BLAISE SANON, (CHEF DES DOZOS DE L’OUEST) A PROPOS DES KOGLWEOGO : « Nous ne sommes pas contre les Koglwéogo, (…). S’ils changent de comportement, nous pourrons collaborer »
De passage à Bobo-Dioulasso, le 29 novembre 2016, à l’occasion de la sortie de la 42e promotion des sous-officiers de gendarmerie, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure (MATDSI), Simon Compaoré, s’est entretenu avec une délégation des dozos de l’Ouest du Burkina à propos de la police de proximité, la collaboration des groupes d’autodéfense avec les forces de sécurité pour garantir la sécurité des biens et des personnes au Burkina. Pour nos lecteurs, nous avons rencontré le Dozobâ, le chef de la confrérie des dozos de l’Ouest, Blaise Sanou, à son domicile à Tounouma. Tour à tour, il revient sur les principes clé de la confrérie dozo, le sens des appréhensions de la confrérie pour les Koglwéogo, ses objectifs et ambitions en vue de contribuer efficacement à la sécurité intérieure du pays.
« Le Pays » : Depuis quand dirigez-vous la confrérie des dozos de l’Ouest du Burkina ?
Blaise Sanon : Je suis le Dozobâ ; ça va faire la 2e année que je dirige la confrérie des dozos depuis le décès de mon prédécesseur, André K. Sanon.
Combien de membres compte la confrérie des dozos que vous dirigez ?
La confrérie compte près de 5 000 personnes, y compris des sympathisants non encore initiés aux rites dozos. Certains possèdent des cartes de membre, d’autres pas encore.
Quels sont les critères d’adhésion à la confrérie ?
Pour adhérer à la confrérie des dozos, il faut avant tout être une personne de bonne moralité. Si vous êtes menteur, voleur ou sorcier, on ne vous accepte pas dans la confrérie. Sur la base de ce que les anciens nous ont dit, le nouvel adhérent passe toujours par une autre personne connue qui est en quelque sorte son parrain, pour intégrer la confrérie. Ce parrain attestera de la qualité de votre moralité, et en fonction de cela, nous donnons les conditions d’adhésion avant de procéder à votre initiation.
En quoi consiste l’initiation et combien de temps dure-t-elle ?
Ce sont des cérémonies qui se font en brousse, pendant en gros 2 heures de temps, suivies de conseils donnés aux initiés. En brousse, parce qu’il y a des cérémonies où les femmes et les non-initiés parmi les hommes sont tenus éloignés des initiés. Nous devons éviter beaucoup de choses, ce qui fait que nous partons en brousse. Il y a des choses que nous ne vous dirons jamais tant que vous n’êtes pas initié.
Comment fonctionne la confrérie des dozos de l’Ouest ?
Elle est représentée par des dozos dans les régions du Sud-Ouest, des Cascades, de la Boucle du Mouhoun et des Hauts-Bassins. C’est l’Ouest du Burkina qui connaît pour le moment cette tradition-là. Il y a des chasseurs dozos au niveau de ce grand Ouest du Burkina, au Sénégal, au Mali, en Gambie, en Sierra Leone, au Libéria, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Dès que vous êtes initiés, vous appartenez à la même famille. Vous restez en contact avec le Dozobâ qui est le chef et qui donne les directives, les instructions, les conseils aux autres qui les appliquent rigoureusement. Peu importe l’origine ethnique ou communautaire, pourvu que le dozo, membre de la confrérie, respecte les règles de fonctionnement établies.
Quelle est la sanction en cas de manquement au règlement en vigueur ?
Il y a des punitions à cet effet. On peut prononcer une punition et vous demander de la cola, un coq, ou un bouc. Si on doit vous radier du corps, on vous déshabille, et c’est comme si vous n’aviez pas été membre de la confrérie dozo.
La radiation n’a-t-elle pas de conséquence pour le membre radié ?
Il faut qu’on dise la vérité ! Il y a des conséquences pour le radié, mais nous n’allons rien dire à ce propos. Nous signifions aux mânes des ancêtres des dozos que nous avons radié de la confrérie « untel » pour avoir eu des comportements qui vont à l’encontre des règles des chasseurs dozos que nous sommes.
Quels sont les objectifs spécifiques visés par la confrérie des dozos de l’Ouest ?
