ALEXANDRE JEREMIE GUESSEOUINDE SANKARA, DEPUTE
Député et membre de la Commission des finances et du budget (COMFIB), Alexandre Jérémie Guesséouindé Sankara n’est, pour l’instant, militant d’aucun parti politique depuis sa démission de l’UNIR/PS. Ce qui ne l’empêche pas d’être sur le terrain politique. Face à la fronde sociale consécutive à l’application de l’IUTS qui fait des vagues et à la crise du Covid-19, nous l’avons rencontré afin qu’il puisse se prononcer. En plein confinement, le député Alexandre Jérémie Guesséounidé Sankara a accepté de répondre à nos questions, le 29 mars 2020.
« Le Pays » : La pandémie du Covid-19 sévit au Burkina. Pour y faire face, le gouvernement a pris des mesures drastiques. Quel regard portez-vous sur ces mesures dont certaines (fermeture des marchés et yaars) font l’objet de critiques ?
Alexandre Sankara : Avant tout propos, je voudrais saisir l’occasion que vous m’offrez pour adresser toutes mes condoléances aux familles endeuillées par le Covid-19. Que les âmes des disparus (es) reposent en paix et que Dieu apaise les cœurs des familles. A tous les malades qui luttent actuellement contre cette maladie, je leur souhaite courage et prompt rétablissement. C’est le lieu pour moi aussi de saluer tout le corps médical et paramédical qui se bat au quotidien auprès des malades dans des conditions parfois difficiles et qui risquent leur vie pour sauver les nôtres. J’associe à ces pensées, les Forces de défense et de sécurité (FDS) chargées de faire respecter les mesures auprès d’une population prise entre inquiétude, panique et nécessité de survie. Pour revenir à votre question, je salue les mesures édictées par les autorités sanitaires, religieuses et gouvernementales et j’invite les populations à les observer scrupuleusement car il y va de notre santé et de nos vies. La maladie est réelle et elle n’épargne personne, riches ou pauvres. Il est indéniable que certaines mesures sont d’application difficile au vu de nos réalités et vont entraîner des désagréments voire des contraintes réelles pour certaines catégories de personnes, notamment les plus vulnérables qui vivent au jour le jour et qui ont besoin “d’aller et venir” pour avoir de quoi nourrir leur famille. Mais au vu de l’urgence et des enjeux que nous impose la pandémie, ces mesures sont nécessaires et l’heure n’est pas aux critiques mais plutôt aux propositions. Dans ce sens et en sus des mesures déjà prises, le gouvernement doit songer à des mesures d’accompagnement au profit, non seulement des ménages les plus vulnérables, mais aussi au profit de certains secteurs d’activités qui vont prendre un coup du fait des mesures prises mais du fait simplement même de l’existence de la maladie. Par exemple, les mesures suivantes pourraient être prises :
-rapporter la TPA (la Taxe patronale d’apprentissage) pour les entreprises pour le reste de l’année 2020,
-rapporter les factures d’eau et d’électricité pour ce qui concerne les tranches sociales,
-appliquer un taux réduit de TVA à l’hôtellerie,
-rapporter la tranche du 1er et 2e trimestre de l’impôt sur le secteur informel,
-permettre aux transporteurs d’augmenter le prix des tickets de 300f pendant 3 mois après la reprise à la condition que leurs salariés continuent d’être payés pendant la période d’arrêt si celui-ci est inférieur ou égal à un mois,
-négocier avec les banques le rééchelonnement sans pénalités des emprunts des travailleurs et des entreprises pour deux ou 3 mois,
-prévoir une prime à la fin de la crise, d’un mois de salaire pour l’équipe spécifique installée et travaillant directement à la riposte de la pandémie,
-prendre en charge les conjoints et conjointes et les enfants des agents de santé qui perdront la vie directement dans le cadre de la riposte contre le Covid-19
- etc.
