HomeA la uneAFFAIRE THOMAS SANKARA   « Tous les éléments constitutifs de l’assassinat sont réunis », selon Me Ambroise Farama

AFFAIRE THOMAS SANKARA   « Tous les éléments constitutifs de l’assassinat sont réunis », selon Me Ambroise Farama


Au Tribunal militaire délocalisé dans la salle des Banquets de Ouaga 2000 pour juger le dossier de l’assassinat du président Thomas Sankara et de 12 de ses camarades d’infortune, l’heure est aux plaidoiries. Et ce sont les avocats de la partie civile qui tiennent le crachoir. Ils ont fait un rappel des faits, de la procédure et donné une explication des preuves dont le tribunal peut se servir pour bâtir sa religion. Le 2 février 2022, l’auditoire s’est même vu servir « un cours magistral » de droit.

 

« Il ne s’agit pas seulement du procès de l’enfant de Yako qui a été tué, il s’agit du procès de celui qui se battait contre l’impérialisme, contre le néocolonialisme », déclare Me Ferdinand Nzepa, l’un des avocats de la partie civile qui a ouvert le bal des plaidoiries. Il décrit Thomas Sankara comme « celui qui voulait qu’on traite son pays avec respect ». Pour lui, la vérité ne sera pas parfaite parce que le temps s’est écoulé et certaines personnes ont échappé aux mailles de la justice, tandis que d’autres sont décédées. Me Mzepa aurait aimé que « les acteurs capitaux »,  Hyacinthe Kafando et Blaise Compaoré soient là pour donner leur version des faits. Il aurait aimé qu’au soir de sa vie, Blaise Compaoré ait le courage de venir donner sa part de vérité, qu’il vienne affronter le regard des familles des personnes tuées. L’avocat de la partie civile insiste sur le fait que le père de Thomas Sankara est parti sans avoir vu la tombe de son fils alors qu’il aurait souhaité la voir et que Blaise Compaoré lui dise ce qui s’est passé, « les deux étant ses fils ». Mais Blaise Compaoré a choisi la fuite au moment où les familles n’attendent que « la vérité, la justice et la repentance ». Surfant sur la superstition, Me Nzepa annonce que Thomas a été assassiné le 15 octobre 1987 et le père de Thomas Sankara est décédé le 4 août 2006, à 87 ans. Pour lui, ces signes ne sont pas fortuits.

Après le forfait du 15 octobre 1987, il fallait expliquer ce qui s’est passé. Quelle version donner ? Selon Me Nzepa, plusieurs versions ont été données. Et c’est Arsène Bongnessan Yé, porte-parole du président du Front populaire, qui donne la version officielle pendant une réunion avec les diplomates : « Il y avait beaucoup de tensions entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara. Thomas Sankara était prêt à faire une purge. On a voulu interpeller Thomas Sankara, il y a eu une fusillade et Thomas Sankara a été tué ». Des émissaires ont été envoyés à l’international pour expliquer ce qui s’est passé. Et Me Nzepa de se demander : « Pourquoi a-t-on tué Thomas Sankara ? A qui profite le crime ? ». A son avis, c’est ceux qui ont planifié, orchestré l’assassinat de Thomas Sankara qui en ont bénéficié, parce qu’il fallait se débarrasser d’un homme qui était devenu un obstacle à leur enrichissement, à leur jouissance. Donc, pour lui, le crime profite à tous ceux qui étaient autour de Blaise Compaoré. A entendre le conseil de la partie civile, Blaise Compaoré voulait récupérer le pouvoir qu’il a convoité depuis mai 1983, et son comportement n’était pas loin « d’un comportement machiavélique ».

A la suite de Me Nzepa, Me Anta Guissé, également avocate de la partie civile, a donné les définitions des termes techniques utilisés.

 

Les 4 éléments constitutifs de l’assassinat

A la reprise, Me Ambroise Farama a essayé de relever les éléments constitutifs de l’assassinat.  En effet, explique-t-il, pour qu’il y ait assassinat, 4 éléments essentiels doivent être réunis. « Il faut d’abord qu’il y ait des personnes qui aient été tuées. Ensuite, qu’on ait donné volontairement la mort à ces personnes et que ces morts soient données dans des circonstances soit du guet – apens ou de la préméditation. Mais vous conviendrez avec moi que lorsque vous formez un commando qui prend des armes de guerre, à savoir des RPG7, des Kalachnikovs, et qui prennent chacun 3 chargeurs et qui vont sous le prétexte d’arrêter le président du Faso, on ne peut pas croire qu’ils n’avaient pas l’intention d’utiliser ces armes », a expliqué Me Farama. En droit, à partir du moment où les accusés se sont prémunis de ces armes, sachant que l’usage de ces armes peut conduire à la mort, même si leur première intention n’était pas de donner la mort, dès lors qu’il se sont préparés dans le sens de pouvoir donner la mort s’ils y étaient obligés,   l’infraction d’assassinat est constituée. « Maintenant, est ce qu’il y a des morts. Oui. Les corps ont-ils été retrouvés ? Oui.   Y avait-il des impacts de balles ? Oui. L’expertise balistique montre que ce sont des armes de guerre qui ont été utilisées.  La préméditation et le guet– apens sont établis puisqu’ils se sont préparés.  Il y a eu des réunions. Ils sont allés ensuite. Pour certains, ils étaient déjà au conseil en train d’attendre le président du Faso. Pour nous tous, les éléments constitutifs de l’assassinat sont réunis. Et nous savons, pour certains des accusés, que ces fait seront retenus pour   des faits d’assassinat »,  a-t-il soutenu. Signalons que Me Olivier Badolo  été le dernier  à plaider pour le compte de la partie civile. Il s’est appesanti sur la   collecte des preuves qui peut se faire, selon lui, de diverses manières. Pour le cas du présent procès, estime-t-il, toutes les preuves présentées peuvent être retenues.

