HomeA la uneABDELALI TEMSAMANI, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES CIMENTIERS DU BURKINA : « L’Etat devrait revoir  sa politique d’octroi des autorisations de construction des usines de ciment »

ABDELALI TEMSAMANI, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES CIMENTIERS DU BURKINA : « L’Etat devrait revoir  sa politique d’octroi des autorisations de construction des usines de ciment »


Les différentes crises nationales et internationales (sécuritaire, Covid-19 et guerre en Ukraine), ont eu pour effets, la hausse des coûts de production sur tous les secteurs d’activités au Burkina Faso. Tout comme plusieurs produits de grande consommation, le secteur du ciment n’a pas échappé à ces réalités. Pour en parler, nous avons rencontré, le 23 juin 2022, le Président de l’Association professionnelle des cimentiers du Burkina (ACB), Abdelali Temsamani, par ailleurs Directeur général de CIMAF.

 

Le Pays : Présentez-nous l’Association des cimentiers du Burkina (ACB) ?

 

 

Abdelali Temsamani : L’Association Professionnelle des cimentiers du Burkina (ACB) est une association professionnelle à but non lucratif servant les intérêts de la profession cimentière. Elle représente l’ensemble des unités industrielles productrices de ciment au Burkina. Le dispositif industriel des membres de l’Association des cimentiers du Burkina, comprend, depuis 2014, quatre groupes cimentiers (CIMFASO, CIMAF BF, CIMBURKINA et DCB), initialement installés à Ouagadougou. A partir de 2018, toujours dans le souci d’anticiper la demande du marché et d’assurer une large couverture nationale, de gros investissements ont été réalisés. Il s’agit notamment d’une extension de l’usine de CIMBURKINA à Ouagadougou et de la construction de deux nouvelles cimenteries à Bobo-Dioulasso, en l’occurrence celles de CIMASSO et de CIMAF Dioulasso.

 

A combien peut-on estimer les investissements de l’ACB au Burkina Faso ?

 

 

Actuellement, le dispositif industriel des cimentiers du Burkina Faso a atteint une capacité de production nominale annuelle de ciment de 6,7 millions de tonnes, pour une demande du marché national de 3,2 millions de tonnes. Le montant total des investissements directs dépasse 200 milliards de FCFA, sans compter les autres investissements annexes (moyens logistiques etc.).

 

Quels sont, selon vous, les impacts de ces investissements sur l’économie burkinabè ?

 

 

En plus des recettes fiscales apportées à l’Etat, l’industrie cimentière du Burkina-Faso a créé de manière directe et indirecte, plus de quinze mille emplois et de nombreuses entreprises sous-traitantes liées au secteur du transport et de la logistique, la manutention, la maintenance, etc. Il s’agit de tout un écosystème économique à grande valeur ajoutée dans l’économie du pays, créé autour de l’activité de production et de commercialisation du ciment.  Cela n’est pas limitatif. D’autres impacts positifs et non visibles à court terme mais aussi importants pour le développement de l’économie pourraient être cités. Notamment l’amélioration de la qualification des ressources humaines.  En effet, à travers l’installation de nos six usines, nous avons pu assister à un transfert de savoir-faire dans le métier de production dans l’industrie lourde, la maintenance des installations, le contrôle de la qualité et bien d’autres métiers connexes. Et nous ne pouvons qu’en être fiers car la qualification des ressources humaines constitue une composante importante dans l’économie d’un pays. Nous offrons également, chaque année, des opportunités de stages à des centaines de jeunes étudiants burkinabè pour compléter leur cursus universitaire. Cela leur permet de découvrir les métiers de l’industrie et d’entamer leurs premiers pas dans la vie professionnelle. Il conviendrait de mentionner l’implication des cimentiers dans des projets sociaux économiques au bénéfice des populations des localités dans lesquelles sont implantées nos usines et dans l’ensemble du pays. Ces différentes actions s’inscrivent dans le cadre de la Responsabilité sociale de nos entreprises (RSE) et viennent soutenir les efforts du gouvernement.

A titre d’exemple de réalisations effectuées par les opérateurs cimentiers, on pourrait citer, entre autres :

.des initiatives d’assistance humanitaire auprès des personnes déplacées internes ;

des dons dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19 ;

des forages d’eau dans diverses localités ;

l’accompagnement des jeunes autour d’activités sportives et culturelles, etc.

