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AN 1 DE L’INSURRECTION POPULAIRE : Les martyrs distingués, les blessés amers


 

Les 30 et 31 octobre 2015, la Nation a rendu hommage aux martyrs de l’insurrection populaire d’octobre 2014 et du putsch du 16 septembre dernier. Deux jours durant, des activités ont été menées dans la ville de Ouagadougou, notamment le dépôt de gerbe de fleurs, les prières et une cérémonie en pompe pour  traduire toute la reconnaissance du peuple burkinabè aux combattants de la liberté fauchés par les balles assassines du régime de Blaise Compaoré et des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP).

Vendredi 30 octobre 2015. Il y a de cela un an, à  cette date précise, des jeunes à mains nues étaient dans les rues sur l’ensemble du territoire national  pour barrer la route à la volonté du régime de Blaise Compaoré de modifier l’article 37 de la Constitution. Parmi eux, 31 ont perdu la vie et  655 ont été blessés. Le 16 septembre, une crise sans précédent plongea à nouveau le pays dans un avenir incertain: la prise du pouvoir par les armes par le Conseil national pour la démocratie (CND) avec comme maître d’orchestre, le Général Gilbert Diendéré. Cette même jeunesse, à mains nues, prit à nouveau d’assaut les rues de Ouagadougou contre les éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) armés jusqu’aux dents. Malheureusement, 14 personnes furent arrachées à la fleur de l’âge et 270 blessés, tous voulant défendre la Nation.   De ces 45 martyrs, l’on se souvient, entre autres, de Arsène Aouedri, Gaston Karambiri, Aristide Ouoba, Inoussa Béré, Abdoul Moubarak Belèm, Issa Sama, Yasya Rabo, Salfo Yelnongo, Ama Ouédraogo, Badama Bazié. Comme les jours où ils  ont été conduits à leur dernière demeure au cimetière municipal de Gounghin, c’est une foule immense qui a effectué le déplacement en cette matinée du 30 octobre  2015 pour leur rendre un hommage patriotique qui a été ponctué d’allocutions, de dépôt de gerbe de fleurs et de recueillement. Faisaient partie de cette foule, parents, amis et connaissances des victimes, autorités de la Transition, responsables de partis politiques, corps diplomatiques, membres des organisations de la société civile, militaires, hommes et femmes des médias. Plus qu’une cérémonie de dépôt de gerbe de fleurs, c’était un devoir de mémoire de la nation tout entière à l’endroit de ceux qui ont préféré mourir plutôt que d’accepter le tripatouillage de la Constitution et la confiscation du pouvoir par les armes.

 