Il est également nécessaire que la médecine traditionnelle soit associée à la lutte car, par moments, elle a montré des résultats probants là où la médecine moderne rencontre des difficultés. Il importe aussi de songer à l’après coronavirus car il y aura un après-coronavirus avec à la clé une crise économique et sociale dont les conséquences seront aussi, sinon plus, catastrophiques que celles induites par la maladie elle-même. C’est pourquoi, parallèlement au comité de riposte qui a été mis en place pour faire face à la pandémie, il serait aussi utile de mettre en place une équipe d’économistes, de sociologues et autres spécialistes des questions financières et sociales pour commencer à réfléchir dès à présent, à comment notre pays va faire face à l’après-coronavirus. Pour terminer sur la question, nous devons, face à la pandémie, cultiver davantage la solidarité. L’histoire nous enseigne que face aux grands périls, les nations qui se sont mieux tirées d’affaire sont celles qui ont su faire preuve de solidarité communautaire. Chacun peut apporter sa petite contribution à la lutte et cette contribution n’est pas seulement financière ou matérielle. Elle peut être aussi par les conseils que nous donnons autour de nous, par les bons exemples que nous diffusons autour de nous, etc. En ce qui me concerne et pour joindre l’acte à la parole, j’apporte une modeste contribution de 250 000 F CFA au comité de riposte contre la pandémie.
Face à la maladie, comment le législatif s’est-il organisé pour continuer de jouer son rôle ?
Compte tenu de ce que vous savez, l’Assemblée nationale a été obligée de suspendre ses plénières et réunions. Mais rassurez-vous, l’institution continue de fonctionner. Vous avez vu notre président au four et au moulin depuis la survenue de la maladie dans notre pays. Lui et le bureau de l’Assemblée nationale sont à pied d’œuvre pour assurer le fonctionnement de l’institution conformément à la Constitution et à notre règlement intérieur. Nous avons mis également en place des plateformes électroniques avec lesquelles nous continuons de travailler en attendant que la situation s’améliore. Dans tous les cas, nous répondrons présents si toutefois nous sommes sollicités pour quoi que ce soit.
« Tout est parti de l’affaire des fonds communs »
Presque toutes les institutions sont actuellement à l’arrêt : exécutif, législatif, judiciaire parce que confinés. Comment assurer, dans ce cas, la continuité de l’Etat ?
C’est là effectivement tout l’enjeu en pareilles circonstances : assurer le fonctionnement, non seulement des institutions de l’Etat, mais aussi et surtout de celui du pays tout entier. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il y a des réorganisations et des réajustements qui ont été opérés et qui le seront certainement encore pour tenir compte bien sûr des impératifs et des exigences de la maladie. Mais on n’est pas encore arrivé au stade d’arrêt des institutions. Fort heureusement d’ailleurs. C’est ainsi, par exemple, que le Conseil des ministres continue de se tenir via la plateforme e-conseil. Le chef de l’Etat s’est également adressé à la Nation. Le Comité de riposte a été mis en place et est à pied d’œuvre. Il en est de même du comité scientifique et de recherche qui travaille actuellement d’arrache-pied pour nous proposer des protocoles de traitement dans les meilleurs délais.
Quelles leçons a-t-on à tirer de cette pandémie du Covid-19 ?
Les leçons à tirer seront sur le triple plan sanitaire, économique et social. Mais il est trop tôt, à mon avis, pour les tirer. Par contre, la pandémie est venue rappeler au monde deux choses fondamentales : premièrement, notre fragilité et notre vulnérabilité malgré les progrès économiques, technologiques et scientifiques que le monde enregistre. Deuxièmement, les priorités de l’humanité ne se trouvent pas dans la course aux armements encore moins dans le tout-finance. C’est sûr et certain, le monde va et doit changer après le coronavirus. Et ce sera tant mieux ainsi.
L’extension de l’IUTS sur les primes et avantages des agents publics, a créé une fronde sociale. Que pensez-vous de cette extension ?