D’autres projets sont également prévus, notamment des réfections d’écoles que nous essayerons d’organiser en collaboration avec l’administration de tutelle.

 

L’Etat vous a-t-il soutenu dans ce processus ?

 

 

Bien évidemment !  Tous ces investissements ne pouvaient voir le jour sans l’apport appréciable de l’Etat à travers les conventions d’investissement qui ont été accordées aux différents opérateurs. Dans ce contexte international particulièrement difficile, l’Etat a toujours porté un grand intérêt au secteur privé qui joue un rôle important d’accompagnement des différents programmes de développement du Burkina-Faso.

 

« Malgré la hausse des coûts de production, les opérateurs ont veillé à la stabilité des prix et à la disponibilité du produit sur le marché »

 

 

Avec les crises nationales et internationales (situation sécuritaire, guerre en Ukraine, et la pandémie de la Covid19), quelles sont les difficultés actuelles de votre secteur ?

 

 

A l’instar des autres secteurs d’activités, notre secteur est confronté à plusieurs difficultés depuis ces dernières années, avec les effets majeurs de la crise sécuritaire, la pandémie de Covid 19 et tout récemment la guerre en Ukraine. Ces difficultés sont, entre autres :

-les difficultés d’approvisionnement en matières premières sur le marché international (augmentation des prix du clinker et autres ajouts ainsi que du fret maritime) ;

-l’augmentation des coûts d’exploitation (emballages, frais portuaires, transports et autres prestations) ;

-la fluctuation du cours du dollar face au F CFA ;

-l’augmentation du prix du carburant ;

-l’effet d’inflation mondiale et plus principalement au Burkina Faso.

Signalons que les effets de la crise sécuritaire dans le Nord et l’Est du pays aggravent la situation. Nos distributeurs n’arrivent plus à s’adresser à certaines zones ; ce qui présente un impact très significatif en termes de performance de nos usines. Nous savons que nos autorités accordent une priorité à ce phénomène et nous espérons le retour de la paix au pays le plus tôt possible. 

 

Face à ces défis, que comptez-vous faire ? Autrement dit, peut-on s’attendre à une augmentation du prix du sac de ciment ?

 

 

Malgré la hausse des coûts de production, les opérateurs ont veillé à la stabilité des prix et à la disponibilité du produit sur le marché.  Mais nous ne pouvons pas nier les nouvelles réalités de la hausse des coûts de production d’au moins 30%.  Face à cette envolée des coûts de tous les intrants de l’industrie cimentière sur le marché international et la forte augmentation des coûts logistiques, l’ACB est entrée en contact avec le ministère de tutelle, dans un esprit de partenariat pour essayer de trouver une issue, le plus tôt possible. Notre objectif serait bien évidemment d’amorcer l’impact de l’envolée des coûts et atténuer le maximum possible l’impact sur le prix du ciment chez le consommateur final.

 

Quelles sont les recommandations des cimentiers vis-à-vis des consommateurs ?

 

 

Aux consommateurs, je leur explique ceci : la matière première principale, nécessaire et essentielle à la fabrication du ciment, est le clinker. Cette matière constitue le principal centre de coût de production que nous importons du marché mondial. Le dosage du clinker dans la qualité du ciment CPJ (CEM II 32,5) est moins important que celui du CPA (CEM II 42,5). Par conséquent, le CPJ est commercialisé à un prix moindre que le CPA.   Au Mali, au Niger, au Bénin et au Togo, la décomposition des produits commercialisés sur le marché, varie de 90% à 100% pour le CPJ, contre 1% à 10% maximum pour le CPA. Alors qu’au Burkina Faso, le ratio est d’environ 50% CPJ et 50% CPA.  C’est un constat qui doit interpeller aussi bien les professionnels du bâtiment et du BTP, que les Associations et Groupements d’ingénieurs en génie civil, Architectes et autres acteurs du secteur. L’ensemble des acteurs devrait s’engager à mener une compagne de sensibilisation sur les domaines d’application des deux produits : le CPJ s’emploie dans une vaste gamme d’ouvrages commerciaux et architecturaux en béton. En effet, il peut être utilisé dans :

-le béton prêt à l’emploi ;

-le béton armé fortement sollicité (structures porteuses) ;

-les travaux ordinaires en béton armé ;

-les travaux en grande masse ;

-les produits préfabriqués en béton non armé, etc.

