ATTAQUE DU SERVICE DE RENSEIGNEMENTS AU TCHAD : Qui veut liquider son adversaire politique l’accuse de complot
Soupçonné d’être derrière l’attaque qui a visé les services de renseignements à Ndjamena, dans la nuit du 27 au 28 février dernier, l’opposant tchadien Yaya Dillo a été finalement tué. L’annonce a été faite le 29 février par le procureur du Tribunal de grande instance de N’Djaména. A en croire le gouvernement, tout est parti de l’arrestation d’un membre de son parti, le PSF (Parti socialiste sans frontières), accusé de « tentative d’assassinat contre le président de la Cour suprême ». En réaction, les partisans de ce dernier auraient lancé une attaque contre le siège de l’ANS (Agence nationale de sécurité), faisant « plusieurs morts ». Il n’en fallait pas plus pour que les forces de sécurité lancent l’assaut à l’arme automatique contre le siège du parti où ils ont procédé à des arrestations, à la recherche de son leader. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sans absoudre l’opposant des accusations portées à son encontre, cette affaire comporte de nombreuses zones d’ombre. Et l’argument de la tentative d’assassinat contre le président de la Cour suprême paraît d’autant plus spécieux que sans faire injure à son rang, l’on se demande en quoi l’élimination de cette haute personnalité de l’Etat pourrait déstabiliser la transition en cours.
Le président Deby et son opposant, Yaya Dillo, nourrissaient les mêmes ambitions de se porter candidat à la présidentielle
A moins que tout ce ramdam ne réponde finalement à des impératifs cachés en lien avec la présidentielle à venir dont le chronogramme a été dévoilé quelques heures plus tôt, et qui fixe au 6 mai prochain la date du premier tour. Comment ne pas émettre une telle hypothèse quand on sait que l’un comme l’autre, le président Mahamat Idriss Deby et son opposant, Yaya Dillo, nourrissaient les mêmes ambitions de se porter candidat à la présidentielle devant signer le retour du pays à l’ordre constitutionnel ? Toujours est-il que quand on voit comment l’officier-président a travaillé à se remettre dans la course à un pouvoir qu’il avait promis de rendre aux civils au terme d’une transition limitée dans le temps, et la façon dont il a ensuite travaillé à rallier à sa cause, les adversaires les plus farouches de son défunt père qu’étaient Saleh Kebzabo et Succès Masra, on ne peut pas se faire de doute sur sa volonté de rester au trône. C’est dire si en l’absence de ces figures emblématiques de l’opposition passées à la mangeoire, Yaya Dillo restait un gros caillou dans les godasses du Général-président, dans la marche du locataire du Palais Toumaï vers la légitimation de son pouvoir par la voie des urnes. On est d’autant plus porté à le croire qu’au-delà des liens familiaux, Yaya Dillo était l’un des farouches opposants à la junte au pouvoir à Ndjamena et l’un des piliers du clan présidentiel au Tchad. C’est dire si sa candidature pouvait plus que gêner aux entournures Déby fils qui a encore besoin de se construire une base électorale dans la perspective de la présidentielle à venir. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que l’opposant lorgne le fauteuil présidentiel qu’il a même voulu disputer à son oncle, feu Idriss Déby Itno, en 2021. Mais au lendemain du dépôt de sa candidature, il avait fait l’objet d’une tentative d’arrestation musclée à son domicile, qui avait mal tourné.
Yaya Dillo constituait une menace pour les ambitions de Deby fils
Et qui s’était soldée par une demi-douzaine de morts dont sa mère et l’un de ses fils. Le tout, dans une sombre affaire de plainte pour diffamation portée à l’époque par la Première Dame à son encontre. Et dans laquelle d’aucuns voyaient une machination du pouvoir visant à écarter un adversaire gênant. Trois ans plus tard, l’histoire semble se répéter avec Déby fils qui n’a pas tenu sa parole d’officier encore moins sa promesse de remettre le pouvoir aux civils. Et qui a travaillé à s’ouvrir un boulevard pour le scrutin à venir, après avoir réussi à transformer les caciques de l’opposition en brebis soumises. Mais aussi longtemps que l’intérêt de Yaya Dillo ne portait pas sur le râtelier mais sur le trône, il constituait une menace pour les ambitions de Deby fils. Et ce n’est certainement pas un hasard si sitôt la date de la présidentielle connue, on lui a fait la peau. D’autant que dans sa volonté d’être calife à la place du calife, Yaya Dillo avait été rejoint par Saleh Déby, le plus jeune frère du défunt président, qui a récemment rejoint le parti de l’opposant après l’investiture de Mahamat Idriss Déby comme candidat de l’ex-parti présidentiel, le Mouvement patriotique du salut (MPS). Un ralliement qui venait consacrer la fracture au sein du clan présidentiel et qui a contribué à raviver les tensions au sein de la famille. De là à voir dans l’assassinat de Yaya Dillo une façon, pour le pouvoir, de neutraliser un adversaire politique, il y a un pas que l’on pourrait vite franchir.
« Le Pays »