HomeA la uneAN 12 DE LA CHUTE DE BEN ALI EN TUNISIE : Le retour des mêmes récriminations

AN 12 DE LA CHUTE DE BEN ALI EN TUNISIE : Le retour des mêmes récriminations


« Va-t-on vers un remake de l’histoire en Tunisie ? » Telle est la question que l’on pourrait se poser au regard de la manif de masse qui a rassemblé des milliers de personnes dans les rues de Tunis, contre le président Kais Saied, le 14 janvier dernier, à l’occasion du 12e anniversaire de la chute de Ben Ali. Les manifestants dénoncent « un coup d’Etat » qui a instauré « misère et famine » dans le pays et certains n’hésitent pas à réclamer le départ de l’auteur de ce putsch.  En attendant de voir la suite des évènements, le constat que l’on peut faire est celui du « comme du déjà vu ». L’on se souvient, en effet, comme l’indique la symbolique de la date de ce nouveau déferlement de Tunisiens dans la rue, qu’il y a de cela 12 ans, ce sont les mêmes mouvements de foule qui avaient causé la perte du régime de Ben Ali, après un long règne de 23 ans. L’hallali de cette révolte contre le pouvoir de Ben Ali, qui ouvrit la période du printemps arabe en 2010, avait été donné par l’immolation, par le feu, du jeune Mohamed Bouazizi. Mais tout laisse croire que ni le martyre de Mohamed Bouazizi ni la chute de Ben Ali n’ont apporté la solution aux problèmes des Tunisiens. Et il faut bien craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

 

La responsabilité personnelle du président Kais Saied est engagée dans les turbulences que traverse son pouvoir

 

 En effet, la Tunisie est plongée dans une grave crise économique depuis quelques années. Le pays est étranglé par une dette supérieure à 100% de son PIB et il est incapable d’emprunter sur les marchés financiers internationaux. Cette crise financière s’est traduite, ces derniers mois, par des pénuries récurrentes de produits de base (farine, sucre, café) dans un contexte d’inflation galopante (près de 9%). Ces difficultés qui durent depuis bientôt une dizaine d’années, ont été gravement amplifiées par la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine qui a renchéri les importations de céréales et des hydrocarbures dont l’économie du pays est fortement dépendante. Cette grave crise économique s’est doublée d’une crise politique avec le boycott des dernières législatives par l’opposition politique qui dénonce les dérives autoritaires du président. En effet, Kais Saied est accusé d’avoir dissous le précédent parlement et fait adopter, par référendum, une nouvelle Constitution qui ne laisse au nouveau parlement, que des compétences très restreintes. Il concentre donc désormais tous les leviers du pouvoir dans ses mains et cela, conformément à son ambition de transformation du pays en un régime ultra-présidentiel. Malgré cette concentration des pouvoirs dans ses seules mains, le président est incapable de trouver les solutions aux problèmes des Tunisiens. L’on peut, de ce fait, dire que sa responsabilité personnelle est engagée dans les turbulences que traverse son pouvoir avec cette manifestation qui intervient après celle du 15 octobre dernier, où des milliers de Tunisiens étaient descendus dans la rue pour manifester leur ras-le-bol face à la situation.

 

Il y a aussi des causes plus structurelles qui sous-tendent la crise économique qui tient les Tunisiens à la gorge

 

L’on peut d’autant plus pointer du doigt la responsabilité du président Kais Saied que ce dernier est resté sourd aux signaux émis par les Tunisiens qui, tenaillés par la vie chère, avaient boudé les urnes au dernier scrutin législatif.

Cela dit, la question que l’on peut se poser est la suivante : le départ du président Kais Saied, comme le réclament les manifestants, réussira-t-il à résorber les difficultés économiques et sociales des Tunisiens ? L’on peut en douter. Et pour cause. Même si l’on ne peut dénier l’échec de la politique économique du président Kais Saied, il faut craindre que ce dernier ne soit tout simplement un bouc émissaire. En effet, derrière la crise économique que traverse la Tunisie, l’on peut soupçonner une manœuvre, en sous-main, de l’opposition composée des caciques de l’ancien régime qui détiennent encore toutes les manettes du pouvoir économique, destinée à contribuer à l’aggravation de la crise économique. Mais au-delà de cette guerre souterraine des acteurs politiques qui entretiennent l’instabilité préjudiciable à tout effort de développement, il y a aussi des causes plus structurelles qui sous-tendent la crise économique qui tient les Tunisiens à la gorge.  Et la principale de ces causes, c’est l’extraversion de l’économie du pays. Cette extraversion, c’est la magnétisation de toute la structure économique du pays par les besoins du marché extérieur avec tout ce que cela comporte comme effets pervers de dépendance de l’économie nationale, de déstructuration du monde rural et agricole, de disparités régionales et d’exclusion. C’est pourquoi l’on peut être en droit de demander aux Tunisiens, non seulement d’accorder du temps au président Kais Saied qu’ils ont porté au pouvoir il y a de cela seulement trois ans avec 72% des suffrages, pour entreprendre les réformes nécessaires à la ré-irrigation de cette économie exsangue, mais aussi de consentir les sacrifices nécessaires aux mutations socio-économiques qu’ils appellent de tous leurs vœux.

En attendant, il faut saluer le courage du peuple tunisien qui ne baisse pas les bras pour réclamer chaque jour un peu plus de dignité et de liberté. Ne serait-ce que pour cela, il est en droit de bénéficier d’une oreille attentive de la part de la communauté internationale qui est, en partie, responsable de la situation du pays par le système économique mondial mis en place, mais qui peut surtout peser de tout son poids pour amener le président Kais Saied à descendre de son piédestal.

 

« Le Pays »   


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