ACQUITTEMENT DU PHARAON MOUBARAK : Une insulte à la mémoire des centaines de manifestants tués
La Justice a ses raisons que la raison ignore. C’est le moins que l’on puisse dire, au regard de l’abandon de charges pour meurtre contre l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, chassé du pouvoir en 2011 par une révolte populaire. Et ce n’est pas tout. L’ex-raïs a été acquitté d’accusations de corruption dans une autre affaire. En un mot, l’ancien président Moubarak n’est ni directement ni indirectement responsable de la répression sanglante qui s’était abattue sur les manifestants, lors du soulèvement populaire de janvier et février 2011. Pourtant, on sait bien que plus de 846 Egyptiens y avaient perdu la vie.
Qui donc a donné l’ordre de tirer sur les manifestants, si l’on sait que tous les hauts responsables de la sécurité, y compris l’ex-ministre de l’Intérieur, Habib al-Adly, ont été également acquittés ? Seul le juge Mahmoud Kamel al-Rashidi peut répondre à cette question, lui qui a annoncé, à l’indignation générale, l’abandon de l’accusation de complicité de meurtre contre Moubarak et ses sept co-accusés. On voudrait bien croire à l’indépendance de la Justice égyptienne qui, de par le passé, a eu à prendre des décisions courageuses, mais ce verdict prononcé à la faveur de l’ex-raïs fait penser à un procès politique.
Car comment comprendre que d’une condamnation à perpétuité, on passe subrepticement à un acquittement total ? Mais, en fait, on voyait venir les choses. Car, on se rappelle que, comme pour justifier l’acquittement de l’ancien président, la Justice égyptienne avait d’abord procédé à l’annulation du premier procès qui le condamnait à perpétuité, pour, dit-on, des raisons techniques.
Il faut craindre un nouveau bras de fer sanglant entre le régime Al-Sissi et les islamistes
Ce verdict n’est ni plus ni moins qu’une insulte à la mémoire des victimes tombées lors de l’insurrection populaire. Le président Abdel Fattah al-Sissi voudrait bien tirer d’affaire son ancien mentor Moubarak dont il est un pur produit, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. L’idéal aurait voulu qu’il laissât la Justice faire son travail, quitte à gracier Moubarak par la suite, en tant que chef suprême de la magistrature. Cela aurait au moins eu l’avantage de sauver les apparences et d’éviter aux autorités de se mettre à dos l’opinion nationale et internationale. Déjà, elles sont nombreuses les organisations de défense des droits de l’Homme qui accusent Al-Sissi de vouloir confisquer la révolution, en favorisant le retour sur la scène politique des figures du régime défunt. Pour une preuve, on en a une, avec l’acquittement inattendu de Moubarak et son clan qui viennent d’être réhabilités et ce, après une traversée du désert qui aura duré environ quatre ans. Et ironie du sort, cette décision de justice intervient au moment même où le président islamiste Mohamed Morsi, destitué en juillet 2013, croupit toujours en prison. Toute chose qui n’est pas de nature à contenir la colère des Frères musulmans qui, illico presto, ont pris d’assaut l’emblématique place Tahrir pour dénoncer un déni de justice. Il faut donc craindre que dans les jours à venir, l’on assiste à un nouveau bras de fer sanglant entre le régime Al-Sissi et les islamistes qui saisiront sans doute l’occasion pour réclamer la libération de leur leader, Morsi. Et c’est de bonne guerre, car si autant Moubarak n’est pas coupable de la répression sanglante des manifestations durant le soulèvement populaire de 2011, autant Morsi peut en dire de même pour les violences dont on l’accuse d’être à l’origine.
Boundi OUOBA