ABDOULAYE MOSSE, PRESIDENT DU PPS, A PROPOS DE LA LUTTE CONTRE L’INSECURITE : « Avec les militaires à la tête de l’Etat, les populations espéraient un miracle »
Il est un ex-cadre de l’ancien parti au pouvoir, le MPP. Il est désormais le président du Parti panafricain pour le salut (PPS) créé au lendemain de la chute du régime de Roch Kaboré. Abdoulaye Mossé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a accordé une interview le 15 mai dernier à Ouagadougou. Le président du PPS, dans cet entretien, est revenu sur la situation sécuritaire au Burkina, 100 jours après la prise du pouvoir par les militaires, le 24 janvier 2022, et sur la vie de son nouveau parti, le PPS. Lisez plutôt !
« Le Pays » : Plus de 100 jours après la prise du pouvoir par les militaires, quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation sécuritaire au Burkina Faso ?
Abdoulaye Mossé: Aujourd’hui, la situation sécuritaire ne peut s’analyser de façon segmentaire ou isolée de tout ce qui a prédécédé. Comme vous le savez, la guerre est l’un des pires cauchemars de la vie d’un individu et d’une société. A chaque fois que les tenants du pouvoir ne peuvent pas dire, demain c’est la fin ou après-demain ce sera terminé, avec juste raison, les populations ont le sentiment que leur calvaire dure tout une éternité. Et ça, il faut le comprendre et surtout l’accepter. Ce sentiment d’impatience des populations, somme toute légitime, devrait être l’un des premiers stimulants des gouvernants. Les militaires ont mis la question sécuritaire au-devant de leur prise du pouvoir. Nous étions déjà à un niveau assez critique de dégradation de la situation sécuritaire. Avec les militaires à la tête de l’Etat et sur le terrain, les populations espéraient un miracle. Comme on le dit en football, la population attendait une « remondata » après tous les morts, déplacés internes, territoires perdus, biens détruits. Pour l’instant, ce renversement de situation n’est pas encore au rendez-vous, du moins selon ce que nous observons. Mais nous espérons une montée en puissance très bientôt car nous n’avons pas d’autre choix. La victoire sur le terrorisme est une question existentielle.
« Roch a été chargé de tous les péchés en matière de sécurité parce qu’il était le président du Faso et le chef suprême des armées »
Vous l’avez dit, « avec les militaires à la tête de l’Etat et sur le terrain, les populations espéraient le miracle ». Jusqu’à présent, le miracle se fait attendre si fait qu’une bonne partie de l’opinion commence à penser que l’ex-président Roch Kaboré n’était pas forcément le problème dans cette lutte contre l’insécurité.
Quel est votre avis ?
En matière de sécurité, comme dans plusieurs domaines, les responsabilités sont toujours partagées. Mais l’opinion n’est pas dans les conditions de situer les responsabilités de chacun et d’en tirer les conclusions qui vont avec. Alors, on met tout sur le premier responsable. La différence majeure entre les accusations portées sur un civil et celles portées sur un militaire, c’est que le militaire est dans son domaine de spécialité. En plus, il a une chaîne de commandement qu’il connait bien et dont la discipline et l’obéissance sont de mise. Le militaire reste à vie un spécialiste de la sécurité. Avec le civil, c’est un peu différent. Vous voyez, à chaque fois, les passes d’armes entre les agents des ministères à travers les syndicats et leurs ministres. Cela n’est pas le cas dans l’armée. En résumé, Roch a été chargé de tous les péchés en matière de sécurité parce que qu’il était le président du Faso et le chef suprême des armées. Il en a été ainsi et il en sera toujours ainsi.
Selon vous, quelles différences fondamentales y a-t-il entre l’approche du président Damiba et celle de Roch, en matière de lutte contre le terrorisme ?
Là, vous me posez une question de stratégie militaire. Alors que je ne suis pas analyste des stratégies militaires. Comme je vous l’ai dit plus haut, moi j’observe avec le regard du citoyen lambda et je fonde mon appréciation sur ce que vous autres, médias, nous donnez comme informations sur le plan sécuritaire. Ce qui est indéniable, c’est que sous le régime Kaboré, il y avait des attaques terroristes et sous la transition, il y a aussi des attaques. Voulez-vous savoir s’il y en a plus ou moins ? Je ne saurais le dire puisque je n’ai pas de statistiques pour apprécier.