Le dozo ne fait pas que de la chasse. Les dozos cherchent aussi autre chose. Nous, nous appelons chasseurs tous ceux qui ne sont pas initiés, qui peuvent avoir une arme et aller à la chasse à la perdrix, aux lapins, aux animaux de la brousse. Le dozo par contre, c’est quelqu’un qui a été initié et joue plusieurs rôles.
« Nous travaillons main dans la main avec les forestiers, les gendarmes, la police et les militaires. »
Les dozos, à travers la confrérie, ont pour rôle de faire la chasse, de protéger la faune et la flore, d’assurer la protection des personnes et des biens, de soigner les personnes souffrant de certaines maladies telles que celles liées aux femmes, aux djinns et certains maux de têtes terribles… Le dozo n’est pas quelqu’un qui fait du faux ou qui fait usage du faux, il ne dit pas ce qu’il ne peut pas faire, n’exige pas quelque chose de quelqu’un en contrepartie des soins qu’il lui donne par exemple. Les dozos étaient les militaires dans le temps. Et il y a une discipline qui est de rigueur au niveau de la confrérie.
Y a-t-il des règles strictes qui régissent les rapports personnels entre dozos ?
Les dozos sont de même père et de même mère ! Si moi, par exemple, je vais au Mali en tant que dozo de l’Ouest du Burkina, je me fais conduire chez le chef dozo de la localité où je vais séjourner. Par exemple, un dozo ne cherche pas la femme d’un autre, il ne la courtise pas non plus pour un homme. Si un dozo enfreint cette loi, il en subira les conséquences. Aucun Dozobâ (chef dozo) ne peut faire des rituels pour expier cette faute ou ce péché pour se mettre à l’abri des conséquences de l’acte posé. Cela est impossible.
Vous étiez, le 29 novembre dernier, à la rencontre avec le ministre d’Etat, Simon Compaoré, où il était question des Koglwéogo. Qu’est-ce qui vous différencie de ce groupe d’autodéfense ?
Les dozos sont des gens qui sont formés selon la tradition, suivent une initiation, observent une discipline que nul ne peut bafouer, à ma connaissance. Nous travaillons main dans la main avec les forestiers, les gendarmes, la police et les militaires.
« Un dozo qui ne peut pas risquer sa vie pour la cause humaine n’est pas un dozo plein ».
Quand il y a des problèmes, quand il y a des choses anormales qui se passent en brousse, nous commençons par alerter la gendarmerie et/ou la police la plus proche. Des fois même, celles-ci nous appellent. Nous ne savons pas comment les Koglwéogo sont formés, mais il y a des comportements dans leurs rangs que nous observons, qui vont à l’encontre même des textes qui régissent notre pays. Par exemple, demander à quelqu’un qui a volé un poulet de payer 50 F contre un reçu, prendre quelqu’un et le frapper, ou le faire emprisonner. Nous ne sommes pas d’accord avec de tels actes ! Nous avons dit et répétons que si un dozo arrête un voleur, il le remet à la police, à la gendarmerie ou à l’autorité administrative la plus proche. C’est ça, sa mission. Si le ou les dozos ne peuvent pas arrêter un bandit ou un voleur, ils informent qui de droit et les forces de sécurité vont intervenir. Comment peut-on
appartenir à un pays et avoir des comportements qui vont à l’encontre des lois de ce pays ? Ah non, ce n’est pas possible ! Les sévices corporels infligés par des Koglwéogo, l’emprisonnement, le fait de prendre de l’argent chez des gens, tout cela va à l’encontre des lois des dozos.
Comment avez-vous apprécié la rencontre avec le ministre Simon Compaoré qui a abordé avec vous la question des Koglwéogo et de la police de proximité ?
