AFRIQUE: Pourquoi le retour des coups d’Etat ?
Les coups d’Etat étaient jadis la méthode de changement de gouvernement en Afrique. Le premier perpétré en Afrique de l’Ouest fut celui du Togo en 1963, avec la prise du pouvoir par la force de Gnassingbé Eyadema contre Sylvanus Olympio. Entre 1951 et 2020, plus de 90 coups d’Etat ont été perpétrés sur le continent. Durant toute cette longue période, seuls 30 dirigeants africains en exercice ont été remplacés pacifiquement lors d’élections, et 28 chefs d’Etat ont quitté volontairement le pouvoir après avoir accompli le nombre de mandats présidentiels prévus par la loi. Cependant, force est de constater qu’ en 2000, la propension à recourir aux coups d’Etat, au nombre de 15 au cours de la décennie précédente, a suffisamment inquiété l’Organisation de l’unité africaine (OUA), pour qu’elle adopte la Déclaration de Lomé qui met fin à sa politique habituelle consistant à fermer les yeux sur les « affaires intérieures » des Etats membres. L’OUA a ainsi décrété que toute prise de pouvoir à la suite d’un « changement anticonstitutionnel de gouvernement » impliquerait une suspension du pays concerné. Visiblement, cette disposition concernait les coups d’Etat militaires. Suite à la Déclaration de Lomé, l’incidence des coups d’Etat a diminué de manière régulière passant de 15 entre 1991 et 2000, à 8 au cours de la décennie suivante, puis à 5 entre 2011 et 2020. Cependant, on assiste aujourd’hui à une recrudescence des coups d’Etat en Afrique et particulièrement en Afrique de l’Ouest. En moins de 13 mois, à partir du 18 août 2020, il y a eu 3 coups d’Etat qui ont été commis au Mali, en août 2020 et en mai 2021, et en Guinée Conakry, en septembre 2021. Qu’est-ce qui peut expliquer cette recrudescence de ces coups d’Etat ? Les raisons sont multiples.
Sans être un militaire, Paul Biya a réussi l’exploit de commencer depuis longtemps à se fossiliser au pouvoir
Les élections mal organisées, une population de jeunes frustrés, sans emploi et de plus en plus inaptes au travail, qui voient les possibilités de leur participation à la gouvernance nationale de leur pays réduites du fait de dirigeants qui veulent conserver à tout prix le pouvoir, une absence de démocratie, etc. L’expérience d’Alpha Condé illustre parfaitement cela. Il est vrai que nous assistons de moins en moins aujourd’hui à des prises de pouvoir par la force en Afrique centrale et orientale. Les raisons semblent simples : les chefs d’Etat qui sont à la tête de pays comme l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Congo Brazzaville, etc., sont arrivés au pouvoir en perpétrant des coups de force. Une fois au pouvoir, ils se sont ensuite permis de tout verrouiller autour d’eux. Des mesures de précautions ont été prises afin de ne pas subir le sort du prédécesseur. Des mesures draconiennes sont prises comme la privation de la liberté d’expression, la chasse aux opposants, et même leur clochardisation ; tout ceci afin de s’assurer une longévité indécente au pouvoir. Les exemples foisonnent en Afrique centrale : Sassou Nguesso, Paul Kagamé, Yoweri Museveni et Al Burhan en Afrique orientale pour ne citer que ceux-là. Au Cameroun, sans être un militaire, Paul Biya a réussi l’exploit de commencer depuis longtemps à se fossiliser au pouvoir. Au total, désir irrépressible du pouvoir, volonté farouche de s’y maintenir envers et contre tous, privations de libertés élémentaires, déficits démocratiques, frustrations populaires, mal gouvernance, corruption, exigences du néo-colonialisme, sont, pour l’essentiel, les causes des pronunciamientos en Afrique.
Ben Issa TRAORE