APPEL DE BIYA A UN DIALOGUE NATIONAL AU CAMEROUN
Dans une adresse à la Nation, le 10 septembre dernier, le président camerounais, Paul Biya, convoque toutes les composantes de la société à « un grand dialogue national » en vue, dit-il, « d’examiner les voies et les moyens de répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Cette annonce, quand bien même elle était attendue parce que suggérée de longs mois durant, par divers acteurs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, avait de quoi surprendre dans la mesure où le leader séparationniste Julius Ayuk Tabe et neuf de ses partisans ont été récemment condamnés à perpétuité tandis que plusieurs leaders de l’opposition camerounaise comme Moïse Kamto et ses compagnons d’infortune, croupissent aussi dans les geôles du régime, dans l’attente de leur procès. C’est donc légitimement que cet appel au dialogue suscite de nombreuses interrogations. Que vise le vieux renard ? L’opposition et les séparatistes camerounais vont-ils mordre à l’appât ? Quelles sont les chances de succès de ce dialogue convoqué dans une atmosphère aussi sulfureuse ?
Le dialogue national constitue une excellente occasion de faire émerger de nouvelles têtes
Point n’est besoin d’avoir le troisième œil du sorcier camerounais pour s’apercevoir qu’il s’agit d’une ruse de guerre de la part du pouvoir. Car l’offre de dialogue, tout en permettant de desserrer autour du régime l’étau de la guerre de sécession dont le lourd bilan se chiffre aujourd’hui à près de 2 000 morts, lui donne l’opportunité de mettre à exécution la stratégie bien connue en pareilles circonstances du diviser pour mieux régner. En effet, pendant que les ténors de la contestation du pouvoir de Paul Biya sont en prison, le dialogue national constitue une excellente occasion de faire émerger de nouvelles têtes qui, achetées à coup de millions de F CFA, parleront difficilement le même langage que leurs mentors emprisonnés. Et cerise sur le gâteau, en cas de succès de cette initiative du dialogue national, le pouvoir de Yaoundé réussirait une bien brillante opération de communication politique, en présentant le vieux président comme un véritable père de la Nation, artisan de la réconciliation nationale et icône de la paix. Un tel capital de sympathie suffirait à lui assurer la quiétude qu’il souhaite jusqu’à ce que la mort le sépare de son trône. Mais les adversaires martyrisés du régime accepteront-ils de jouer le jeu du dictateur ? Rien n’est moins sûr dans la mesure où, sitôt après l’appel au dialogue du chef de l’Etat, l’opposition a donné de la voix, posant comme condition, la libération des prisonniers. Le président accèdera-t-il à cette exigence? Il y a fort à parier qu’il y opposera une fin de non-recevoir en se réfugiant derrière l’alibi du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et le Judiciaire. Si, dans le principe, le refus de saisir la main tendue du pouvoir reste dans le domaine du possible, la réalité est qu’une telle attitude serait contreproductive.
Le tout n’est pas d’amener l’âne au puits
Et pour cause. D’abord, « les absents, dit-on, ont toujours tort » et cette maxime est particulièrement vraie en Afrique où la politique de la chaise vide ne paie pas. Ensuite, les opposants perdraient le capital de sympathie dont ils bénéficient auprès de l’opinion nationale qui a bien accueilli l’idée de ce dialogue national qu’elle considère comme « un geste positif ». Enfin, ils perdraient une tribune pour plaider leur cause et l’occasion de réclamer la libération de leurs camarades embastillés. L’un dans l’autre, l’on peut donc affirmer sans risque de se tromper que Paul Biya a bien étudié le terrain avant de poser son piège. Mais le tout n’est pas d’amener l’âne au puits. Encore faut-il réussir à le faire boire l’eau. En effet, si le pouvoir camerounais peut compter sur la pression de l’opinion et l’appât de la possible libération des prisonniers politiques pour amener l’opposition à la table des négociations, on peut, tout de même, s’interroger sur la qualité des participants aux débats. Car, l’on peut bien se poser la question de savoir avec qui le régime va dialoguer quand on sait que les vrais opposants croupissent en prison. Et à supposer que, pour pallier leur absence, le pouvoir crée pour les besoins de la cause, sa propre opposition, comme on le voit très souvent sous d’autres cieux, l’on peut se demander si les conclusions qui sortiront de ce dialogue, pourront engager l’opposition vraie. De ce qui précède, l’on peut dire que Biya n’a pas encore gagné le pari de ce grand dialogue qu’il appelle de tous ses vœux.Cela dit, l’homme ne manque pas d’atouts pour pouvoir réussir son coup. Sa carte maîtresse reste son Premier ministre qui est un natif des régions qui défient Yaoundé. L’on peut donc supposer qu’il dispose d’un réseau dense de relations et d’affinités pour pénétrer le milieu et susciter son adhésion à l’initiative du dialogue. Paul Biya peut aussi compter sur la lassitude des populations prises en tenailles entre deux feux, ceux des séparatistes et ceux des djihadistes de Boko Haram dont les incursions meurtrières troublent régulièrement la tranquillité de nombreuses familles camerounaises. Il reste donc à espérer que les parties prenantes au débat ne négocient pas avec le poignard dans le dos.
« Le Pays »