En d’autres termes, le CPJ est largement suffisant pour répondre aux besoins des consommateurs au Burkina Faso, pour les différents types de constructions.

La qualité de ciment CPA ne devrait être utilisée que dans la production de produits de béton à haute durabilité, avec un développement rapide de la résistance. Il convient à des réalisations telles que :

-des ouvrages en béton armé fortement sollicité ;

-de béton précontraint ;

-des travaux exigeant un décoffrage rapide et de hautes résistances initiales.

D’une façon générale, c’est un produit destiné beaucoup plus au segment BTP.

Il convient de rappeler que le succès des travaux à entreprendre avec n’importe quel type de ciment, reste bien entendu, conditionné par le respect des règles de bonnes pratiques en matière de préparation, de mise en œuvre et de conservation des mortiers et bétons.

 

 

« Aujourd’hui, nous sommes à 6,7 millions de tonnes pour un marché de 3,2 millions de tonnes »

 

 

Quelles sont les attentes des cimentiers vis-à-vis de l’Etat ?

 

 

Aujourd’hui plus qu’hier, l’offre en ciment au Burkina Faso, est diversifiée, offrant ainsi aux consommateurs, un choix entre plusieurs marques et produits au normes internationales, respectant les standards de qualité, de santé et sécurité et de respect de l’environnement. Nous invitons l’Etat à protéger l’industrie du ciment du Burkina Faso qui est une fierté pour notre pays. Cela consiste à la protéger face à deux principales menaces que sont les importations frauduleuses et la surcapacité.  Le phénomène d’importation frauduleuse est de plus en plus visible sur les frontières Sud du pays avec le Ghana et le Togo. Il constitue un réel danger car nous assistons à l’effritement de notre marché dans ces zones, en faveur du ciment importé de façon frauduleuse. Les conséquences néfastes de la contrebande sur l’économie nationale, sont bien connues.  Pour cela, nous demandons un accompagnement des services du ministère du Développement industriel, du commerce et de l’artisanat, afin de dépêcher la brigade anti-fraude à être plus active dans les zones concernées par ce phénomène.  L’impact de la crise sécuritaire est fortement ressenti, notamment sur nos marchés du Nord et de l’Est du pays. Pour la deuxième année consécutive, nous enregistrons une stagnation du marché national. La croissance faible du marché devrait justement nous inviter à beaucoup faire attention, pour ne pas tomber dans le piège de la surcapacité, c’est-à-dire implanter des usines plus qu’il n’en faut. Aujourd’hui, nous sommes à 6,7 millions de tonnes pour un marché de 3,2 millions de tonnes. Avec le démarrage, cette année, de la septième usine en construction, nous serons à 7,3 millions de tonnes pour un marché qui ne va pas croître, soit un taux d’utilisation de 43%. Ratio très faible pour une rentabilité des investissements dans l’industrie du ciment. Qu’à cela ne tienne, nous allons prier pour espérer une reprise du marché dans les années à venir afin d’atteindre un taux d’utilisation d’au moins 65%. Mais en attendant, l’Etat devrait revoir sa politique d’octroi des autorisations de construction des usines de ciment pour éviter un scénario catastrophique.  L’exemple vivant est celui de l’industrie du ciment en Côte d’Ivoire où en un laps de trois ans, ils se sont retrouvés avec une capacité équivalente à plus de trois fois le marché avec des conséquences dramatiques pour les investisseurs, les emplois et sur le secteur en général. Cette situation devrait interpeller notre ministère en charge de l’industrie sur sa responsabilité de protection et de préservation des unités burkinabè, ce, afin de garantir une stabilité du marché, la compétitivité de l’industrie du ciment dans la sous-région. Nous devons à tout prix ne pas reconduire les erreurs de nos voisins, sachant que l’expérience citée tantôt n’a pas forcément été synonyme d’une diminution des prix du ciment pour le consommateur final.

 

Propos recueillis par Issa SIGUIRE

 

 


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