Du cérémonial de dépôt de gerbe de fleurs

A 9h 40, la sirène de l’hôtel de ville de Ouagadougou retentit sur toute l’étendue de la capitale.  Cette fois-ci, ce n’était pas pour annoncer le nouvel an, mais pour demander à chaque citoyen où qu’il soit, quoi qu’il soit en train de faire, d’observer une minute de silence en mémoire aux vaillants combattants de la liberté qui ne sont plus de ce monde.  Au cimetière municipal, après une minute de silence, c’est le représentant des victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de la résistance de septembre 2015, Patrice Bazié, qui a honoré en premier les héros de la Nation en ces termes : « La moyenne d’âge des martyrs se situe entre 20 et 30 ans(…). Chaque année à la même date, pendant longtemps, en tant que parents des victimes, que devons-nous ressentir ? La douleur parce qu’ayant perdu des êtres chers ? La fierté parce qu’ayant perdu des frères, des fils, des sœurs et épouses qui ont contribué par leur sacrifice extrême à l’ancrage de la liberté et de la démocratie dans notre pays ? (…) Les parents sont meurtris et réitèrent leur appel aux autorités pour que justice soit rendue. L’instauration de cette journée commémorative doit sonner comme un rappel permanent pour l’aboutissement de la mise  en garde de nos futurs dirigeants contre toute forme de mauvaise gouvernance. Les parents des victimes sont honorés de cette journée d’hommage. Les martyrs, de leurs tombeaux, pousseront des fleurs d’espoir nouveau. De leurs tombeaux brillera le soleil d’une Nation renaissante. De leurs tombeaux est à jamais allumé le flambeau du digne  combat pour le bien de l’intérêt de la Nation. Vous n’êtes pas morts (…). Reposez en paix, et que Dieu bénisse votre mémoire ! Que Dieu bénisse ceux qui souffrent de votre mémoire». A la suite du représentant des victimes, Patrice Bazié, c’est le président du CNT, Chérif Sy, qui, dans un  discours plus alléchant, a rendu hommage aux vaillants combattants de la liberté. « (…) L’incompréhension et la consternation sont  des sentiments qui se disputent en nous en ce moment (…) Derrière ce recueillement, ayons à l’esprit que le sacrifice de nos martyrs a été au service d’une Nation burkinabè libre débarrassée d’un tyran et de son clan mus par des intérêts égoïstes au mépris du peuple souverain. Leur vie a été arrachée à notre terre par l’horreur et la tragédie. (…). Valeureux martyrs, le Burkina Faso tout entier saura se montrer digne de votre mémoire en veillant sur votre souvenir digne en vous rendant justice (…). En ces lieux reposent nos martyrs, des femmes et des hommes qui avaient chacun un nom, une famille, une histoire et des projets, mais que l’ignominie de certains fils égarés a réduits au silence (…). L’histoire retiendra que des jeunes aux mains nues ont été tragiquement fauchés par des balles assassines d’autres fils du Burkina qui ont choisi le camp de la terreur, de la trahison du peuple pour servir la cause d’un régime tristement célèbre (…). Ils ne sont pas morts ces héros et ils ne mourront jamais (…). Martyrs de l’insurrection populaire d’octobre 2014, martyrs de la résistance populaire du 17 septembre 2015, qu’ils reposent tous en paix dans la terre bénie du Burkina (…). Ayons aussi une pensée pour les nombreux   blessés  de l’insurrection populaire et de la résistance populaire de 17 septembre qui ressentent toujours dans leur  chair la douleur de ces actes si ignobles et qui portent, peut-être, à vie les stigmates de cette  atrocité. Ces blessés attendent une justice impartiale qui, j’espère, ne tardera pas à venir afin de les rétablir dans leurs  droits. (…) Hommage à vous,  valeureux fils et filles du Faso. Honneur et gloire au peuple. Victoire aux combattants  de la liberté et de la Justice. La partie ou la mort, nous vaincrons !». A peine le discours du président du CNT, terminé, un tonnerre d’applaudissements et de revendications des OSC  retentissent. « Justice ! Justice ! Justice !… », scandait la foule. Après cela, deux militaires saisissent la gerbe de fleurs déposée devant la tribune des officiels. Derrière eux, le président du CNT, le président du Conseil constitutionnel, Kassoum Kambou, et le ministre en charge de l’Administration territoriale, Youssouf Ouattara. Marchant en  cadence et sous la sonnerie militaire aux morts, tous se dirigèrent vers la stèle érigée en hommage aux martyrs et sur laquelle est gravé: « Ici reposent les martyrs de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et du coup d’Etat du 16 septembre 2015 ». C’est donc le cœur serré et dans un élan commun qu’ils déposèrent la gerbe de fleurs sur la stèle avant de s’incliner  comme pour dire : « On ne vous oubliera jamais ». Après cet instant de recueillement sur les sépultures des fils et filles morts pour l’alternance politique, l’hymne national a été entonné en chœur en symbole de vénération. A 13h, à la prière de vendredi, des invocations ont été formulées dans plusieurs  mosquées, sur l’ensemble du territoire national, pour le repos des âmes des victimes et la pérennisation de la paix.

