HomeBaromètreBURKINA FASO : Et si l’histoire nous était contée !

BURKINA FASO : Et si l’histoire nous était contée !


L’auteur du point de vue ci-dessous retrace l’histoire du Burkina Faso, depuis son accession à l’indépendance jusqu’à la transition politique consécutive à l’insurrection populaire d’octobre 2014. Au passage, il rend un hommage appuyé à la jeunesse burkinabè qui a su prendre ses responsabilités. Lisez plutôt !

Trois coups de bâtons frappés à égale distance sur le plancher du préau, ponctuent l’ouverture de la « Flûte enchantée » de W.A. Mozart !

Trois coups au milieu d’une symphonie qui permettent au spectateur-auditeur de bien fermer les yeux de chair et bien ouvrir son cœur pour voir les merveilles de l’univers, car on ne voit bien qu’avec le cœur. Osiris dont il est question dans cet opéra, jalousé par son frère jumeau, est parti en exil en « petits morceaux ».

Il en fut de même pour les hébreux Issouf, Nabi Josua ben Youssef. Plus près de nous, l’Almami Samory Touré ; Mohamed V, Charles de Gaulle, Nazi Boni, Jacqueline et Joseph Ki- Zerbo et bien d’autres encore par le cynisme de leur semblables. Pour quel résultat ?

Osiris, ancêtre égyptien des noirs, ressuscita 33 ans plus tard, Mohamed V récupéra son trône, etc.

L’exil, cette chose innommable, immatérielle que l’on inflige aux âmes peu communes, laisse une marque indélébile ! Quand vous mangez cette vache enragée qui vous achève ou vous rend fort, soit qu’on en crève ou qu’on s’en sort à rendre fous ceux qui ne l’étaient pas moins. J’ai, moi, assisté au chassé-croisé des « octobristes et des novembristes » !

Un boomerang est un « engin de guerre » qui fait des victimes à l’aller comme au retour !

La Justice et la République

« Nul ne guérit de son enfance », Aragon chanté par J. Ferrat

Les éditions Flammarion ont réédité en 2015, les œuvres complètes d’Aristote et j’avoue que j’ai pris du plaisir à revisiter ce philosophe hors du commun qui s’est émancipé de ses maîtres pour rayonner sur tous les modes de pensée jusqu’au 20e siècle.

Et les voyageurs, pèlerins burkinabè dans la cité du Vatican pourront admirer dans le musée éponyme, un magnifique tableau –improbable- de Raphaël sur lequel on aperçoit au centre, Platon tenant dans la main gauche son opus, le Timée, et pointant de l’index droit le ciel (opposition ciel et terre ?). A la gauche de Platon, on voit Aristote, lui, tenant de la main gauche son opus, l’éthique à Nicomaque, la paume de la main droite ouverte et tournée vers le bas (l’ordre idéal des valeurs opposé à l’ordre positif des réalités ??).

L’initiation à la pensée mesurée, juste et claire dans les classes terminales de jadis n’aurait jamais dû connaître d’atténuation et encore moins de rupture !

Ainsi les « intellectuels burkinabè »– dont je ne suis pas- ont manqué l’occasion de se valoriser en ignorant complètement le patrimoine intellectuel de leurs ancêtres, objet de pillage éhonté au 21e siècle. Le tableau de Raphaël cité plus haut, rassemble de manière improbable, les « sages » de plusieurs époques qui ont pour dénominateur commun, d’avoir usé le fond de leur culotte en Egypte, les mélanchroès (peau noirs).

Où peut-on voir un tel regroupement de sages d’Afrique ?

Maîtriser la culture, l’érudition d’autrui (certains intello noirs s’en réclament) fait de vous un sous-produit, un valet (si vous ignorez totalement la votre) et surtout pas un intellectuel, terme insensé de surcroît.

Ranimer l’histoire, l’histoire comparée et l’histoire partagée de l’Afrique noire.

On attribue à Ibn Batouta, la sentence selon laquelle, « De tous les peuples de la Terre, les noirs sont ceux qui ont le sens le plus élevé de la justice ».

Cette phrase que je reproduis de mémoire, avec ce qu’elle peut comporter d’erreur dans la formulation, respecte l’esprit, flatte mon ego et réjouit le cœur des Burkinabè qui se sont aperçus que la « Justice » est inscrite en bonne place dans le triptyque de notre idéal depuis 1960 et malheureusement effacée sur la courte période triste de notre histoire.

