Donc à l’honneur du corps de notre Seigneur qui a subi la passion, l’Eglise demande une abstinence de viande le vendredi qui est le jour de la mort du Christ. Donc le jour de pénitence par excellence. C’est une loi pour l’Eglise universelle, mais si l’effort de l’abstinence se limite à la viande, ce n’est pas grand-chose. Voilà pourquoi au niveau de la conférence épiscopale du Burkina, on a ajouté l’alcool.

Quelles sont les grâces que l’on peut espérer avoir pendant le temps de carême ?

En vivant bien le carême, les grâces que l’on peut avoir sont le renouvellement de l’être intérieur. Et on arrive à Pâques en être nouveau qui ressuscite avec Jésus pour une vie nouvelle. C’est un temps de renouvellement intérieur. C’est pourquoi il est important de voir un peu, quand on arrive à Pâques, ce qui a changé dans notre vie. Là on n’est plus au niveau des discours mais de l’évaluation objective ; donc pas pour tirer sa propre gloire, dans le sens de marquer des étapes dans le processus de notre cheminement. Cela aussi ne signifie pas qu’après le carême, il faut revenir à son ancienne vie en reprenant ses mauvaises habitudes. Comme dit Saint Paul, si le Christ vous a libérés et pour que vous soyez réellement libres, ne reprenez donc pas les chaînes de votre ancien esclavage. Donc on doit sentir durant la période pascale que les efforts consentis pendant le carême continuent de produire leurs fruits. C’est à ce moment que l’on peut dire que le carême a été fructueux.

Un mot pour conclure

Je souhaite à tout le peuple burkinabè et à tous les fils et filles de l’Eglise famille de Dieu du Burkina un saint temps de carême, un fructueux temps de conversion et un bon temps de cheminement avec le Seigneur. Que chacun, à travers ce temps, puisse revenir à Dieu et partir avec un élan renouvelé dans sa vie, témoignage de sa sainteté. En cette année de la miséricorde, je souhaite que ce temps de jeûne soit celui favorable pour faire l’expérience de la miséricorde de Dieu et pour vivre cette miséricorde de Dieu avec tout le monde sans exception. Je souhaite bon vent à votre journal et je remercie le Fondateur des Editions « Le Pays » pour le service qu’il rend aux lecteurs. Que ce temps de carême soit aussi profitable pour que l’œuvre que vous accomplissez soit pour la gloire de Dieu.

Valérie TIANHOUN

 


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