HomeA la uneAFFAIRE BEN BARKA : 50 ans après, le mystère reste entier

AFFAIRE BEN BARKA : 50 ans après, le mystère reste entier


 

50 ans, jour pour jour, après le rapt et l’assassinat,  le 29 octobre, en banlieue parisienne, de  Medhi Ben Barka, le temps n’aura pas eu raison de l’imbroglio politico-judiciaire que représente l’« Affaire Ben Barka ». En raison notamment de l’épais mystère qui voile les circonstances de cet assassinat aux fortes connexions politiques, et du fait de l’impossible deuil de sa famille qui n’a pu encore s’incliner sur l’introuvable dépouille mortelle et enfin parce que l’instruction reste ouverte à Paris, alors que les vrais responsables de l’assassinat n’ont jamais été inquiétés par la justice. Qui était l’homme ? Les générations actuelles tritureront  leurs méninges pour répondre à la question,  mais celles des « années des indépendances », à force de réflexion,  trouveront  d’évanouissants souvenirs. Ben Barka est une emblématique figure intellectuelle et politique du mouvement anticolonialiste et opposant au roi Hassan II du Maroc  qui l’eut comme professeur de Mathématiques.  En 1945, il est l’un des responsables de l’Istiqlal, le parti nationaliste qui a mené le Maroc à l’indépendance. En 1955, il participe aux négociations qui aboutiront au retour du roi Mohammed V que les autorités françaises avaient forcé à l’exil à Madagascar. Mais à la fin du protectorat français qui consacre l’indépendance du Maroc, il se trouve très vite  en rupture de ban avec Hassan II  dont il dénonçait le conservatisme : «Ce régime médiéval tendrait à ressusciter les structures médiévales de la société marocaine ». Dès lors, il est dans la ligne de mire de la dynastie régnante et échappe en 1962 à un premier assassinat. Contraint à l’exil en Algérie, il s’emploie à donner une perspective mondiale aux luttes de libération nationale en s’inspirant des écrits de Frantz Fanon, d’Aimé Césaire ou de  la pensée contestatrice face à la puissance impériale britannique en Afrique de Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah et Julius Nyerere. Dans une Algérie devenue le foyer intellectuel de la contestation révolutionnaire internationale, il rencontre les dirigeants des mouvements de libération comme Amilcar Cabral ou Ernesto Che Guevara ou des figures  puissantes du mouvement noir aux Etats-Unis, Malcolm X. Il présidait le comité préparatoire de la Conférence de la Tricontinentale qui devait réunir à la Havane, en janvier 1966, les représentants des mouvements de libération des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, lorsqu’il est enlevé et assassiné et son corps probablement dissous dans de l’acide. Il s’en suivra la disparition mystérieuse de nombreux acteurs et témoins, rendant impossible la démêlée des fils de la toile.

On peut bien tuer des hommes, les grandes idées survivent

 

Pourquoi le leader révolutionnaire a-t-il été assassiné et par qui ? Le meurtre de Ben Barka évoque les tristement célèbres réseaux de la Françafrique et les non moins célèbres noms de ceux qui les ont animés au profit du Général De Gaulle, comme Focard. Les idées révolutionnaires de Ben Barka n’étaient pas pour plaire à la monarchie marocaine qui ne voulait pas connaître le sort de celle de l’Egypte renversée, ni aux dirigeants impérialistes encore sous le choc du séisme des indépendances et ce dans un contexte de guerre froide. Son parti pris pour la cause palestinienne intègre Israël dans la conjuration internationale qui a ourdi le complot  de son élimination physique. Eliminer Ben Barka était une exigence majeure dans la répression internationale des insurrections du tiers-monde. Le maître d’ouvrage du crime est vraisemblablement Hassan II avec pour exécutant délégué, le Général Mohammed Oufkir. L’assistance technique a été fournie par les services de renseignements français, de la CIA américaine et du Mossad israélien. 50 ans après, seule une déclassification du dossier pourrait permettre de faire jaillir la lumière et de permettre l’aboutissement judiciaire du dossier, avant que ne disparaissent les quelques rares survivants qui peuvent encore témoigner. Mais le président  socialiste, Hollande, osera-t-il déclassifier le dossier ? Il y a peu à parier dessus ! D’abord parce que d’énigmatiques socialistes dont le président Mitterrand indigné en premier par ce crime, ont géré l’Etat français avant lui sans lever le voile sur le mystère. Ensuite, Hollande a dépensé un trésor d’énergie à dégripper les relations franco-marocaines au nom des intérêts économiques réciproques des deux pays et il ne prendra pas le risque de remuer le couteau dans la gangrène du passé colonial sans intérêt politique évident. Enfin, parce que le lobby juif reste très puissant et très actif sur la question palestinienne. La France, fût-elle pays des droits de l’homme et qui plus est, a vu perpétrer cet assassinat sur son territoire, devrait continuer de faire profil bas malgré la douleur de la famille Barka ! Face au déni de justice, c’est à l’Afrique et aux peuples colonisés encore sous le diktat des puissances occidentales, de valoriser la mémoire de ses héros. C’est la perspective de  la liberté qu’on a voulu tuer, en assassinant Mehdi Ben Barka. Mais on peut bien tuer des hommes, les grandes idées survivent et se réincarnent dans d’autres leaders charismatiques. C’est en cela que le dossier Ben Barka, tout comme les dossiers Patrice Lumumba et Thomas Sankara, appartiennent à l’éternité.

SAHO


No Comments

Leave A Comment