Pour Aristote, « un des points importants de distinction entre les hommes et les animaux   tient à ce que les premiers ont la perception entre le bien, le mal, du juste et de l’injuste »

A ces définitions ou acceptions de la justice, je rapproche celle d’un médecin philosophe contemporain : « Le besoin de justice est la seule passion humaine qui ne soit pas la sublimation d’un instinct animal ».

Au Burkina Faso, on n’a jamais autant parlé de Justice que depuis novembre. 2014. Or de nombreux Burkinabè attendent la définition consensuelle, la mise en œuvre de cette justice depuis bientôt deux générations !

On lit cette soif de justice sur les visages que l’on rencontre dans les rues du Burkina.

Des veufs, des veuves, des orphelins des petits-enfants qui n’entendront pas la voix de leurs grands-parents ni ne verront leur visage que sur les photos jaunies d’albums au fond de cantines rarement ouvertes pour ne pas réveiller de douloureux souvenirs.

Nous attendons la Justice. Et il me plait d’attirer l’attention de mes compatriotes plus jeunes que la justice, substantif, vue sous plusieurs angles, désigne à la fois une institution, une vertu, une utopie, un idéal.

Autour du Burkina Faso, seul le Ghana a inscrit la Justice dans sa devise : Freedom & Justice !

En période mouvante de transition post- insurrectionnelle, qui prendra fin dans 30 jours, qui semblent très longs, à ne plus en finir, de s’éterniser,  peut-on reprocher aux Burkinabè de perdre patience et   de se poser de plus en plus de questions ?

En ce moment précis   d’incessantes spéculations sur la future Constitution que  nos élus  viennent « d’accoucher », il est utile de fouiller dans notre passé, pour y rechercher des repères, et de revisiter notre histoire pour  mieux  situer notre présent.

Frédéric Fernand Guirma, alias Duc de Korsmaguir, dans une adresse aux Burkinabé, a souligné l’importance du « Burkindlem ». Mais qu’est-ce que c’est le Burkindlem ?

Cette chose immatérielle que tous vont chercher chez le Mogho-Naaba quand ça « chauffe » tout comme l’athée qui s’interpelle quand il a chaud : « Mon Dieu » !

La candidature de la Haute- Volta au sein des Nations unies en 1960 fut parrainée par la Tunisie alors présidée par le « Combattant Suprême », Habib Bourguiba  dont le pays vient de se doter en 2014 d’une Constitution originale conforme à son génie.

Or aux temps anciens, les Grecs admiraient la Constitution de Carthage !

Nul ne guérit de ses origines ! Et les Burkinabè, où vont-ils chercher l’inspiration ? La boussole du parrain peut indiquer la direction sans contraindre à suivre le même chemin.

Albanie, Corée du Nord de Kim Il Sung, le livre rouge de Mao Tsé Toung… ! !

Les oiseaux ne laissent pas de trace dans le ciel.

Aristote que je citais plus haut décrit, commente et évalue la Constitution de Carthage, telle qu’elle était de son vivant.

Aristote considère dans un témoignage de première main, que la Constitution de Carthage était l’une des meilleures, voire la meilleure de toutes. «  Carthage est plus prudente (que Sparte) et ne demande pas ses rois à une famille unique…, elle s’en remet à l’élection et non à l’âge pour amener le mérite au pouvoir ».

Comme à la tête de toutes les charges officielles au service du peuple.

En fait,  au temps d’Aristote et jusqu’à sa destruction de Carthage par les Romains en 146 av. J-C, Carthage avait une organisation politique de type mixte mêlant les  meilleurs éléments de trois régimes :

*Un régime de type monarchique, constitué par les deux grands magistrats (les suffètes) qui avaient la charge, au sommet de l’Etat, de gérer l’administration civile, de rendre la justice et de convoquer les assemblées. Ces deux suffètes étaient élus et n’exerçaient ni le pouvoir militaire ni le pouvoir religieux.