Le ministre est intelligent, en ce sens que nous ne nous attendions pas à ce qu’il a dit sur les Koglwéogo. Il y a parfois des on-dit, et souvent, quand vous n’avez pas la personne concernée devant vous, vous l’accusez. Le ministre a clairement dit que si la population ne veut pas de quelque chose, ça ne se fait pas. Ce ne sont pas seulement les dozos qui ont dit qu’ils ne veulent pas des Koglwéogo à l’Ouest. C’est une volonté des gens de la région. Nous, dozos, sommes avec la population, nous sommes à son écoute. Croyez-vous que le chef de canton s’est levé du jour au lendemain pour dire que les Koglwéogo sont « persona non grata » à l’Ouest ? Non ! Ce sont des gens venus de l’Est du pays qui ont vu leurs comportements et ont informé le chef de canton en disant : « Si vous laissez ces gens-là entrer ici, ce ne sera pas intéressant. » Nous aussi, nous avons eu des informations de gens qui ont eu des problèmes avec les Koglwéogo. Le chef de canton nous a appelés, nous lui avons dit que nous sommes d’accord avec lui. C’est suite à cela que nous avons pris la décision que nous ne voulons pas de Koglwéogo chez nous à l’Ouest. Ce n’est ni de la jalousie de la part des dozos, ni une concurrence vis-à-vis d’eux. Vous voyez qu’ils défient même l’autorité de l’Etat souvent. Ce n’est pas républicain, ça !
Comment percevez-vous la collaboration des groupes d’autodéfense avec la Police de proximité, nouvelle formule ?
Nous ne sommes pas contre les Koglwéogo, mais leur manière de faire. S’ils changent de comportement, nous pourrons collaborer. Parlant de collaboration avec la police de proximité, nous le faisons depuis une décennie au moins. Nous avons déjà eu une décoration en tant que dozos. Les gens savent bien ce que nous avons fait dans la région et pour la région. Si aujourd’hui les Koglwéogo vont dans la même direction que nous, nous allons collaborer et tous les voleurs ou bandits fuyards de l’Est ou de l’Ouest, pourront être arrêtés, par eux ou par nous, grâce à une collaboration efficace avec la police de proximité et remis aux autorités. Les dozos que nous sommes, travaillons aussi avec la population à qui nous avons demandé de signaler toute personne de moralité douteuse ou au comportement suspect, qu’elle rencontrerait en brousse, pour qu’elle soit arrêtée. Nous avons eu à arrêter de grands bandits que nous avons remis aux autorités. Malheureusement, ces actions ne sont pas médiatisés.
Pourquoi n’associez-vous pas la presse à certaines de vos opérations ?
Nous allons y songer désormais. Cela nous permettra d’ailleurs de rectifier certaines rumeurs sur les dozos.
Existe-t-il parfois des difficultés de collaboration entre forestiers et dozos ?
Les forestiers et les dozos étaient des ennemis, mais aujourd’hui, nous sommes amis. La preuve est que nous avons été invités par les forestiers pour organiser le défilé lors de la fête nationale. Nous ne pouvons pas défiler sans qu’il n’y ait des forestiers avec nous. Nous n’avons pas de problème avec eux, nous collaborons bien avec eux, avec la police et la gendarmerie également. C’est vrai que le comportement de certaines personnes peut créer des frustrations, mais si cela arrivait, je crois qu’il faudrait saisir les premiers responsables et le problème sera géré. Ce que nous demandons, c’est le respect mutuel.
Avez-vous des sujets qui vous tenaient à cœur, qui n’ont pas été abordés avec le ministre d’Etat ?
Pas du tout. Le seul problème qu’il fallait gérer, c’est celui des Koglwéogo et le ministre l’a réglé. Nous n’avons pas de problème avec quelqu’un. Nous avons des projets qui verront le jour incessamment. Nous envisageons une rencontre internationale des dozos de l’Afrique de l’Ouest à Bobo-Dioulasso, dans les mois à venir. La date précise n’est pas encore arrêtée, mais vous serez informés. Nous associerons les autorités à cette rencontre, le ministre en charge de la sécurité intérieure notamment, la gendarmerie, la police…
Votre dernier mot à propos de la sécurité des populations du Burkina ?
Nous demandons aux populations de collaborer avec les dozos, avec les Forces de défense et de sécurité (FDS), d’alerter ces différents acteurs dès qu’elles observent des comportements suspects ou voient des individus de moralité douteuse. Aux dozos, nous demandons d’assumer leur mission avec dignité et patriotisme. Le dozo doit défendre la population en tout lieu et en toute circonstance. Nos vieux dozos le disent bien : « un dozo qui ne peut pas risquer sa vie pour la cause humaine n’est pas un dozo plein ». Que les dozos gardent à l’esprit qu’ils sont unis dans la confrérie comme des frères de sang et qu’ils collaborent plus étroitement avec les FDS pour le bonheur des populations.
Propos recueillis par Lonsani SANOGO