ARCHIVES SUR LE GENOCIDE RWANDAIS : A qui profitera la déclassification ?
C’est un pas historique que vient de franchir la présidence française en annonçant, le 7 avril dernier, la déclassification des archives sur le Rwanda, de 1990 à 1995 et donc sur le génocide des Tutsi en 1994. La symbolique est forte, en raison notamment du choix du jour pour l’annonce de la commémoration du 21e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda. Une décision qui a été, dans l’ensemble, bien accueillie par le peuple rwandais, en ce sens que ces archives permettront d’en savoir davantage sur le drame rwandais et de savoir si la France a vraiment armé et entraîné les milices génocidaires Interahamwe, comme on l’accuse de l’avoir fait. Toutefois, le scepticisme reste de mise quant à la volonté de la France de permettre une réelle manifestation de la vérité.
Le dossier rwandais est lourd et il n’est pas évident que la France accepte de se faire hara-kiri
En effet, il est à craindre que des documents cruciaux ne soient épargnés par cette déclassification ou tout simplement vidé de certains aspects sensibles de leur contenu. Si fait que l’on se demande si la France qui fait les yeux doux au Rwanda, après plusieurs années de brouille, n’entend pas par la déclassification de ces archives, amener Kigali à adoucir sa posture vis-à-vis de Paris. En tout état de cause, la question est de savoir à qui profitera cette déclassification. En effet, si cette annonce a été bien accueillie par l’ensemble de la population ((hypocrisie politique mise à part), ce n’est pas le cas du côté du pouvoir qui pourrait y perdre des plumes. Le président qui a fait du génocide rwandais son fond de commerce politique, ne sera-t-il pas gêné aux entournures qu’on déballe ce dossier dans la rue, toute chose qui pourrait venir confirmer ou infirmer certaines accusations portées contre lui ? Quand toute la vérité sera faite autour de ce génocide, du fait de la déclassification, Kagamé pourrait ne plus avoir de source de légitimité de sa vindicte contre la France. Quant à Paris, acceptera-t-elle vraiment de préparer son propre bûcher, d’y monter ensuite pour se faire cramer ? Car le dossier rwandais est lourd et il n’est pas évident que même au nom de la continuité de l’Etat, la France accepte de se faire hara-kiri. En effet, du côté de Kigali comme de Paris, personne n’est exempt de griefs. En tout état de cause, le chemin qui mène à la manifestation de toute la vérité semble encore long. Et de ce point de vue, la conscience morale des historiens des deux pays est fortement interpellée.
Seydou TRAORE