*Un régime de type oligarchique, représenté par le  Conseil des anciens (la gerousia), une sorte de Parlement constitué de près de 300 aristocrates, qui avait compétence non seulement  pour toutes les affaires  intérieures de la cité, mais aussi pour sa politique étrangère. Ce conseil  pouvait ainsi décider de la guerre ou de la paix.

*Un régime de type démocratique, constitué par l’assemblée du peuple, ouverte à tous les hommes libres de la cité. Cette large assemblée se réunissait dans la place de l’agora, à l’occasion des grandes décisions, ou pour trancher en cas de désaccord, entre les deux premiers pouvoirs.

Pouvons-nous regarder de près ce que l’on a coutume de nommer au Burkina Faso « nos valeurs traditionnelles » ?

Et Soundiata Kéita, Kankan Moussa, Samory Touré ?

L’histoire retiendra que le M’Walimu (Julius Nyéréré), assis aux côtés du Négus rouge dans les rues de Addis Abeba, décorées aux portraits de Marx Karl, Engel Lénine et peut-être aussi Staline, posa la bonne question à son hôte : « Ce sont vos ancêtres ceux-là ? ».

Rien de nos us et coutume ne peut être retenu pour enrichir la nouvelle Constitution que les Burkinabè sauront mieux s’en approprier.

Ce besoin est essentiel et s’exprime dans nos « réflexes archaïques » !

Devrais-je vous conter la saga de la succession d’un chef de village ?

Notre pays qui vient de franchir les « quarantièmes rugissants » ou si vous le voulez, le Cap Horn est entre de bonnes mains, et M’Ba Michel rejoint l’aréopage de   ses prédécesseurs aînés : Nanan Houphouët, l’Ossaguyefo, le Mwalimu et Madiba, et ma génération au Burkina Faso qui ne compte ni pleutres ni courtisans, au regard d’un passé récent, proclame bien haut ce qui est écrit :

« La pierre rejetée par les bâtisseurs -je devrais dire, les démolisseurs- est devenue la pierre d’angle » !

Je ne ferai pas du « jeunisme », mais je fais le constat suivant que la progression démographique à la Fibonacci va nous soumettre à de rudes épreuves.

La jeunesse n’est pas une qualité mais une phase très transitoire, fugace, éphémère comme la chrysalide que vous observez au printemps !

La croissance économique et la croissance démographique étant asymétriques.

Il faudra du courage pour garder le cap de la Justice, notre idéal, inscrit, et à verrouiller dans les futures lois fondamentales.

La lumière illumine et guide. L’éclat de lumière éblouit. Il est à craindre que l’exercice du pouvoir sous les « ors de la République » ne dévie les bonnes intentions de jeunes acteurs qui n’ont de repaire que l’histoire immédiate.

Le Burkinabè est, à mon avis, résistant et non endurant, et il est à redouter qu’il ne se retrouve au point de départ comme janvier 2014. La mémoire humaine est fragile ! Et chronos ensevelit rapidement tout ce qu’il embrasse !

Notre pyramide des âges est bien plate, notre pyramide de Maslow aussi ! Au Burkina Faso, on est jeune jusqu’à 35 ans et après on est vieux !

Ils ne sont pas nombreux à se faire la courte échelle pour tenter de décrocher l’inaccessible étoile. Tout, tout de suite. Accumulation et non partage.

Ma génération, comme je le disais tantôt, est une génération charnière.

Adolescente en 1960 (13 ans après la reconstitution de la Haute-Volta), jeune adulte en 1983, elle a été condamnée dans des procès iniques et cyniques par un système qui ignorait « l’Habeas Corpus ». Elle en souffre encore pour tant de vies arrachées, tant de méchanceté gratuite, tant de lâcheté. Résultats des courses, octobre 2014 qui nous a fait verser des larmes, non pas de joie mais de chagrin. Quels gâchis !

Août 1983, les protagonistes n’avaient pas 35 ans et ils étaient donc jeunes…

Ma génération a des regrets mais pas de remords ! C’est pourquoi certains ont fait leur résilience et remettent ça  avec enthousiasme pour changer le cours sinueux des choses, la révolution technologique qui est la seule vraie.

Malgré l’exclusion sans appel subie qui n’a jamais ému les âmes sensibles d’aujourd’hui devenues par miracle victimes ! Victimisation, victimisation, quand tu nous tiens !