Il faut d’abord situer le contexte et les motifs dans lesquels s’est opérée cette extension de l’IUTS aux primes et avantages des agents du public. Tout est parti de l’affaire des fonds communs. Vous vous rappelez le bras de fer qui a opposé le gouvernement, à travers le ministre des Finances de l’époque, Rosine Coulibaly, à la Coordination des syndicats des agents du ministère de l’Economie et des finances à propos de la question éminemment sensible des fonds communs. Le gouvernement, dans sa volonté de supprimer ou de réglementer les fonds communs, a trouvé en face les syndicats vent debout et déterminés et n’ayant pas pu obtenir leur suppression, le gouvernement a proposé de les fiscaliser en les soumettant à l’IUTS à travers la loi n°046-2016 du 15 Décembre 2016 portant loi de finances pour l’exécution du budget de l’Etat exercice 2017, notamment en son article 17. Qu’il vous souvienne aussi que, de par le passé, les émoluments des députés n’étaient pas soumis à l’IUTS. C’est sous la pression des syndicats et des OSC que les députés ont fini par consentir à soumettre leurs émoluments à l’IUTS sous la Transition. L’argumentaire développé par les uns et les autres à l’époque, était qu’il est moralement indécent et politiquement inacceptable que ceux-là mêmes qui votent les lois et qui consentent l’impôt, se soustraient de l’impôt en ne payant pas l’IUTS sur leurs émoluments. C’est à peu près le même argumentaire qui a été utilisé pour les fonds communs. En effet, est-ce moralement acceptable et soutenable que ceux-là mêmes (les agents des finances) qui sont chargés d’aller prendre l’IUTS sur les primes et avantages des autres (ceux du privé en l’occurrence), empochent, quant à eux, leurs primes et avantages sans payer à leur tour l’IUTS ? Voilà pour ce qui était du contexte et des justifications de la loi.
Mais, qu’est-ce que vous en pensez ?
Je suis membre de la COMFIB (Commission des Finances et du budget) au niveau de l’Assemblée nationale. C’est cette commission qui analyse, examine et donne son avis sur la loi de finances avant de la soumettre en plénière pour vote. Au niveau de la COMFIB, nous faisons un travail technique et non politique. Nous avons donné unanimement un avis favorable au vu de ce que je viens de développer plus haut. Après l’avis de la COMFIB, le projet de loi a été soumis en plénière pour vote. A ce niveau, je fais partie de ceux qui ont voté pour. Alors, après avoir fait tout ça (avis favorable en commission, vote en plénière) est-ce que je peux encore venir vous dire aujourd’hui que je suis contre la loi, qu’il ne faut pas appliquer l’IUTS sur les primes et gratifications des agents du public, que patati patata. Evidemment que non. Soutenir une telle position, ce n’est pas être pour le pouvoir et contre les travailleurs. C’est simplement être cohérent et conséquent avec soi- même et refuser de faire de la politique politicienne. De toute mon action politique, j’essaye autant que faire se peut d’être cohérent et conséquent. Je ne veux pas avoir le destin d’une feuille morte, c’est-à-dire au gré du vent.
« On peut garder les niveaux d’impositions comme tel et jouer sur les prix des biens et services »
Comment concilier le gouvernement et les syndicats face à cette divergence liée à l’IUTS ?
La pandémie du Covid-19 est venue non seulement nous rappeler que tout le reste est secondaire. Mais surtout que pour y faire face, on a besoin de l’union, de la discipline et du sacrifice de tout le monde. Comment obtenir tout cela dans un contexte de tension sociale liée aux revendications des travailleurs ? D’où la nécessité, pour le gouvernement, en tant que garant de l’ordre et du bien-être des citoyens, de prendre l’initiative de proposer aux partenaires sociaux des mesures allant dans le sens de ramener la sérénité dans les rangs pour qu’ensemble, nous puissions faire face au péril qui nous guette. Si cela doit passer par le report ou la suppression pure et simple de la mesure d’extension de l’IUTS, alea jacta comme disent les Romains. Car, aucun sacrifice ne doit être de trop dans cette bataille contre le COVID-19.