Vous donnez l’impression de fuir la question et ce d’autant plus qu’un parti comme le PPS qui aspire à diriger le Burkina Faso, a certainement une cellule technique de réflexion sur les questions sécuritaires et qu’en tant que tel, vous, président, vous êtes briefé sur ce qui se passe en matière d’options sécuritaires. N’est-ce pas ?
Oui, nous suivons la situation mais comme vous le savez autant que moi, les bilans des actions militaires sont désormais mensuels. Ils sont la base officielle d’appréciation avant tout autre source qui, naturellement, pourra lui être opposée ou confirmée. Nous sommes aussi de ceux qui pensent que la pression à travers les médias, réseaux sociaux et autres actes ont leur valeur dans la lutte contre le terrorisme. Il y a également d’autres façons de faire, qui peuvent être efficaces et aider à parvenir rapidement à des solutions. Ces pistes, nous y travaillons sans faire top de tapage autour.
Abdoulaye Mossé s’est-il remis de la perte du pouvoir, 100 jours après ?
En politique, il faut vivre au quotidien avec le facteur X qui est une inconnue permanente. Même dans les situations les plus sereines, on peut passer d’un niveau à un autre à plus forte raison une situation très agitée comme nous l’avons connue ces 10 dernières années au Burkina Faso. L’important est d’être toujours disponible pour reprendre le combat à chaque fois qu’il y a une embûche qui nous détourne de notre trajectoire. Le Burkina Faso aura toujours besoin de personnes prêtes à porter les défis de l’action publique et Abdoulaye Mossé a fait le choix d’être l’un de ces fils du Faso sur qui le peuple peut compter. J’ai la confiance de beaucoup de nos concitoyens et je pense que c’est cela le véritable pouvoir que Dieu donne à qui il veut.
D’où tirez-vous cette confiance dont vous parlez ?
En politique, la confiance des populations ne se décrète pas. C’est une grâce divine qui vous facilite le contact humain, la serviabilité, l’écoute, la capacité à se tenir aux côtés de ceux et celles qui sont dans le besoin et surtout ceux qui ont un idéal de se regrouper et de porter les défis des responsabilités communes. Une société a toujours besoin de ces personnes qui consacrent une bonne partie de leur temps à proposer des solutions aux défis actuels et à anticiper sur ceux à venir.
Le PPS était à Bobo-Dioulasso. Avez-vous le sentiment que votre parti peut jouer les premiers rôles au niveau politique dans la ville de Sya ?
Je voudrais saisir cette occasion pour remercier la population de Sya et en particulier, les autorités coutumières et religieuses, pour l’accueil cordial et les sages conseils dont nous avons bénéficié. Notre sortie était vraiment une sortie de prise de contact. Comme vous le savez, c’est surtout à travers les médias que la plupart des gens ont connaissance du PPS. Nous avons estimé qu’il était préférable de faire le pas vers les personnalités et les populations afin de nous présenter officiellement à elles. C’est surtout cela le sens de notre présence à Bobo-Dioulasso. Pour ce qui est de la température politique si je puis m’exprimer ainsi, je vous donne rendez-vous à des moments beaucoup plus indiqués. Pour l’instant, nous nous en tenons à l’essentiel et au strict nécessaire pour que les populations fassent notre connaissance.
Le PPS est pratiquement le seul parti politique à faire preuve d’activisme politique à l’heure actuelle. Cela a suffi à certains pour dire que vous êtes soutenus par les militaires. Qu’en dites-vous ?