                                                 Françoise DEMBELE et Issa SIGUIRE

ENCADRE 2

Le premier jour expliqué par Me Ambroise  Farama 

«Me N’Zepa a rappelé les faits, le contexte des faits. Après lui, Me Anta Guissé, Me Olivier Badolo et moi-même sommes revenus sur les éléments constitutifs, sur  les différentes  infractions pour lesquelles les accusés sont poursuivis. Il y a un principe qui veut, en  droit, que personne ne soit condamné pour une infraction si elle n’a  pas préalablement  été établie par la loi.  Il faille nécessairement qu’au moment des faits, qu’il y ait des lois qui prévoient, répriment les faits précis. Les faits ayant été commis en 1987 pour la plupart, il fallait aller rechercher  dans les dispositions pénales applicables à l’époque des faits, en 1987. En l’espèce, il s’agissait  du  Code pénal français de 1810 qui avait été rendu applicable dans les  territoires d’outre-mer et qui était toujours  applicable au Burkina Faso en 1987. Il fallait aller chercher dans ces anciens textes pour retrouver chaque infraction, quels sont les éléments qui doivent être réunis pour qu’on puisse dire si telles infractions sont établies ou telle infraction ne l’est pas.  (…) Nous avons essayé, au cours de cette première journée,  de définir ce cadre juridique, de dégager toutes les problématiques de droit et enfin, de terminer par comment se fait la collecte des preuves. On peut penser  que tout ce que nous avons fait durant les 3 mois n’a aucun sens. Mais en réalité, nous avons essayé de démontrer que tous les débats qui ont eu lieu durant les 3 mois, visaient à réunir les éléments ou les indices de preuves qui vont permettre d’asseoir la culpabilité des différents prévenus. Demain, nous reviendrons avec les preuves, accusé par accusé. Pour chaque accusé, nous prendrons chaque accusation qui lui est collée et on va faire la comparaison des définitions que nous avons données et la recherche des preuves qui permettent d’établir que cette infraction est établie à l’égard de la personne elle-même. » 

Propos recueillis par FD et IS

 

 

ENCADRE 1

Vu et entendu au procès

* « Blaise Compaoré souffrait de sankarite », dixit Me Ferdinand Nzepa

Selon Me Nzepa, Blaise Compaoré voulait être à la place de Thomas Sankara qui lui faisait de l’ombre. Il voulait être calife à la place du calife. Au point qu’il souffrait de « sankarite ». « C’est le fait d’être avec quelqu’un qui est tellement charismatique que cela donne des boutons », explique Me Nzepa.

 

* Le « 15 octobre 1987 », selon la partie civile

« Ce jour-là, 7 personnes devaient participer à la réunion qui devait poser les jalons d’un parti d’avant-garde. Il s’agit de Halouna Traoré, Bonaventure Compaoré, Patrice Zagré, Christophe Saba, Paulin Bamouni et le président Thomas Sankara ». Le 15 octobre 1987, aux environs de 15h, le président arrive au Conseil avec sa garde rapprochée. Il rentre dans la salle. Après les salutations d’usage, Halouna Traoré prend la parole pour faire le compte-rendu de sa mission au Bénin. A peine il commence, que des coups de feu retentissent. Et on entend dire « Sortez, sortez !». Le président Thomas Sankara, habillé en survêtement et sans arme, puisque c’était jour de sport, se lève et dit aux autres : «Ne bougez pas, c’est de moi dont ils sont besoin ». Il sort de la salle les mains en l’air en demandant à plusieurs reprises : « Qu’est-ce qui se passe ? ». A peine a-t-il mis les pieds dehors qu’on le rafale. Il tombe sur le côté gauche. Et on tire sur les autres personnes aussi. L’opération terminée, le commando a nettoyé la salle, éteint le feu sur les rideaux et est reparti.

Par ailleurs, au même moment, deux autres équipes se retrouvent au camp de l’ETIR et à la FIMATS pour neutraliser toutes velléités de riposte.

Dans la soirée, les 13 corps sont accompagnés par des prisonniers et enterrés au « cimetière des pauvres ».

 

*Quand Me Ferdinand Nzepa jette des fleurs au juge Urbain Méda

Après avoir salué le travail de fourmi du juge d’instruction sur le dossier Thomas Sankara qui fait  2 000 pages, l’avocat de la partie civile, Me Ferdinand Nzepa, n’a pas manqué de jeter des fleurs au président de la Chambre criminelle du Tribunal militaire. L’avocat a surtout apprécié la manière dont le procès s’est déroulé. Pour lui, le président du tribunal a su mener le procès avec justesse et humour et a su recadrer les uns et les autres quand il le fallait. Cependant, il a déploré le fait que le juge n’ait pas autorisé l’enregistrement du procès.

 

*La genèse de la plainte relative à l’assassinat du président Thomas Sankara

 Selon Me Ferdinand Nzepa, la première plainte a été déposée par Mariam Sankara, l’épouse du président Thomas Sankara, à Montpellier en France. Il a dit que le procès a pu se tenir grâce à plusieurs personnes qui se sont battues pour que le dossier ne soit pas enterré.  Au nombre de ces personnes, il a salué le courage et la détermination de Me Bénéwendé Sankara qui a accepté d’être le correspondant des avocats en France, malgré les risques qu’il encourait.  

 Rassemblés par FD et IS 

 

 

 


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