Mais il y a aussi la question de l’application de l’IUTS aux indemnités que les syndicats réfutent également. Concrètement, vous qui êtes fiscaliste, qu’est-ce que le gouvernement peut accepter d’abandonner dans tout cela ?
Il faut dire que, contrairement à l’entendement de beaucoup de gens, l’IUTS sur les indemnités des agents du public, n’est pas un nouvel impôt. Ce qui est nouveau, c’est l’IUTS sur les primes et gratifications servies aux agents du public. Tous les salariés, qu’ils soient du privé comme du public, supportent l’IUTS sur leurs indemnités (confère l’ordonnance n°70-43 du 17 septembre 1970 et l’article 55 de la loi 51-94 ADP DU 13/12/1994. Mais compte tenu de la modicité des indemnités servies aux fonctionnaires, la plupart d’entre eux voyaient leurs indemnités échapper à l’IUTS grâce aux doubles limitations qui s’appliquent à l’imposition des indemnités. De sorte que l’on a l’impression que les indemnités des fonctionnaires ne supportaient pas l’IUTS. Et puis, l’IUTS étant un impôt qui est retenu à la source, le salarié constate à la fin du mois que son IUTS est de tant sans qu’il ne sache trop quel élément de sa rémunération a supporté tel montant. Pour revenir à proprement parler à votre question, plusieurs options existent. On peut décider de rapporter la loi qui soumet les indemnités des travailleurs, qu’ils soient du public comme du privé, à l’IUTS. Une telle mesure touchera tout le monde car tous les salariés, du public comme du privé, ont des indemnités. Il peut être décidé aussi de maintenir l’IUTS sur les indemnités et de rapporter celui sur les primes et gratifications. Une telle mesure concernera une partie des travailleurs car tout le monde ne bénéficie pas de primes et de gratifications. On peut également décider de revenir sur les deux, c’est-à-dire supprimer les IUTS sur les indemnités et aussi sur les primes et gratifications. Il y a d’autres mesures non fiscales que le gouvernement peut aussi prendre. L’essentiel étant de relever le pouvoir d’achat des travailleurs. Par exemple, on peut garder les niveaux d’impositions comme tel et jouer sur les prix des biens et services. Si on ramenait le prix du litre du carburant à 500 F CFA, celui du sac de riz de 50 kg à 10 000 F CFA et on baisse le prix du KW et du m3 d’eau, les travailleurs ne se plaindront pas. Au contraire. Mais comme vous le savez, pour prendre de telles mesures, il faut au préalable faire des projections pour connaître leurs impacts économiques, financiers et sociaux.
Que pensez-vous de la suspension de salaires de certains agents grévistes par le gouvernement dans cette fronde anti-IUTS ?
J’avoue que je ne comprends pas très bien cette question de suspension de salaire. Moi, je pensais qu’on coupait les salaires pour fait de grève, mais suspendre tout le salaire, j’avoue ne rien y comprendre. Le gouvernement a certainement donné les raisons mais, en tout état de cause, je pense que l’heure est à l’apaisement, et l’annulation de ces suspensions pourrait être dans le package de mesures d’apaisement que le gouvernement pourra proposer aux syndicats. Par ces temps de confinement et de mise en quarantaine, ceux mêmes qui ont des salaires ne s’en sortent pas a fortiori ceux qui en sont privés.
Quelles sont les perspectives politiques de Alexandre Sankara dont on ignore pour le moment le bord politique ?
Mon bord politique n’est pas ignoré. Il est connu et bien connu depuis la nuit des temps. Je suis sankariste. Quant à mes perspectives politiques, je pense que l”heure est à la lutte contre le Covid-19. Si nous ne vainquons pas cette terrible maladie, on ne parlera pas seulement des perspectives politiques de Alexandre Sankara, mais de l’existence même du Burkina en tant que pays.
Propos recueillis par Antoine BATTIONO