Les blessés se sentent délaissés par les autorités de la Transition

Samedi 31 octobre 2015. Dans l’après-midi, une grande cérémonie fut organisée au pied du mémorial aux héros nationaux. Tous les acteurs de la vie socio-politique y étaient présents, notamment le président du Faso, le Premier ministre, le président du CNT, les membres de l’Association des  blessés  et les parents des martyrs de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de la résistance de septembre 2015, les autorités religieuses et coutumières, les responsables de partis politiques, etc. Dès l’ouverture de la cérémonie, c’est le représentant des blessés de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de la résistance de septembre 2015, Dramane Ouédraogo, qui a ouvert le bal des discours qui ont plongé tout le monde dans un émoi. Avec une voix enrouée par  l’effet de la colère, celui-ci n’est pas allé par le dos de la cuillère pour dire les « vérités » des blessés aux autorités de la Transition. Morceau choisi : « Oubliés, abandonnés, négligés, nous sommes tristes. Nous sommes frustrés. Nous sommes déçus (…). Les blessés attendent une action concrète de vous. Pendant longtemps, vous avez fait des promesses solennelles qui n’ont jamais été suivies d’actions. Nous saisissons cette occasion pour tenir le peuple burkinabè et la communauté internationale à témoin pour dire que les autorités de la Transition ont volontairement abandonné les blessés à leur sort (…). A tous les partenaires techniques et financiers du Burkina (…) nous avons appris à travers les médias que des œuvres de charité en nature et en espèces venant de vous ont été  octroyées aux institutions de la Transition pour le compte des blessés (…). Les blessés n’ont rien reçu de ces dons (…). Monsieur le Président du Faso, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président du CNT, comptez-vous terminer votre mandat avec le goût amer de l’inachevé et le remords de la trahison à l’endroit de ceux qui ont versé leur sang pour que vous accédiez à vos fonctions respectives ?». Le représentant des parents des martyrs, Babou Nébon Bamouni, lui, s’est voulu plus sceptique quant à la volonté des autorités de la Transition de faire triompher la vérité et la justice sur les crimes de sang perpétrés lors de l’insurrection populaire d’octobre 2014. « La vérité et la Justice sont nos fortes attentes (…). Un an après, seuls 5 dossiers ont connu un début d’instruction (…). Nous attendons la justice, la vraie où le droit de la victime est respecté. Nous attendons la justice équitable où le droit de l’accusé est respecté », s’est-il adressé au président du Faso, Michel Kafando. Aux  responsables des partis politiques en lice pour  la présidentielle de 2015, il leur a signifié que  le président qui sera élu à la fin de la transition doit mettre les jeunes au centre de ses actions en créant des emplois à leur profit. « S’il ne le fait pas, ce sera pire qu’avant. Et les jeunes n’attendront même pas midi pour le pousser hors de Kosyam », a-t-il averti. Embouchant la même trompette,  les autorités coutumières et religieuses, par la voix de Bernadette Confé, ont réclamé que les bourreaux et les commanditaires aveuglés par le pouvoir de ce monde rendent compte devant la Justice pour que cela serve de leçon aux  quelconques futurs tyrans.

 

12 martyrs du putsch élevés au rang de Chevaliers  de l’Ordre national

Du cérémonial d’hommage proprement dit, ce sont les parents des victimes du putsch du 16 septembre qui ont appelé à se mettre devant les photos de leurs proches. Puis, le PM est monté sur le parloir pour rappeler, par ordre alphabétique,  les noms des martyrs qui ont été fauchés par les balles assassines de l’ex-RSP. « A vous tous combattants de la liberté, le peuple burkinabè est fier de vous et ne vous oubliera jamais », a-t-il promis, après avoir cité 12 noms de ces 14 victimes. Puis, est intervenue la décoration à titre posthume de ceux-ci. Ils ont été élevés au rang de Chevaliers de l’Ordre national par le président du Faso. Après la décoration, place a été faite à la sonnerie aux morts avant le discours du président du Faso. En répondant aux trois allocutions, le président de la Transition s’est d’abord incliné sur la mémoire des martyrs. Saluant la bravoure de  tous les blessés, physiquement affectés par les deux tragédies qu’a connues le Burkina ces dernières années, il a décidé de leur octroyer individuellement un secours financier, sans compter la prise en charge médicale qui leur est déjà consentie. « Blessés de l’insurrection et de la résistance populaires, tranquillisez-vous ; nous ne saurions vous oublier. Ce que nous avons fait peut sembler insuffisant, mais la Transition ne s’en ira pas sans répondre favorablement aux demandes des blessés», a lancé le Président Michel Kafando aux victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de la résistance de septembre 2015. Il a, par ailleurs, tenu à leur indiquer que les poursuites pénales continuent, pour que triomphent la vérité et la justice. Pour lui, le 31 octobre, désormais  décrété Journée nationale des martyrs, sera commémorée chaque année, en souvenir des batailles menées et des victoires remportées par le peuple burkinabè. « Elle symbolisera notre refus de la soumission, de l’oppression et de la servitude. Elle sera à jamais le référentiel et le déterminant de cette partie de notre Histoire », a-t-il fait savoir. La cérémonie a pris fin par l’inauguration de la stèle dédiée aux martyrs. Construite au pied du mémorial aux héros nationaux, elle est constituée de deux poings habillés des couleurs nationales.  Le plus grand habillé en rouge symbolise l’homme, le plus petit, couvert du vert symbolise la femme. Sur cette pierre qui symbolise à jamais le supplice et la mémoire des martyrs sont inscrits en  souvenir, les noms des 42 martyrs identifiés et l’épigraphe : « Morts pour la patrie ».

Mamouda TANKOANO


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