Car c’est une génération de générosité, une génération de passeurs de témoin, de message, une génération de pédagogues.

Une lueur d’espoir et des chances à saisir. Donc s’armer de courage. Le temps sera long.

Nous avons vécu des évènements historiques et fondateurs d’une Nation, identiques à ce que les autres peuples ont vécu : Révolution française, la Commune de Paris ; fuite en « traban » des jeunes de l’Europe de l’est, suivie de la chute du mur de Berlin ; Tien An Men, etc.

Les protagonistes de l’insurrection populaire de 2014- à commencer par le président du Faso- ont été surpris par l’ampleur de ce qu’ils vivaient.

La jeunesse s’est offerte en « holocauste » pour la liberté, pour la Justice, en subissant une répression sauvage, barbare – les morts se sont comptés par dizaines-. Ils avaient l’âge de nos enfants, petits-enfants. Il faut se le rappeler en toutes circonstances et surtout quand viendra le temps de partage de ce que certains assimilent à un partage de butin.

Le mérite (moral, intellectuel, professionnel) plutôt que la parenté, la fraternité sont dignes d’intérêt, d’excellence ou d’honorabilité.

Et malheur à celui ou à ceux qui acceptent une charge qu’ils ne peuvent assumer ou qu’ils portent avec indignité.

Ce n’était pas arrivé le 3- janvier 1966 où Maurice N. Yaméogo avait «  prêté provisoirement » le pouvoir à son Chef d’état-major même si c’était pour ne plus le récupérer-donnant ainsi une « certaine légitimité et un peu de légalité »- à son successeur!

Ce ne fut pas le cas le 25 novembre 1980 ni le 7 novembre 1982  ni même au cours des guerres picrocholines d’octobre 1987 et de juin 2011, en pure perte morale, politique et économique.

Avons-nous retenu que la fine fleur de notre pays a pris des risques assumés-par deux fois- donc en toute conscience par idéal ?

En retour, ne croyons-nous pas qu’elle a des droits inaliénables, en justice ?

Idéal inscrit dans le subconscient de tout Burkinabè et dans la loi fondamentale!

C’est peut-être cela le Burkindlem que les penseurs et intellectuels burkinabè vont développer dans les mois et années à venir. Nous sommes une génération à redouter que les échéances électorales n’ouvrent la porte aux guerres sournoises pour les « places » et que les sacrifices des suppliciés soient profondément enfouis dans les mémoires. Ce risque est potentiel.

Une hirondelle ne fait pas le printemps !

Il y a lieu de valoriser l’insurrection populaire vraie dont la paternité revient à la jeunesse (et pour rappel, les Burkinabè de moins de 36 ans font, me dit-on, 70% de la population).

Un atout tout autant qu’un handicap ; un atout en conjuguant harmonieusement jeunesse et moins jeunes, un handicap si les jeunes ne sont pas préparés physiquement et intellectuellement aux responsabilités.

Les jeunes sont enthousiastes, dynamiques, pétris de qualités importantes mais non suffisantes quand la jeunesse n’est pas formée ou bien formée.

Qualités importantes mais non suffisantes quand celle-ci n’est pas en bonne santé, quand elle n’est pas instruite, éduquée. A qui revient les missions de soigner les enfants, les éduquer, les responsabiliser ? Qui est responsable ? Tous les Burkinabè, mais pas tous coupables et il est inutile de circonscrire les responsabilités à la politique, à une famille, à une personne.

Les économistes de la santé, les spécialistes de l’éducation insistent continuellement sur la nécessité impérieuse de l’investissement dans ces secteurs pour assurer l’avenir.

Mais que dire quand l’index qui montre l’étoile du berger est regardé par le sot ?

Un rapport du PNUD en début d’année 2000, attirait l’attention des décideurs des pays en développement sur cette réalité. Il préconisait dans ce sens, un appel au transfert de technologie par les diasporas des pays africains, capables d’introduire les innovations majeures indispensables au progrès.

Alain Bédouma Yoda l’a reconnu sans pouvoir y faire grand-chose.

Inertie reconnue dans le même « papier » du PNUD en raison non seulement des pesanteurs locales, mais surtout la réticence atavique de cadres dits « évolués », terme suranné, à ne pas dépasser le niveau ordinaire, commun.

Jean-Claude TAOKO


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