ADOPTION D’UNE NOUVELLE CONSTITUTION AU TOGO : Le peuple togolais boira-t-il le calice…du pouvoir à vie jusqu’à la lie ?
Sans surprise, les députés présents à l’Assemblée nationale togolaise ont voté à l’unanimité la nouvelle Constitution qui fait basculer le Togo vers un régime parlementaire, tard dans la nuit de vendredi à samedi. Il ne reste plus que la promulgation de cette loi fondamentale par le président Faure Essoazina Gnassingbé pour consacrer le passage de la IVe à la Ve République, et signer la mort du suffrage universel direct qui a permis à la famille Eyadema de diriger, de manière autoritaire, le pays depuis le retour de la démocratie pluraliste dans les pays francophones d’Afrique, au début de la décennie 90. En clair, le président du Togo ne sera plus désormais élu directement par le peuple, mais par les députés et les sénateurs siégeant au Parlement, pour exercer un mandat unique de six ans au cours duquel il sera désinvesti de quasiment tous les pouvoirs, au profit du président du Conseil des ministres lui aussi désigné par les parlementaires, en sa qualité de chef du parti ou de chef de file de la coalition de partis majoritaire à l’issue des élections législatives. Ce dernier, qui concentrera tous les pouvoirs exécutifs, sera une sorte de super-Premier ministre, et aura un mandat illimité. C’est justement tous ces pouvoirs exorbitants qui font dire à l’opposition, à la société civile et à l’Eglise catholique, que le président togolais, sous l’emprise de l’actuelle Constitution et le Président du Conseil des ministres sous la nouvelle loi fondamentale, sont deux terminologies différentes qui désignent la même calamité démocratique, puisqu’il sera loisible au futur ‘’homme fort’’ du Togo de rester à son poste aussi longtemps que son parti ou sa coalition sera majoritaire au Parlement.
Le mercure politique va dangereusement monter à Lomé
Le président Faure Gnassingbé étant actuellement le président du parti qui a le plus de chances de l’emporter aux législatives du 29 avril prochain, on n’a pas besoin d’être un géomancien du Gulmu pour savoir qu’il occupera, sauf improbable retournement de situation, ce poste qui lui a été taillé sur mesure. Il est donc loisible de comprendre que si l’opposition politique rue dans les brancards depuis que l’annonce de l’adoption par l’Assemblée nationale a été faite, c’est d’abord parce que le mode de révision est vicié au fond. Car il viole les dispositions de l’article 59 de la Constitution actuelle qui n’est modifiable que par voire référendaire, qui stipulent que « le président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret… ». Ensuite, l’opposition togolaise sait mieux que quiconque que le président Faure Gnassingbé a plus d’une entourloupe dans son sac, et sachant qu’il devra impérativement quitter ses fonctions en 2030, il est en train de manœuvrer pour aller au-delà de ce délai, pour se donner le temps de sortir de son chapeau un autre moyen politico-légal pour jouir des délices du pouvoir ad vitam aeternam. Reste à savoir si cette capacité à rouler tous ses opposants dans la farine va encore perdurer, surtout dans ce contexte politique sous- régional plus que jamais volatile, marqué par des putschs militaires sur fond de désaffection des peuples qui s’estiment de plus en plus trahis par leurs dirigeants.
Le chemin du renouveau démocratique est tout tracé pour le Togo
Dans le cas du Togo, on peut objectivement dire que la réponse à cette question est un « Oui » circonstancié, étant entendu que le président Faure et son clan familial dirigent de manière monopolistique le pays depuis plus de 50 ans et ont eu, de ce fait, le temps d’étendre leur emprise ploutocratique sur les segments les plus stratégiques de l’économie, et de tuer, dans l’œuf, toute expression dissidente jugée à leurs yeux potentiellement déstabilisante. Et ce n’est surtout pas vers la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest que tous les Togolais fatigués du système devront se tourner pour trouver gain de cause ; l’instance sous- régionale ayant préféré fermer sa gueule pour ne pas se la faire fracasser par le très fort Faure Gnassingbé, alors que tout porte à croire que le mercure politique va dangereusement monter à Lomé dans les prochaines semaines. C’est triste à dire, mais le peuple togolais risque de boire le calice… du pouvoir à vie jusqu’à la lie. A moins qu’il ne prenne conscience des nouvelles opportunités que lui offre la nouvelle Constitution pour faire du Togo l’un des pays les plus démocratiques du continent, avec de réelles possibilités d’alternance. Il ne faudrait pas, en effet, que le bébé soit jeté avec l’eau du bain. Car cette Constitution, si elle a des parties sombres, elle ouvre aussi de bonnes perspectives en matière de gestion inclusive, démocratique et transparente du pays à travers les représentants du peuple qui pourront désormais contrôler effectivement et efficacement l’action de l’Exécutif et empêcher que des dirigeants ne se transforment en « empereurs » au lieu d’être des serviteurs du peuple. Et comme dans le régime parlementaire, le chef de l’Exécutif n’est pas un super- homme qui peut tout se permettre mais plutôt un homme aux pouvoirs limités par la Constitution et le Parlement devant lequel il est responsable, celui-ci ne pourra pas « dealer » avec des puissances étrangères aux fins de préserver la stabilité politique de son pouvoir, sans que le Parlement et donc le peuple, ne soit préalablement avisé. Si on ajoute à tout cela les risques pour le chef de l’Exécutif de se faire démettre par les députés en cas d’errements, on peut dire que le chemin du renouveau démocratique est tout tracé pour le Togo, à moins que l’homme fort du moment, qui, rappelons-le, n’en est pas à un coup tordu, ne brouille les règles du jeu pour continuer à faire du Togo ce qu’il a toujours été, c’est-à-dire une démocratie sans démocrate.
« Le Pays »