Je ne sais pas ce que vous appelez activisme politique et surtout activisme politique du Parti panafricain du salut ! Lorsque le chef de l’Etat interpellait les partis politiques sur leur attitude politique durant la transition, notre parti n’était pas encore né. A ce que je sache, la création de nouveau parti n’a pas été interdite. Nous avons saisi cette possibilité qui existe toujours d’ailleurs pour tous les Burkinabè, de nous mettre ensemble pour porter un idéal politique. Si nous étions dans l’illégalité, le ministère en charge des libertés publiques ne nous aurait pas permis notre congrès constitutif et encore moins nous délivrer un récépissé de reconnaissance. Par ailleurs, la création d’un parti politique est toujours suivie d’un certain nombre d’actes qui permettent à tous ceux qui sont dans les provinces et les départements, de se sentir concernés officiellement par les actes du parti auquel ils ont participé à l’assemblée générale constitutive. C’est juste de cela qu’il s’agit, pas d’autre chose. Les partis déjà existants n’ont pas besoin de cela puisqu’ils sont déjà installés. Au détour, vous constaterez que les anciens partis ont quand même des rencontres et d’autres activités. Je me dis que l’essentiel, pour les partis politiques, à l’heure actuelle, c’est de ne pas gêner la marche de la transition et surtout éviter de perturber la lutte contre le terrorisme.
En écoutant les commentaires de certains de vos militants, le PPS est le parti qui dirigera le pays après la transition. Quel commentaire en faites-vous ?
Un militant qui ne croit pas à son parti n’a pas de raison de militer dans ce parti. Un militant qui ne peut donner l’envie à d’autres personnes de rejoindre son parti, est un obstacle pour ce parti. Il faut surtout prendre les commentaires dans ce sens. Alors, les commentaires qui se font à différents endroits, c’est normal que les militants du PPS défendent leur parti et rassurent que le parti n’est pas né pour faire de la figuration. Mais vous le savez autant que moi, la dévolution du pouvoir après la transition ne sera pas par désignation mais par élection. Il faudra alors se battre pour avoir le droit de gérer le pouvoir d’Etat. Le PPS sera sur le terrain au même titre que les autres partis. C’est le choix des populations qui fera la différence par la suite.
Par contre, d’aucuns prédisent votre désagrégation d’ici aux prochaines élections. Pensez-vous avoir les reins suffisamment solides pour vous battre et sortir victorieux face aux grands partis déjà existants, aux élections à venir ?
Tout parti politique qui naît, a d’office des adversaires. Ce n’est donc pas étonnant, toutes ces attaques que nous subissons. Mais je voudrais demander aux uns et autres de temporiser car le moment est peu propice à des débats de ce type. A l’heure actuelle, notre préoccupation reste le retour de la paix, le retour des personnes déplacées dans leurs localités respectives et la reprise d’une vie socioéconomique normale. D’ailleurs, la quasi-totalité de nos actions terrains s’inscrivent dans ce sens afin que nous disposions de relais fiables sur le terrain pour une remontée d’informations de qualité et une contribution adaptée du PPS à la sécurisation du pays. Nous sommes une équipe apte et prête mais nous ne sommes pas dans l’esprit de nous mesurer à quelque parti que ce soit, ces moments-ci. C’est un choix d’être aux côtés du peuple et de laisser à plus tard, le jeu politique et les questions de politique politicienne.
Pensez-vous que le PPS est l’objet d’attaques ? Si oui, de la part de qui et pourquoi ?
Notre parti est le dernier-né des partis avec cependant des personnalités et des responsables aguerris et avertis. Cependant, nous avons réussi à nous insérer dans le quotidien des Burkinabè. La société s’ajuste pour nous faire la place et là, ça peut donner l’impression d’attaques parfois virulentes, de coups portés par personnes interposées. Nous nous abstenons d’indexer qui que ce soit. Les populations nous font confiance, elles nous le témoignent à chaque fois qu’elles en ont l’occasion. Pour nous, c’est ça le plus important.
Avez-vous un mot particulier que vous souhaitez exprimer ?
Merci pour cette ouverture. Je remercie votre journal pour cette tribune qui m’a été offerte et à travers vos colonnes, je remercie la presse nationale pour le boulot de qualité qu’elle fait et qui est reconnu au-delà du Burkina Faso. A toute l’opinion nationale surtout et à la diaspora, je sais que les frustrations et les blessures sont profondes de part et d’autre mais nous devons nous donner la main pour traverser cette période très difficile pour notre nation. Notre existence en tant que pays étant en jeu, les gouvernants, tout comme les gouvernés, doivent chercher la base minimale qui nous permettra de sortir de la situation très déplorable que nous vivons.
Propos recueillis par Michel NANA